Blog proposé par Jean-Louis Bec

lundi 15 septembre 2014

Le tortueux du droit

Rubrique: droit et photographie

"Ces dix dernières années ont marqué le quotidien des photographes au fer rouge du droit. L'insouciance régnant dans la pratique photographique a laissé place à une discipline difficile à gérer. Outre les problèmes de propriété intellectuelle et de statut, c'est le "droit à l'image" qui a semé la panique. Tout le monde s'est mis à réclamer un droit sur l'image. Cette vogue a privatisé ce qui, jusqu'à présent, était considéré comme le champ de l'espace public et a donné une valeur marchande - monnayable - aussi bien aux objets qu'aux personnes.
Les moyens juridiques qui ont permis aux litiges concernant le droit à l'image de se développer sont au nombre de trois: le droit d'auteur, le respect de la vie privé et enfin le problème des propriétaires.
Dans le domaine du droit d'auteur, c'est surtout pour les oeuvres visibles de l'espace public que les contraintes apparaissent. Cependant, seuls les ayants droit semblent alimenter les cabinets d'avocats avec leurs réclamations. A notre connaissance, la seule affaire vraiment sérieuse portée devant la justice a été celle des concepteurs de l'aménagement de la place des Terreaux à Lyon (l'artiste des "colonnes-pyjama" et un architecte, mais avec un résultat nul puisque ces derniers ont été déboutés en cassation.

En ce qui concerne le droit des propriétaires de biens, il y a bien longtemps que ces affaires existent, mais elles étaient peu nombreuses et souvent justifiées. En fait, la saison de folies a débuté le 10 mars 1999 avec l'arrêt Gondrée, qui a éveillé bien des appétits. Le comble du ridicule a été atteint avec l'affaire des propriétaire du volcan La Pariou qui prétendaient privatiser l'image. Ce remue-ménage a provoqué la remise en question du droit qu'ont les auteurs à décider quand et comment leurs oeuvres peuvent être diffusées, puisque ce droit pouvait dorénavant revenir au propriétaire d'un bien représenté. Toute cette hystérie a pris fin le 7 mai 2004, quand la cour de cassation, en audience plénière, a énoncé: "Le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci; il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal..."
Aujourd'hui, la diffusion de toute image d'un bien prise à partir de l'espace public, même à de fins publicitaires, est légale, dans la mesure où cette publication ne cause pas un trouble anormal à son propriétaire.

En ce qui concerne les personnes, il est remarquable de voir à quel point la vie privé a envahi l'espace public. Toute représentation d'une personne appartient désormais à la sphère de sa vie privée, qu'elle se trouve dans un espace public ou privé. Remercions les magazines people, dont les indiscrétions ne sont un secret pour personne et qui ont déclenché toute cette folie. Aujourd'hui, le droit à l'image des personnes est devenu une réalité juridique, conséquence du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Toutefois, ce droit fondamental a ses limites: la liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la même convention, et le droit à l'information qui en découle.
Deux affaires jugées en 2004 permettent de mieux saisir le cadre juridique. Dans la première, un photographe, qui avait portraituré des voyageurs dans le métro parisien, est innocenté par le tribunal de grande instance de Paris. Son travail est qualifié d'"oeuvre artistique par l'originalité de la démarche", et son livre est reconnu comme publication à caractère "artistique et culturel". Dans la seconde, la Haute Cour allemande est contredite par le Cour européenne des droits de l'homme pour avoir débouté une princesse qui réclamait le respect de sa vie privée. La cour a rappelé que la protection de la vie privée doit être "mise en balance avec la liberté d'expression également garantie par la Convention européenne".
Concernant les publications incriminées, la Cour ajoute que "force est de constater que la contribution au débat d'intérêt général fait défaut" et que "le public n'a pas un intérêt légitime de savoir où "C.de" se trouve et comment elle se comporte... dans sa vie privée".

Ce qu'il convient de retenir: prendre des photographies et les diffuser sont deux conduites qu'il faut bien différencier. Tous les problèmes liés au droit à l'image sont provoqués par la diffusion des photographies (à ce titre, ne pas oublier de les légender et de les dater). Mais, en soi, la prise de vue dans l'espace public, n'a pas, a priori, de conséquences.
Par ailleurs, calmons la furie des autorisations: dans l'information, nul besoin de permission. Elles ne sont nécessaires que pour les utilisations caractérisées comme commerciales (communication et publicité) et pour les prises de vue en studio."

Jorge Alvarez, La photographie et le droit à l'image in Photojournalisme, à la croisée des chemins (Olivia Colo, Wilfrid Estève, Mat Jacob), Marval et CFD éditeur, 2005.

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