Blog proposé par Jean-Louis Bec

mercredi 12 octobre 2011

L'image des légendes


Rubriques : texte et photographie ; lecture de photographies


Il suffit souvent de peu de choses pour donner à des photos un sens diamétralement opposé à l'intention du reporter. Je fis l'expérience dès mes débuts. Avant-guerre, la vente et les achats de titres à la Bourse de Paris se passaient encore en plein air sous les arcades. Un jour, j'y faisais tout un ensemble de photos, prenant comme cible un agent de change. Tantôt souriant, tantôt la mine angoissée, épongeant son visage rond, il exhortait les gens à grand gestes. J'envoyais ces photos à divers illustrés européens sous le titre anodin: "Instantanés de la Bourse de Paris". Quelques temps plus tard, je reçus des coupures d'un journal belge, et quel ne fut pas mon étonnement de découvrir mes photos sous une manchette qui portait:"Hausse de la Bourse de Paris, des actions atteignent un prix fabuleux". Grâce aux sous-titres ingénieux, mon innocent petit reportage prenant le sens d'un évènement financier. Mon étonnement frisa la suffocation quand je trouvai quelques jours plus tard les mêmes photos dans un journal allemand sous le titre, cette fois, de "Panique à la Bourse de Paris, des fortunes s'effondrent, des milliers de personnes ruinées". Mes images illustraient parfaitement le désespoir du vendeur et le désarroi du spéculateur en train de se ruiner. Il était évident que chaque publication avait donné à mes photos un sens diamétralement opposé, correspondant à ses intentions politiques. L'objectivité de l'image n'est qu'une illusion. Les légendes qui la commentent peuvent en changer la signification du tout au tout.

Gisèle Freund, Photographie et société, Editions du Seuil, 1974.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire