Rubrique : langage et photographie
Venons-en au son. Puisque j'ai pris tant de soin, dans mes propres recherches, à désarticuler l'évènement sonore, voire le discours musical pour en isoler des fragments, ou mieux pour en discerner les objets constituants ne vais-je pas être tenté de comparer à l'instantanéité photographique, tel ou tel objet sonore extrait de son contexte, indéfiniment répété, comme le sillon fermé de nos débuts?
Oui, on pourrait vouloir ce rapprochement, du moins pour ceux qui tentent ces hasardeux zigzags entre son et lumière. (...) C'est que le temps ne s'est pas arrêté et que notre confrontation n'est pas vraiment pertinente, elle n'est que symbolique, et encore: avec le son, il n'y a jamais d'instantané."
Dans L'instantané, Pierre Schaeffer analyse la photographie au regard du son. Pour souligner la pertinence de cette entrée, il inscrit la photographie dans un monde audiovisuel dont elle constitue l'un des éléments pour en étudier l'espace et le temps, la rhétorique. De nombreuses oeuvres nourrissent, en effet, un tel projet.
Les correspondances des photographies de nuages d'Equivalents, séries d'Alfred Stieglitz réalisées dans la décennie 1920, s'établissent avec l'expérience de l'équilibre et du chaos qu'a l'artiste. Perception du monde que figure la métaphore musicale à laquelle a recours ce photographe et intellectuel visionnaire, dès lors qu'il présente ces images: "Je me mis donc à travailler sur les nuages, chaque jour pendant des semaines et dans une grande exaltation. Je savais exactement ce que je cherchais. Une série de photos dont Ernest Bloch (le grand compositeur) pourrait dire: "La musique! La musique! Mais c'est la musique même!" Ce qu'il dit mot pour mot, quand je les lui montrai."Ou encore les photographies de l'exposition Interpretazioni (1992), où Joan Fontcuberta, Duane Michals et Riwan Tromeur, notamment, créent un lien moins figuratif ou narratif que poïétique, plastique et poétique en codant autrement les musiques respectivement de Jeoffrey Oryema, les Musiciens du Nil ou Nusrat Fateh Ali Khan. Ils mettent en forme leurs rythme, traduisent depuis les sons la perception imaginaire qu'ils ont de figures, de symboles."
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"Abraham Moles propose une analyse rigoureuse des relations entre la photographie et la phonographie, toutes deux étant des prélèvements d'instantanés, visuels ou sonores; cet article vise à les rapprocher sur un plan temporel. En effet, produit des enregistrements, le son possède une autonomie perçue par segments. C'est d'ailleurs ce qui distingue, pour Moles, l'enregistrement des sons, proche de l'instantanéité, de celui de la musique, procédant de la durée, et dont le déroulement de la bande magnétique demeure symbole. Or, faire revenir une bande magnétique en arrière, pour restituer des propos ou une atmosphère, couper, monter renvoient au fondement de l'enregistrement, sonore, mais aussi photographique: Moles l'évoque, à travers la notion d'images sonores que les travaux de Pierce permettent d'interpréter. D'une part, le son procédant d'un enregistrement renvoie à son référent: "Lire un paysage sonore, écrit Moles, c'est être capable d'attribuer un nom aux sources de chacune des composantes." Mais ensuite, ce son, mentalement, peut faire image et acquérir une signification. Dès lors: "Les sons, les images et les formes se répondent ou se répètent dans une attribution nécessaire." Il est donc possible de réaliser un portrait ou un paysage avec des sons, comme la précision d'une photographie pourrait le faire, car le son devient déchiffrable (à travers son indicialité), et, progressivement, au fil de l'identification des segments qui le composent, il acquiert un sens dont la métaphore de l'image révèle le caractère heuristique.
Alexandre Castant, La photographie dans l'oeil des passages, L'Harmattan, 2004.
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