Blog proposé par Jean-Louis Bec

mercredi 17 août 2011

Trois petits tours


Rubrique :  photographie objective et subjective


Aujourd'hui, le monde et avec lui l'ailleurs connaissent des bouleversements d'une ampleur immense. La mondialisation des activités et l'explosion des moyens de transport et d'information ont projeté les regards et les individus aux confins de la planète. Dans cette situation, qui est désormais la nôtre, le dépaysement devient une chimère, et le lointain une infinie réplique de l' ici. L'ailleurs photographique évolue d'autant selon trois grandes directions.
En premier lieu, une sorte d'exacerbation de la fonction documentaire conduit, au sein même de l'ordinaire et du toujours-déjà-vu, à rechercher compulsivement de l'insolite, de l'exceptionnel (le scoup), ou de  l'extrême (le sexe, la mort, la maladie, etc,) souvent jusqu'à l'insoutenable. Le document échange son ancienne fonction de rapprochement au profit d'une fonction d'exhumation, ce qui se traduit formellement par une plu grande proximité avec les sujets, une abolition de la distance, une véritable pornographie du gros plan.

Cette orientation largement perceptible dans la presse s'oppose à une seconde version de l'ailleurs:
celle des photographes-artistes qui, en accordant une place prépondérante à la matière, à l'ombre, à la fiction, ou encore au flou, se situent à rebours de l'éthique documentaire et de la transparence, créant ainsi un nouveau type d'ailleurs. Non plus fondé sur les capacités du document à rapprocher, exhumer ou décrire, mais sur les pouvoirs d'une écriture photographique à éloigner et à brouiller. Transformer le proche en étrange, en mystère et en lointain, abolir la netteté des contours, lester les épreuves du poids d'infinies matières picturales ou graphiques, mobiliser des procédés anciens, déjouer grâce à la main la froide objectivité des appareils, etc... tous ces effets néo-pictorialistes d'écriture contribuent à tracer un horizon imaginaire aussi éloigné que possible du plat réalisme et de la triviale réalité des choses et du monde.
(...)
En fait, ces photographes préfigurent un troisième type d'ailleurs photographique caractérisé par un nouveau rapport entre la photographie et le visible: par de-là l'éthique documentaire, "le matériau visuel doit capturer des forces non visibles. Rendre visible et non pas rendre ou reproduire le visible". Dans cet ailleurs-là, la photographie s'est affranchie de la représentation et de l'imitation. Le visible n'étant plus un donné auquel se conformer strictement, mais un matériau malléable à volonté, les questions de ressemblance, de référent, d'original et de copie, de modèle et de simulacre, etc, ne se posent plus. Photographier ne consiste plus à produire, selon la distinction platonicienne, des "bonnes ou des  mauvaises copies" du réel; cela consiste désormais à actualiser, en les rendant visibles ici et maintenant, des problèmes, des flux, des affects, des sensations, des densités, des intensités,, etc. Alors que la photographie porte indéfectiblement en elle les traces matérielles du monde physique, qu'elle est donc intimement liée à la Terre, en capturant désormais "les forces d'un cosmos énergétiques, informel et immatériel, elle s'oriente vers cet ailleurs que constitue le monde virtuel.

André Rouillé, La photographie, Folio essais, Gallimard, 2005.

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