Blog proposé par Jean-Louis Bec

samedi 15 octobre 2011

Conscience de science


Rubrique :  sciences de la photographie


J'interprète la photographie dans le contexte d'une posture scientifique plutôt que philosophique, plutôt que comme un produit syncrétique de la philosophie. La photographie est une technologie, une technique qui simule la science, une intelligence artificielle, mais qui ne redouble pas le Monde. La philosophie est elle-même une autofactualisation de la photographie, une illusion réaliste et fétichiste. Pas la photographie elle-même, mais une certaine interprétation de la photographie. Je pense que la plupart des interprétations qui sont données de la photographie reposent sur un certain nombre de présuppositions philosophiques en général peu ou mal élucidées. D'ailleurs, cela n'est pas le problème des théoriciens de la photographie d'élucider ces présuppositions. Mais on s'aperçoit que ces interprétations, finalement philosophiques, par exemple la fonction d'un primat de la technologie ou de la perception du Monde, d'une manière générale, il faudrait peut être les déraciner, du moins est-ce mon projet, et interpréter la photographie comme complètement déterritorialisée par rapport à la sphère de la perception au sens large.
On peut donner une lecture du phénomène photographique en attribuant au modèle de la perception, voire au modèle de la phénoménologie et à celui de la sémiologie une place justement ou une fonction précise, car ce n'est le tout à partir duquel on doit interpréter le phénomène.
Une multiplicité d'interprétations est possible bien entendu à partir des différentes positions philosophiques. Je ne discute pas cela, mais j'essaie de proposer une autre interprétation, qui ne repose pas sur des présuppositions qui sont celles, classiques, de la philosophie, mais qui se rattache plutôt à ce que  j'appelle une posture scientifique ou à la naïveté de cette posture, plutôt qu'à la naïveté phénoménologique de l'être-au -monde. C'est là que je chercherais à enraciner l'acte photographique.
Il s'agit d'une description positive. Justement, on ne se réfère plus à l'être-au-monde, au paradigme de la perception, mais on prend plutôt le modèle de la posture scientifique qui retire à la vue comme à la perception l'essence du rapport le plus authentique à la réalité. La phénoménologie est fondée sur une pratique et une théorie du voir; le voir phénoménologique tel que le décrit Husserl est encore un voir orienté essentiellement par le Monde, donc par la transcendance du Monde et des projets. Ce dans quoi j'essaie d'enraciner le processus photographique, c'est ce que j'appelle la force-indivise-de-vision, ce que j'ai décrit antérieurement comme "vision-en-un". Cette force (de) vision n'est pas tout à fait le voir phénoménologique, car c'est une vision purement immanente. Du moins dans sa réalité.  Ainsi, le processus photographique ne survole pas le Monde, il se produit parallèlement à lui et aux objets. Parallèlement: non pas dirigé d'entrée de jeu et directement sur les objets comme on pourrait l'imaginer à partir du modèle de la perception. Il prend plutôt
appui localement sur le Monde, sur les objets, sur les motifs, les scènes de l'histoire ou les évènements, sur l'espace et le temps de la Cité. Ce ne sont que des appuis.

François Laruelle, Pour la photographie, la vision non-photographique, GERMS, 1990.

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