Rubrique : psychologie du photographe
Man Ray et Moholy-Nagy, qui provoquaient volontairement les erreurs (lors de la réalisation de photographies) à des fins expérimentales, sont remplacés par Darget, Luys ou Baraduc qui les subissent inconsciemment. Nobobstant ces différences, la vertu de l'erreur demeure: là où elle permettait de trouver de nouveaux sujets, de découvrir les potentialités inédites du médium, elle offre désormais une meilleure compréhension des motivations de l'opérateur. C'est sans doute pour cette raison que la photographie ratée est aujourd'hui utilisée en psychothérapie ou en psychanalyse. Psychiatre à Chalon-sur-Saône (la ville de Nicéphore Niepce), le docteur Gilles Perriot, qui se définit lui même comme "photothérapeute", utilise ainsi, depuis près de vingt ans, la photographie comme support de verbalisation. Dans le cadre de ce qu'il appelle des "photothérapies d'inspiration analytique", il a particulièrement recours à tout ce qui peut faire surprise: "les flous et les bougés, les ruptures dans le cadrage et les formes..." et permet ainsi de "libérer une parole jusqu'ici enfouie". "S'il faut donner un exemple clinique de ce que j'attends du support photographique en thérapie, écrit-il, ce sera en prenant un de ces "ratés" qui font parler, qui nous mènent insensiblement à évoquer nos ressentis comme notre passé. Les patients en réalisent toujours soit par défaut technique, soit par accident, ce dernier prenant alors parfois le sens de lapsus. Je montrerai pour illustration un raté du développement avec juxtaposition de deux images: la galerie de l'hôpital menant au pavillon et le pied de l'intéressé. Cette surimpression était trop évocatrice d'un rejet (par coup de pied) de l'hospitalisation ou, tout du moins, de l'ambivalence de la patiente pour qu'il n'en fût pas question ensuite entre nous et que ne s'élabore après coup une plus grande facilitation à exprimer des vécus. Perriot ne manque pas de le préciser: dans la plupart des cas, ce n'est pas l'accident de prise de vue qui est révélateur, mais la lecture opérée ensuite par l'opérateur. Il apparaît en somme ici que l'opérateur est aussi le premier regardeur.
Clément Chéroux, Fautographie, petite histoire de l'erreur photographique, Editions Yellow Now, 2003.
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