Blog proposé par Jean-Louis Bec

mercredi 10 août 2011

Se fier aux apparences


Rubrique : mémoire, temps et photographie


Supposons que les images statiques peuvent dépeindre le mouvement. Nous sommes alors en conflit avec la théorie de Currie; car les images statiques ne peuvent certainement pas déclencher en nous la capacité de reconnaissance du mouvement. Ou alors nous verrions l'image elle-même bouger. Or, mise à part quelques intéressantes exceptions, il est évident que nous ne voyons pas une image statique comme en mouvement. Nous pourrions alors dire que les images statiques dépeignent des instants. Cela aussi crée un problème car cela suggère que nous avons une capacité à reconnaître des instants, ce qui est hautement douteux.(...).

Si les images statiques dépeignent des instants, alors elles déclenchent en nous les mêmes capacités de reconnaissance que celles déclenchées par des instants. Mais les instants ne déclenchent pas en nous ces capacités-là, car si c'était le cas, nous serions capables de les percevoir, et manifestement, nous ne les percevons pas. Par conséquent les images statiques ne dépeignent pas des instants.

Mais si elles ne dépeignent ni le mouvement ni des instants, que dépeignent-elles? Une troisième possibilité est qu'elles dépeignent des états de choses qui ne changent pas, car nous avons la possibilité de les reconnaître.  Nous  pouvons percevoir l'absence de mouvement aussi bien que le mouvement.(...)

Mais prenons une peinture particulièrement dynamique telle que la "Charge of the Scots Greys" de Butler. Les éléments représentés sont manifestement en mouvement. Mais si nous disions que, cependant, l'image dépeint un état de chose qui ne change pas (en déclenchant en nous la capacité de le reconnaître), alors nous devons affirmer que l'image représente les chevaux à la fois comme en mouvement et comme ne bougeant pas. Ce résultat n'est pas très satisfaisant. Il nous faut introduire une troisième notion d'instant. Considérons à nouveau l'idée que nous parvenons à la notion d'instant en extrapolant à partir d'un processus de division d'un intervalle de temps en parties de plus en plus petites. L'erreur faite par notre première conception d'instant était de supposer l'existence réelle d'une plus petite partie d'un intervalle. Mais il n'y a pas d'objection à définir un instant comme étant une partie arbitrairement petite d'un intervalle. Ou, pour rendre la définition moins arbitraire, nous pourrions définir un instant comme étant la plus petite partie perceptible d'un intervalle. Nous pourrions l'appeler "l'instant apparent". Puisque l'instant apparent est défini par référence à ce que nous percevons, cette notion ne présuppose pas une théorie particulière vis-à-vis du débat métaphysique concernant les instants.C'est à dire, contrairement à ce que Hume a supposé, nous pouvons admettre une durée minimale dans l'expérience sans l'admettre dans le monde. Nous avons manifestement une capacité à reconnaître des instants apparents. Dans notre expérience d'un changement, nous pouvons identifier un point particulièrement saillant, tel que le moment où un coureur traverse la ligne d'arrivée. Nous pouvons représenter cela comme une tranche temporelle instantanée de l'action, mais en fait (étant donnée que nous l'avons perçue) elle a une durée non  nulle. C'est donc cela que les images statiques sont capables de dépeindre: des instants apparents qui sont des parties de mouvements plus étendus représentés par l'image.

Robin Le Poidevin, time and the static image, in Qu'est-ce qu'une photographie? de Jill Benovsky, Chemins philosophiques, Vrin, 2010.

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