Blog proposé par Jean-Louis Bec

samedi 14 avril 2012

Icônolatrie iconoclaste (2)


Rubrique : art et photographie


L'approche historique et critique de l'artiste Jeff Wall est bien différente. Mais la position de Wall au regard de l'essai historico-critique est connue: cet exercice non seulement se confond avec sa pratique artistique, mais, à bien des égards, en forme le cadre de légitimation théorique et historique. Le postulat de Wall est pour le moins inverse de celui que l'on a pu observer dans l'étude de Roberts. En effet, il s'agit pour Wall d'établir un principe (...) qui définit la photographie comme un art moderniste. La révision moderniste de la photographie à laquelle Wall se livre consiste - au travers de l'analyse des deux modèles journalistiques et amateurs adoptés par les artistes- à établir la nature descriptive de la photographie non comme une valeur d'usage mais comme une capacité à la constituer en objet (l'Image). Toutes les "marques d'indifférence", entendons cette rhétorique du prosaïsme  propre au photoreportage comme à l'amateurisme, n'opèrent pas, selon Wall et à la différence de Roberts, comme une critique parodique du minimalisme et du pop art. C'est à dire précisément, des courants qui ont rompu avec l'esthétique moderniste, qui ont esthétisé des formes de standardisation, dont ils se révèlent eux-mêmes, si l'on suit Wall, comme un pur produit. L'opération est donc clairement celle qui consiste à renouer le fil interrompu du modernisme. Il restait toutefois à comprendre ces photographies critiques, à l'esthétique "réductiviste", dans une perspective positive. Selon Wall, les images du conceptualisme n'ont trouvé les conditions de leur accomplissement -et donc du dépassement de leur soumission aux discours et au langage que leur imposait leur fonction critique -que par la revalorisation de la description: véritable forme esthétique, et partant d'accès au rang de représentation (dont la forme tableau a été exemplaire). A bien des égards, cette analyse, produite en 1995 sur le conceptualisme des années 1970, cherche à expliquer avec l'autorité d'un processus historique ce qui n'a été que la proposition de quelques-uns. Néanmoins, et ce n'est pas le moindre de ses intérêts, le texte de Jeff Wall cherche à penser cette transformation à l'intérieur du cadre général de l'histoire de l'art contemporain, en affichant clairement l'inscription de la photographie dans une histoire du modernisme. On le verra, cette position en induisait une autre, et qui en est aussi l'explication: le rejet des thèses post-modernistes.
Il faut par ailleurs dire un mot de l'influence remarquable qu'a constitué l'approche sémiologique de la photographie à partir des années 1960 et plus de vingt années durant, dans ce que l'on peut qualifier de "moment théorique", allant des conférences de Rolad Barthes (1961-1964) aux travaux de l'Américaine Rosalind Krause ( réunis et traduits en France en 1990). Ces travaux ont consisté en une vaste tentative d'élucidation de l'essence de la photographie. Comprise sur le mode d'un langage, l'image subit tour à tour les investigations ontologiques ou phénoménologiques, elle devient un lieu de déconstruction et d'expertise sociopolitique (publicité) aussi bien qu'un modèle tautologique post-conceptuel (Denis Roche); mais aussi un instrument de critique et de réécriture de l'histoire de l'art (Krauss). Le plus important aujourd'hui est de remarquer, comme l'a bien signalé Dominique Baqué, à quel point ces travaux ont contribué à la légitimation théorique de la photographie. Ajoutons encore que cette légitimation s'est ajustée à la plus-value engrangée lors de l 'épisode conceptuel, à savoir le crédit acquis par la photographie sous le sceau d'une appartenance à la tradition d'un art critique. Et l'on peut dire que, dès les années 1980, la "photographie contemporaine" fait l'expérience de cet héritage critique. La plupart des formes expérimentales de la photographie contemporaine se donnent même à comprendre comme leur accomplissement historique.

Michel Poivert, La photographie contemporaine, Flammarion, 2010.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire