Blog proposé par Jean-Louis Bec

vendredi 17 mai 2013

Cadre hors cadre

Rubrique : art et photographie


- Beaux Arts Magazine: Faut-il aujourd'hui exposer la photographie autrement? Réinventer une façon de l'exposer?

- François Hébel: Non. Je dirais plutôt qu'il est nécessaire de se libérer de ce faux académisme, qui à un moment, a servi à faire reconnaître la photographie. La marie-louise, le cadre, l'alignement, le format "cartier-bressonien" du 30x40 ou 40x50, etc. Aujourd'hui, on commence juste à s'en libérer. Mais c'est récent. Depuis Cindy Sherman, en fait. Je me souviens du rejet provoqué par la présentation, en 1986, de grands tirages couleur: la moitié du conseil d'administration d'Arles avait alors démissionné! Mais la photographie aujourd'hui n'est pas que tirage, elle peut être projection, elle peut être audiovisuelle. Nan Goldin, avec le slide-show audiovisuel Ballad of Sexual Dependency, a libéré un champ fantastique qui, malheureusement, a été peu utilisé par d'autres. Avant elle, l'audiovisuel était méprisable, juste bon pour des photos de vacances. Aujourd'hui, de nouveaux moyens de diffusion apparaissent. Et le numérique a changé la donne. La photographie est en pleine évolution, elle s'invente sous nos yeux. Dire que l'on va la figer dans un genre de présentation ou dans un autre est donc absurde.

- Régis Durand: En dehors de la volonté explicite de l'artiste, toute façon d'exposer la photo, toute conception de l'accrochage, est déjà une lecture de la photographie. C'est une proposition qui est faite et qui ne peut donc pas se décréter à priori. C'est quelque chose qui doit être au service de l'oeuvre, d'une certaine lecture, sans lui faire violence pour autant.

Beaux Arts Magazine: Mais on voit bien, depuis quelques années, se dégager deux principales tendances d'exposition. L'une, très muséale et iconique, privilégiant les formats-tableaux, et l'autre, très contextualisée, présentant, à côté de la photo, planches contacts, carnets de notes, livres, etc... Comment expliquer ces deux mouvements?

- Régis Durand: Cela tient le plus souvent à la nature même du travail photographique. Mais je pense que, dans le second cas, cela participe aussi d'un désir d'être exhaustif, d'une volonté de montrer tout ce qu'il est possible de montrer autour d'une oeuvre. On l'étaye donc avec des documents, du matériel. Parfois, cela peut avoir du sens et éclairer l'oeuvre, comme dans le cas de Stanley Greene, par exemple; d'autres fois, cela détourne de l'oeuvre, qui s'en passerait bien.

- Quentin Bajac: On est parfois dans une confusion entre ce qui devrait être exprimé par le catalogue ou le livre et ce qui doit être montré dans l'exposition. Dans une exposition, on est dans le registre du visuel où la scénographie, comme le disait Régis Durand, doit être au service à la fois de l'oeuvre mais aussi de ce que veut transmettre le commissaire. Et, je suis d'accord avec François Hébel, il faudrait sans doute redécouvrir d'autres formes de présentation. Le modèle pictural de verticalité assumée, à l'oeuvre dans les années 1980-1990, s'il visait une forme de légitimité de la photographie, a gelé les choses en termes de présentation. On a oublié le caractère protéiforme de l'image photographique dont il faut savoir jouer, quand c'est pertinent. Songeons aux expositions des années 1920 à 1950, à celles des avant-gardes notamment, et à la façon singulière de présenter la photographie qui s'est, depuis, perdue au profit de quelque chose de plus classique, figé. Il faut en effet réinventer d'autres formes, des formes-écrans, des formes-affiches, des formes murales, qui sortiraient à la fois du 30x40 encadré sous marie-louise et de la trop fréquente forme tableau, qui s'avère parfois un contresens par rapport aux intentions initiales du photographe.

- Valérie Fougerol: Mais il y a aussi un vrai retour du petit format encadré de manière classique. C'est rassurant de ne pas être obligé d'avoir le grand format tableau photographique. Tout est possible. D'un côté, Luc Delahaye qui tire en grand, de l'autre côté Lise Sarfati qui tire en tout petit. Pour exister, une image n'a pas besoin de s'affirmer aussi fortement."

 Qu'est-ce que la Photographie aujourd'hui?, Beaux Arts Editions, 2007.

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