Blog proposé par Jean-Louis Bec

jeudi 11 septembre 2014

"Le petit outil"

Rubrique: psychologie du  photographe; économie et photographie

- Pourquoi prends-tu tes photos avec ce petit appareil ridicule? D'accord, ce n'est pas un Instamatic, mais ça ne fait pas sérieux. Tu pourrais t'acheter un Leica.
- Ecoute, je n'ai pas choisi cet appareil, mais il m'a convenu. Il n'est pas lourd, il peut se mettre dans la poche, on peut le passer sans problème dans des endroits où il n'est pas bienséant de prendre des photos. Mais surtout j'aime qu'il ne fasse pas sérieux, comme tu dis. Il n'instaure pas avec les gens qu'on photographie ce rapport sérieux, professionnel, rentable. Il n'impose pas.
- Tu veux dire qu'il gruge encore mieux les gens...
- Tu as peut-être raison. Mais je ne sais pas comment t'expliquer, pour moi c'est aussi une affaire de décence, de morale. J'ai une sorte de dégoût pour ces gros appareils érigés avec arrogance sur des ventres souvent bedonnants, ils me font penser aux rembourrages de coton ou de feutre des maillots des danseurs. Et puis, avoir un gros appareil, c'est aussi brandir un capital, un pouvoir d'achat, et en mettre plein les yeux comme on en met plein le cul dans le discours obscène. Tu vois, ça me gêne un peu ces photographes qui vont se promener dans des quartiers pauvres avec leur emblème rutilant, comme un bijou mirobolant autour du cou...
- Ce n'est quand même pas toi qui vas nous faire le coup de la mauvaise conscience sociale... Pense aussi qu'il y a des gens qui n'ont que la technique pour eux, et qui dissimulent ce manque comme un défaut physique. Ce sont eux, parfois, les plus humbles.

Hervé Guibert, L'image fantôme, Les Editions de minuit, 1981.

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