Blog proposé par Jean-Louis Bec

samedi 11 octobre 2014

Profil de deux définitions


 Rubriques: photographies du XIX; photographies du XX et contemporaine; portrait photographique

Autoportrait:
Portrait d'un artiste par lui-même. Le terme apparut au au XIX ième siècle.
L'histoire de l'autoportrait en peinture est assez complexe et agitée. D' abord plus ou moins cachée, aux XVième et XVIième, dissimulée au sein d'une fresque (autoportrait de Sodoma dans les Scènes de la vie de Saint Benoît, couvent de Monteoliveto), immergée parmi les personnages de la composition (Lippi dans son Couronnement de la Vierge, cathédrale de Spolète),


Sodoma, scène de la vie de Saint Benoît N°13, entre 1505 et 1510.

Filippo Lippi, Couronnement de la vierge, 1445.

 l'image que le peintre offre parfois de lui-même s'assimile à une signature discrète, presque honteuse, mais exprime bien l'affirmation d'une présence (au sein de l'évènement peint, aux côtés de l'illustre modèle, dans le tableau même). Puis, au fur et à mesure du développement de son statut social et de son poids économique, l'artiste tend à idéaliser, voire à glorifier son image par l'autoportrait. Mais il peut aussi emprunter des voies plus réalistes, notamment en scrutant les effets du temps (plus de 70 autoportraits pour Rembrandt; Degas, Courbet).


Rembrandt, autoportrait, 1629.
Rembrandt, autoportrait en Zeuxis




Degas, autoportrait, 1855.

Gustave Courbet, autoportrait en désespéré, 1844.

Les peintres de la modernité ont également pris l'autoportrait pour tremplin au jeu, au déguisement (Picasso en toréador, Van Dongen en Neptune), à l'autodérision, voire à la destruction de leur image (Egon Schiele, Francis Bacon, Lucian Freud).


Egon Schiele, autoportrait. 1910.

Francis Bacon, autoportrait, 1979.

Lucian Freud, autoportrait, réflexion. 2004.

L'autoportrait, plus encore peut-être que le portrait parce qu'il libère du souci du modèle, est un véhicule particulièrement apte à la recherche et à l'étude des physionomies, des expressions (de l'émotion et du sentiment, de l'intériorité), des effets des passions et du temps.
On a pu affirmer que l'autoportrait s'inscrivait contre le portrait, celui-ci procédant d'une commande assujettissant l'artiste à son modèle, visant souvent une idéalité, une sorte de hors-temps, alors que celui-là affirme l'indépendance et le moi de son auteur, peint le passage, un moment. Mais on sait qu'il existe des "antiportraits" (Vuillard), souvent cruels à l'égard des modèles et, comme le montrent les exemples cinématographiques cités plus bas, des "hétéroportraits", portraits d'eux-mêmes que les artistes réalisent au travers d'un portrait d'un autre.
La photographie donne lieu à des pratiques similaires, certains artistes cultivant l'art de se mettre en scène (Robert Mappelthorpe, Cindy Sherman) ou orientant un ensemble de photos vers  l'autobiographie (Sophie Calle, Nan Goldin).


Robert Mappelthorpe, autoportrait, 1983.

Robert Mapplethorpe, autoportrait, 1980.
Sophie Calle, chambre avec vue, 2003.

  L'autoportrait se prête à la pratique de la série dès qu'on l'inscrit dans le temps. La diversité des techniques de reproduction photographique -Polaroid, photomaton, images numériques - et l'étendue des possibilités de manipulations des images ont multiplié les formes d'autoportraits, lieux privilégiés de réflexion sur les rapports de l'artiste à l'image et sur l'acte de (se) représenter.
Au cinéma, l'autoportrait prend un caractère parfois plus complexe. On peut observer l'évolution de Jean-Luc Godard, analogue à celle de l'autoportrait en peinture: il se montre d'abord "dans un coin du tableau" (son apparition fugace dans un plan de A bout de souffle, sa voix doublant un personnage de Vivre sa vie), avant de tenir un rôle secondaire offrant une image dérisoire de cinéaste (l'oncle Jean dans Prénom: Carmen), puis d'assumer pleinement son autoportrait (J.L.G par J.L.G., autoportrait de décembre) et de multiplier des images de lui-même dans ses Histoire (s) du cinéma. Mais au cinéma, l'autoportrait peut emprunter des formes ambiguës: acteurs-réalisateurs se peignant au travers de personnages de fiction (Chaplin, Welles, Eastwood), cinéastes déléguant à des comédiens le soin de jouer leur propre personnage (Truffaut et Jean-Pierre Léaud, pour la suite des Doinel, Fellini et Mastrianni, Phillippe Garrel). La maniabilité de la caméra vidéo et l'usage d'internet ont démultiplié les formes d'autoportraits, ainsi que leur diffusion et leurs usages. Au delà des pratiques s'inscrivant dans les sphères artistiques, les autoportraits, outils de séduction et d'affirmation d'existence, arguments de communications et de rencontres, participent d'une narcissicisation" générale des sociétés hypermodernes. Ils manifestent l'importance - excessive?- accordée aujourd'hui plus encore qu'hier à l'image de soi.

Autoportrait photographique:
Alors que Jules Janin évoque en 1839 la  photographie comme "un miroir qui garde toutes les empreintes", il est logique que les photographes se mettent très rapidement en scène devant leurs objectifs et se jouent de la ressemblance ou du dédoublement proposés par le médium. Rares sont ceux qui ne s'y exercent pas, certains en faisant même le terrain principal de leurs explorations tels Pierre Molinier, John Coplans, Nan Goldin ou Sophie Calle.

Pierre Molinier, autoportrait, 1970.

John Coplans, 1984 - 1988

 L'expérience autobiographique se mêlant à l'exploration des capacités du médium, les photographes se livrent dans des mises en scène qui explorent la notion d'identité; ils expérimentent, explorent leurs fantasmes, s'interrogent sur l'image qu'ils renvoient, sur les rapports que la photographie entretient avec la mort comme le souligne Roland Barthes dans la Chambre claire. Ils deviennent les sujets de leurs propres expérimentations sur les possibles du médium.
Le premier de ces photographes à apparaître devant l'objectif est Hyppolyte Bayard, qui en octobre 1840, livre un Autoportrait en noyé. La photographie est pour son auteur un espace théâtral dans lequel, non sans ironie, il offre l'image d'un simulacre expressif en réponse au dédain affiché par l'Etat à l'encontre de son travail. La mort est un thème majeur de l'autoportrait, cette photographie en est l'un des premiers exemples. Man Ray et les surréalistes, Arnulf Rainer, Dieter Appelt ou Robert Mappelthorpe firent eux aussi de la mort un terrain d'exploration photographique. L'autoportrait peut aussi être signature. Félix Nadar, lui aussi sujet de ses propres expériences, réalisera de nombreux auportraits: entouré d'ossements dans les catacombes, triomphant dans la nacelle de son ballon ou hagard dans son studio pour un premier portrait en lumière artificielle.

Arnulf Rainer, 1973.

Dieter Appelt, 1981.

Nadar, catacombes, Paris, 1861.

 Nombreux sont les photographes qui s'incluent plus ou moins discrètement dans quelques-uns des paysages, des architectures qu'ils sont amenés à fixer (Henri Le Secq, Charles Nègre, Maxime Du Camp, Eugène Atget...): adossés à un pilier, près d'une  porte, se reflétant dans une vitre, regardant l'objectif ou s'en détournant, mais bien présents et affirmant que l'enregistrement photographique aussi puissant qu'il soit est bien soumis à la présence d'un homme derrière l'objectif. Narcissisme, égocentrisme, Vanité, simple ironie ou jeu... L'autoportrait est alors un manifeste de la pratique exercée, l'évocation d'un statut: Edward Steichen en 1901 comme Oscar G. Rejlander trente ans avant lui se photographient en peintres affirmant avec force leur statut d'artiste. Au contraire, en pleine période moderniste, Albert Renger-Patzsch ou Eugène Atget, saisissant leurs reflets dans les vitres, convoquent le champ du photographe dans l'espace photographié, rendant plus prégnante encore l'idée que ce qui nous est donné à voir est bien lié à la subjectivité du regard d'un auteur, ce qu'affirment aussi de manière plus expressive certains auteurs tels Umbo ou Germaine Krull lorsqu'ils disparaissent derrière leur appareil.


Edward Steichen, autoportrait en peintre, 1901.

Albert Renger-Patzch,, dans les années 1920.

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Eugène Atget, autoportrait.

 Cette quête identitaire, ce jeu de l'image, sur ses multiples, a conduit de nombreux artistes à se travestir: Claude Cahun devient un homme, Pierre Molinier une femme, Cindy Sherman investit plusieurs identités, Nan Goldin initie "l'autofiction".

Claude Cahun, autoportrait, 1929.

Cindy Sherman, Untitled Film Still, N°14, 1978.

Quant aux autoportraits de John Coplans, ils prennent soin de ne pas montrer de visage et interrogent l'identité par le morcellement d'un corps vieilli. La photographie est "un médium qu permet de construire une identité à partir d'une personnalité composite, une identité artistique" (Coplans).

Anne Goliot-Lété, Martine joly, Thierry Lancien, Isabelle-Cécile Le Mée, Francis Vanoye: Dictionnaire de l'Image, Vuibert, 2006

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