Blog proposé par Jean-Louis Bec

samedi 24 mars 2012

Dans le plus simple appareil


Rubriques : lecture de photographies ; art et photographie



jean-louis bec, Laverune (Hérault), 04/2006,  arg


L'histoire de l'art photographique peut être illustrée par le seul recours au nu photographié, tout comme celle de l'art moderne, d'Ingres à Picasso, peut l'être à partir d'exemples tirés du nu pictural. Sans entrer dans les détails des critères qui permettent ou non d'attribuer à une représentation picturale le statut de "nu", on peut d'ores et déjà noter la permanence du nu photographique, dès le début des années 1840, jusqu'à notre époque, en passant par le haut modernisme tel qu'il s'incarne dans l'oeuvre d'Edward Weston. Le "genre" serait donc durable, mais la question du nu peut être envisagée d'une manière plus analytique et plus critique, par le biais de quatre propositions qui s'écartent des traditionnelles considérations formalistes ou esthétiques caractéristiques des discours sur le nu, que ce soit en peinture, en sculpture ou en photographie.
La première proposition soutient que tout terme consacré (le nu, l'art, l'art photographique,etc.) se définit structurellement par ce qu'il exclut. Ainsi les exclusions propres à toute production d'objet identifiable comme nu permettent-elles non seulement d'appréhender des idéaux culturels, mais aussi de rassembler toute une série de données sur les angoisses sociales, culturelles et psychiques qui gravitent autour de la notion de corps.
En second lieu, une forme culturelle, qu'elle qu'elle soit, ne perdure que parce qu'elle accomplit, d'une manière ou d'une autre, un travail idéologique, perçu ou non comme tel. Le "travail" du nu photographique nous dira ainsi quelque chose sur la différence sexuelle ou sur les relations de pouvoir, puisque le sujet photographié, homme ou femme, ainsi que la manière dont il ou elle est représenté renvoient immanquablement à un contexte social particulier. Il faut considérer, en troisième lieu, la nature du regard lui même. Comme Jacqueline Rose l'a démontré dans un essai devenu classique, le champ visuel est traversé, troublé même, par les errances de l'instinct, les divergences des buts et les contingences du désir. Outre la relation entre le sujet regardant et l'objet représenté, le champ visuel inclut également des projections, des investissements et des fantasmes qui dépassent largement le domaine de l'esthétique. Il faut donc, lorsque l'on aborde le nu photographique, tenir compte des données à la fois culturelles et psychiques sur lesquelles se fonde sa composition. Car, si le nu en tant que forme esthétique privilégiée opère au niveau symbolique, l'effet qu'il produit, la nature et les conditions de sa réception et de sa consommation opèrent également au niveau de l'imaginaire.
Ma quatrième et dernière proposition concerne les termes de "gender", en anglais (c'est à dire la différence sexuelle), et de "genre", en français et en anglais, ces deux notions s'impliquant mutuellement. Qu'elle soit abordée en termes de type, de convention, ou de genre, toute problématique au sujet du nu doit impérativement s'intéresser au contexte, au cadre historique, ne serait-ce que parce que le genre en tant que tel est désormais figé dans un discours qui le "neutralise" et, de ce fait, escamote les questions portant sur le genre et la différence sexuelle, questions que seul l'examen critique rétrospectif peut rétablir".

Abigail Solomon-Godeau, genre, différence sexuelle et nu photographique in La confusion des genres en photographie, Bibliothèque nationale de France, 2001.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire