Rubriques : photographie objective et subjective ; art et photographie
.... si le reporter photographe reste fidèle à la mythologie du scoop et à ce que Roland Barthes a nommé dans ses Mythologies la "photo-choc", le photographe plasticien, lui, opte tout au contraire pour la pose et, contre la fugacité de l'instant signifiant, choisit le hors-temps, le non-temps de la fixité de son modèle. Enfin, tandis que la photographie de reportage demeure souvent encore en noir et blanc et respecte le plus souvent un format classique, pour ne pas dire conventionnel, la photographie plasticienne joue la plupart du temps sur la couleur et sur le grand format. Sur la couleur, en adoptant le procédé du cibachrome pour le caractère glacé et hautement définitionnel de son rendu ; le polaroïd, à l'inverse, pour le velouté des gammes chromatiques et le léger tremblement des formes qu'il autorise. Sur le grand format, (...) pour se démarquer tant de la photographie de reportage que de la photographie dite par Jean-Claude Lemagny "créative", et pour exhausser la photographie au rang de la peinture: de la peinture en gloire - fresque historique ou tableau de cour- comme si l'on assistait là à un "devenir-peinture" de la photographie.
(...) Il y va radicalement d'un devenir interne de la "forme" photographique qui tend à s'assimiler progressivement à la "forme" picturale.
(...) Enfin, la "forme-tableau" ne serait pas complète si, au delà des déterminations précedemment énoncées, on ne prenait pas en compte un désir et un refus esthétiques. Un désir, qui est aussi une exigence compositionnelle et plastique: celui de la pure frontalité de la prise de vue et de la rigueur quelque peu roide et sèche de l'image. Un désir et un choix donc, parfaitement exemplifiés par Bernd et Hilla Becher.
Images plates, neutres, dénuées de tout artifice.Photographies du constat et de l'archivage, qui ne visent que la présence muette des choses et l'opacité des êtres. Quelque chose comme la matière du réel, son entêtement à être là et à ne point signifier.Chateaux d'eau froidement répertoriés, paysages d'où tout lyrisme de la nature, toute poétique urbaine sont exclus, visages devenus faces: nul punctum autour duquel nouer le désir, nul imaginaire possible. L'image se tait. Force des choses?
(...) l'image est document, et la photo enregistrement. Mais pour être radicale, la démarche suppose la suspension méthodologique du jugement, sorte d'époché à la Husserl: "Nous ne pouvons pas nous permettre de juger ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. Il y a un genre de jugement moral qu'il faut mettre de côté (...). Il faut respecter l'objet tel qu'il est, tels qu'il apparaît (...). Il faut se forcer à garder une sorte de neutralité.
Dominique Baqué, La photographie plasticienne, un art paradoxal, Regard, 1998.
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