Blog proposé par Jean-Louis Bec

dimanche 11 décembre 2011

Sinusoïde de la dédicace


Rubrique : psychologie du photographe


Ruth était obsessionnelle, et ce trait de caractère la faisait énormément souffrir car il l'empêchait de se remettre aussi facilement que d'autres de ses déboires sentimentaux, ses désillusions, ses contretemps et autres petites tragédies quotidiennes. D'un autre côté, cela lui permettait de travailler avec un entrain herculéen, s'adonnant à la caméra comme une maîtresse à son amant, et à ses amants comme s'ils étaient des dieux, avec une passion dévote qui frisait le martyre (sinon en durée, du moins en intensité). Beaucoup de gens avaient obsédé Ruth au cours de son existence, elle ne les avait pas pour autant fait entrer dans sa vie. Parfois elle se contentait de regarder de loin. Ce pouvait être des amours platoniques, des étoiles inconnues, des amants d'une nuit, des amies. Des personnes dont elle avait besoin pour créer. Tout ce que Ruth avait écrit, joué, filmé avait été conçu pour quelqu'un. Chaque monologue, chaque cadrage, chaque plan avait un destinataire. Elle pensait à ce quelqu'un lorsqu'elle filmait ou jouait, et le fait de savoir qu'il existait, qu'il pourrait voir ses images un jour, devenait le carburant qui faisait fonctionner sa machine à créer, à donner, à se montrer, à communiquer. Ruth ne pouvait dire de ces personnes qu'elles l'avaient inspirée mais plutôt qu'elles étaient des  miroirs. Elle écrivait, filmait ou jouait pour une seule et unique personne, même si au fond c'était pour elle-même. Sans l'intervention d'un tiers, elle ne pouvait se placer ni devant ni derrière une caméra. Ses obsessions étaient comme un catalyseur. Elle avait besoin de se reconnaître en quelqu'un d'autre, elle était incapable de se voir sans le truchement d'autrui.

Lucia Etxebarria, De l'amour et autres mensonges (2001), Editions Denoël pour la traduction française, 2003.

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