Blog proposé par Jean-Louis Bec

lundi 23 juillet 2012

L'image dans la peau


Rubriques : lecture de la photographie ; psychologie du photographe


La relation que nous établissons avec les images est souvent comparée à celle d'un nouveau-né fasciné par le regard de sa mère. Cette comparaison est toujours inquiète. Qu'il s'agisse de représenter la télévision en nourrice ou en baby-sitter, ou bien le spectateur de cinéma en nourrisson captivé, ce sont toujours la régression et ses écueils qui sont évoqués: nous serions dépendants des images comme d'une mère omni potente et risquerions toujours d'être manipulés par elles à notre insu. Bref, la "mère" n'est pointée dans nos relations aux images que pour être aussitôt assimilée aux pires dangers. D'ailleurs la comparaison ne s'arrête pas là, puisque les images sont aujourd'hui volontiers tenues pour responsables de tous nos maux, un peu comme l'étaient les mères dans les années 1960, notamment pour les maladies comme l'autisme ou la psychose!
Pourtant, si la relation que l'être humain noue avec les images évoque bien celle qu'un nourrisson établit avec sa mère, ce n'est pas seulement dans ses aspects préoccupants et inquiétants. Nous régressons face aux images, c'est vrai, mais c'est souvent portés par le désir de nous soigner. Comment? En remettant en quelque sorte sur le métier nos premières relations au monde afin de renouer avec leurs aspects positifs. Le nouveau-né construit en effet au cours de ces premières relations des repères qui lui seront utiles sa vie entière, et nous cherchons à faire la même chose dans notre rapport aux images. Bien entendu, nous tentons aussi de renforcer nos premiers acquis à travers des relations humaines privilégiées, qu'elles soient amoureuses ou seulement amicales. Mais le lien exceptionnel qui lie un nouveau-né à sa mère ne se retrouve que bien rarement dans nos relations sociales. Accepter sans inquiétude une relation de dépendance totale à quelqu'un nous séduit par certains côtés, mais nous terrifie par d'autres! C'est pourquoi nous ne sommes pas prêts à nous y abandonner, et quand cela se produit -notamment lorsque nous sommes follement amoureux-, nous craignons de nous y dissoudre!
Or c'est là que les images interviennent. Avec elles, pas d'inquiétude. Si nous nous abandonnons dans leurs bras, nous savons qu'elles n'en abuserons pas et que nous resterons toujours maître du jeu. En outre, elles sont constamment disponibles, ce qui est loin d'être le cas de nos interlocuteurs réels. C'est pour cela qu'on peut y recourir dans l'espoir de surmonter pratiquement toutes les difficultés et que, bien souvent, rien ne les remplace dans l'usage que nous en faisons.
Selon les cas, les images nous soutiennent, nous transportent, nous confortent ou nous réconfortent, nous apaisent, nous terrifient, nous câlinent, nous stimulent ou nous excitent, exactement comme un mère le fait avec son nouveau-né. Mais la différence est que c'est nous qui adoptons à notre gré nos "mères-images" en fonction de nos attentes à leur égard, alors que nos mères réelles nous sont données définitivement à la naissance. Bref, les images sont nos "mères adoptées" que nous prenons et abandonnons aussi souvent que nous le désirons, sans culpabilité ni honte. Car lorsqu'elles ne correspondent pas à nos attentes, nous n'hésitons pas à les condamner sans appel. C'est toujours de leur faute!

Serge Tisseron, Comment Hitchcock m'a guéri ; Que cherchons-nous dans les images?, Pluriel 2010, Albin Michel 2003.

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