Rubrique : art et photographie
Juxtaposons d'une part la primauté accordée par les surréalistes eux mêmes à l'illustration photographique, et, d'autre part, l'impuissance dont les concepts stylistiques dérivés du code formel de la peinture (distinctions entre linéaire et pictural, entre figuratif et abstrait) sont frappés lorsqu'il s'agit de dégager une unité quelconque dans la diversité apparente de la production surréaliste. Impuissance qui empêche de formuler ce que Rubin appelait "une définition intrinsèque" du surréalisme. Si l'on met bout à bout ces deux éléments, on est conduit à admettre que ce sont les règles de la photographie elle-même plutôt que celles de la peinture qui pourraient fournir une telle définition. Autrement dit, que l'étude des fonctions sémiologiques de la photographie permettra mieux de résoudre les problèmes posés par l'hétérogénéité du surréalisme que ne peuvent le faire les propriétés formelles déterminant les catégories stylistiques traditionnelles de l'histoire de l'art. Ce dont il s'agit, par conséquent, c'est de changer la position de la photographie, de la déloger de la place excentrée et marginale qu'elle occupe par rapport au surréalisme pour la mettre à une place absolument centrale, une place, pourrait-on dire, définitive.
On peut naturellement rétorquer que chercher dans la photographie le principe d'unité du surréalisme, c'est simplement remplacer un problème par un autre. Car la même hétérogénéité visuelle règne au sein de la photographie surréaliste que dans la peinture et la sculpture de ce mouvement. En examinant rapidement l'éventail des genres de la photographie surréaliste, on note:
1- les images tout à fait banales par Boiffard pour la Nadja de Breton
2- les photographies moins banales mais toujours moins manipulées publiées par Boiffard dans Documents, (comme celles qui illustrent l'essai de Bataille sur le gros orteil).
3- également "non manipulées" mais posant certaines questions sur le statut du témoignage photographique, les images documentaires d'objets sculpturaux qui n'avaient d'autre existence que celle que leur prête la photographie et qui furent immédiatement démantelés après avoir été photographiés (voir Hans Bellmer et Man Ray).
On touche ensuite au vaste ensemble des procédés de manipulation de l'image:
4- l'utilisation fréquente de tirages négatifs
5- les recours aux expositions multiples ou au tirage de plusieurs négatifs superposés, donnant un effet de montage
6- différentes sortes de manipulations à l'aide de miroirs, comme dans les distorsions de Kertesz
7- les deux procédés rendus célèbres par Man Ray: la solarisation et l'image réalisée sans appareil photographique-le rayographe ( ce dernier procédé séduisait évidemment les surréalistes par la qualité cursive, graphique des images sur un fond abstrait et sans épaisseur, et par le statut psychologique que ces images, fantômes d'objets, semblent avoir acquis. Ribemont-Dessaignes les appelaitr "objets de rêve" et Man Ray lui même les situait plutôt dans le domaine de la mémoire, étant donné qu'ils "rappellent plus ou moins clairement les évènements, comme les cendres intactes d'un objet consumé par les flammes".
Enfin la technique que Raoul Ubac appellait le brûlage, dans laquelle l'émulsion est fondue.(...)
Si longue que soit cette liste, il y manque le photomontage. Cette forme d'image, dont Dada fut le pionner, fut rarement utilisée par les photographes surréalistes, bien qu'elle séduisît certains poètes surréalistes qui en réalisèrent.
Rosalind Krauss, Photographie et surréalisme in Le Photographique; Pour une Théorie des Ecarts, Macula, 1990
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