Blog proposé par Jean-Louis Bec

dimanche 21 octobre 2012

Connaissance intime


Rubrique : langage et photographie


Une partie de "la photographie contemporaine s'attache à rendre compte de la vie intime. Nombre de photographes (...) adoptent des démarches qui tiennent de l'apparente spontanéité, de la subjectivité, de la quotidienneté et de la confidentialité, démarches qui contrastent nettement avec les stratégies réfléchies et  complexes. Si l'on veut réussir à à appréhender au  mieux la photographie de l'intime, il est essentiel d'observer comment elle emprunte au langage de la photographie de famille et le réutilise en vue d'une présentation publique. Les photos de famille n'ont généralement que peu d'intérêt, tant du point de vue technique que de l'approche esthétique. Rétrospectivement, nous pouvons certes regretter les mauvais cadrages, les doigts devant l'objectif et autres "yeux rouges" mais, en fin de compte, ce ne sont pas ces critères qui nous amènent à penser qu'une photographie est réussie ou ratée. Ce qui est important, c'est la présence d'êtres chers lors de moments ou d'évènements dont la signification a suscité chez nous l'envie d'appuyer sur le déclencheur. Plusieurs photographes ont délibérément choisi de donner à leurs photographies l'aspect -si familier- d'une photo ratée: cadrage aléatoire, image floue, lumière du flash non homogène, couleurs criardes des tirages machine, etc. Dans le contexte de la photographie intime, ces "défauts" techniques deviennent l'un des moyens de transmission de l'expérience privée. L'artiste choisit en toute conscience d'utiliser ce procédé pour signaler l'étroitesse des liens qui l'unissent à son sujet.

Généralement, nous prenons des photographies à des moments symboliques de notre vie familiale, pour témoigner de nos liens affectifs ou de nos réussites sociales. Ce sont des moments auxquels nous souhaitons nous raccrocher, émotionnellement et visuellement. Le plus souvent, les situations en question sont des moments de communion et de partage. Les images servent aussi à marquer certains rites de passage, telle l'arrivée d'un nouveau-né à la maison. Les photographies familiales permettent de visualiser le bon fonctionnement des rôles de chacun et de les célébrer. Cependant, les choses que nous considérons comme banales ou taboues demeurent absentes de ces images. Or, tout en embellissant l'esthétique des portraits de famille, la photographie contemporaine de l'intimité remplace souvent les scénarios attendus par leurs envers émotionnel: tristesse, disputes, toxicomanie ou encore maladie. Elle choisit également comme sujet les non évènements de la vie quotidienne: le sommeil, les conversations téléphoniques, les trajets en voiture, l'ennui ou encore l'absence de communication. Lorsque des évènements sociaux sont illustrés, ils paraissent en opposition avec le reste de la scène. Pastiches de la normalité, ils symbolisent alors l'échec des conventions sociales à maintenir l'ordre: un bouquet de fleurs à côté d'un lit d'hôpital, un modèle que l'on a forcé à sourire alors qu'il était en larmes.
La photographie de l'intime oeuvre également à la reconstitution de ce qui transparaît dans nos photos de famille. En observant nos clichés familiaux, nous pouvons tous, en effet, deviner certaines relations sous-jacentes. Qui est à côté de qui sur la photo de groupe? Qui est absent? Qui a pris la photo? Et avec le recul, nous cherchons les indices visuels d'évènements qui se sont produits plus tard : certains signes permettraient-ils déjà, lors d'un mariage, de prévoir par exemple le divorce qui allait suivre ?

Charlotte Cotton, La photographie dans l'art contemporain, Thames§Hudson, 2005.


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