Blog proposé par Jean-Louis Bec

dimanche 27 mai 2012

Au flou!


Rubrique :  art et photographie; photographie du XIXième


Les historiens s'accordent à voir dans Le champ d'oignons (1890) de George Davidson (1854-1930) la première photo impressionniste, car, prise au sténopé (un trou fait à l'épingle remplaçant l'objectif), elle est nimbée d'un flou artistique. Peter Henry Emerson (1856-1936) avait auparavant introduit l'idée d'une photographie "naturaliste" (Naturalistic Photography, 1889) grâce à une mise au point sélective ("differential focusing"). Le sujet devait être net, mais le premier plan, comme l'arrière-plan, devait être un peu flou; le résultat représentait mieux, selon Emerson, l'impression que l'oeil recevait devant un paysage. De même, il évite complètement, dans ses photogravures, le noir absolu et le blanc pur, préférant des valeurs atténuées: le gris foncé et la couleur crème. Or, Emerson avait, par sa pratique, déjà dépassé sa propre théorie. Dans les illustrations qu'il fit pour l'édition "Lea & Dove" du Compleat Angler d'Izaak Walton (1888), il alterne les paysages "naturalistes", où seul un sujet choisis est net, avec les images volontairement floues. C'est le premier livre pictorialiste.
Le mouvement pictorialiste, qui prit son essor dans les années 1890, imposa l'idée que la photographie pouvait être de l'art, notamment lorsqu'elle montrait des images qui ressemblaient à des aquatintes ou à des sanguines. Des objectifs fabriqués pour garantir le flou, de nouvelles techniques de reproduction photomécanique qui permettaient l'intervention manuelle (telle la gomme bichromatée), laissait voir parfois "la main de l'homme", toutes les astuces qui apportaient un flou artistique produisaient un effet d'"atmosphère". Par le sacrifice des détails inessentiels, que l'objectif transcrivait mécaniquement, le photographe d'art prouvait qu'il n'était pas l'esclave de sa machine.
Deux débats subsistaient alors: les partisans du net s'opposaient à ceux du flou, et les scientifiques aux artistes. Mais, parmi les avocats du flou, il existait encore deux tendances: ceux qui admettaient un peu de flou, et ceux qui prônaient le flou radical. C'est au sujet de l'excès de flou et des facilités qu'il offre que le poète Anon ironise.


CONTRE LES FLOUISTES

Amis, parmi vos vieux clichés
Cherchez d'abord le plus raté.

Qu'il soit surtout hors de foyer,
peu posé, mal développé.

Puis sur papier très fort grainé
Très noir aussi vous imprimez.

Dans vieux fixage vous plongez,
Ayant grand soin laisser ronger.

Du vernis jaune vous recouvrez,
La fin du jour, intitulez;

Au Salon d'Art vous exposez.
Et la réclame faisant jouer,
Un jour, Grand Maître, serez sacré.

Dans votre barbe, chez vous, rirez
Du bon public, si bien floué.
     (Bulletin belge.)

Vers extraits de Photo-Revue, journal des photographes et des amateurs de photographie, n°12 Bis (1er avril 1895) p 96.


Paul Edwards, je hais les photographes!, Anabet éditions, 2006.


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