Blog proposé par Jean-Louis Bec

vendredi 7 décembre 2012

Le pouvoir des images pour un pouvoir sans image


Rubrique : lecture des photographies


Pour l'intégriste, il n'y a pas d'écart entre le réel et sa représentation: être en présence d'images de certaines réalités, c'est être directement exposé à ces réalités -sinon souillé par elles. Ainsi la photographie pornographique n'est pas seulement description, elle est une composante essentielle des activités obscènes. Il faut censurer ces images parce qu'elles vont conditionner notre perception des enfants et des femmes; elles vont inciter à des actes indécents où l'acte photographique sert de prétexte pour manipuler les modèles; elles constituent un miroir pervers où ce qui ne peut être fait rejoint ce qui ne peut être vu. Nous retrouvons un reste de l'interdit archaïque: il faut interdire les images dans la cité parce que les images ont le pouvoir de se reproduire elles-mêmes. Ainsi, concrètement, une image induit des comportements immoraux, lesquels seront à leur tour l'objet d'une séance photographique, quand les photographies qui en résulteront induiront de nouveau des comportements immoraux parce que ces images font appel aux parties les plus basses de l'âme humaine et contaminent bientôt tout le corps social. Les intégristes, partisans d'un contrôle maximal des images, considèrent que la liberté d'expression sert en bout de ligne à encourager les cultes sataniques où l'on abuse des enfants et les photographie de manière scabreuse. Car, les images ayant un pouvoir irrépressible d'"inciter", l'image sexuelle en particulier, par la jouissance virtuelle qu'elle procure, provoquera à tous coups un désir mimétique. A la limite, c'est l'industrie hollywoodienne qui, plus qu'irresponsable, serait satanique.

Pour les tenants d'une position éthico-culturelle forte en faveur de la censure, la question est de savoir si une représentation avec un contenu sexuel, sous le couvert de l'attrait et de la stimulation esthétiques, peut provoquer un crime sexuel et inciter à l'immoralité. Aux USA, la President's Commission on Obscenity and Pornography, de 1970, n'a pu établir après deux années d'étude un lien explicite entre le fait d'être exposé à un matériel sexuel et des comportements criminels et délinquants. La Meese Commission on Pornography et la Surgeon's General's Conferance on Pornography, en 1986 n'ont toujours pas établi ce lien. Pourtant la position pro-censure ne cesse de prêter ce pouvoir d'incitation à l'image. Ainsi il a été allégué il y a quelques années (Ms. magazine, décembre 1993) que les images pornos ont joué un rôle aussi important que la haine ethnique dans les viols de femmes croates par les Serbes: l'image porno serait l'expression d'une haine ethnique envers les femmes et vice-versa. C'est alors que la pornographie devient l'instrument d'un génocide.

Michaël La Chance, Frontalités, Censure et provocation dans la photographie contemporaine,vlb éditeur, 2005


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