Blog proposé par Jean-Louis Bec

jeudi 1 mars 2012

Les gens du voyage


Rubriques : fiction, récit et photographie ; texte et photographie


Le Voyage de photographe qui assemble des images, enregistrées lors d'un déplacement de l'opérateur, s'enracine dans une expérience effective qu'il convoque. Il s'écarte pourtant de la transcription fidèle pour se faire reconfiguration du vécu; il tient de la sorte toujours plus ou moins de la fiction. Mais, comme le souligne Clément Rosset, " ...si la fonction de l'irréel, en quoi consiste l'imaginaire, est (...) indissociable de la fonction du réel qui caractérise l'homme sain d'esprit, c'est assurément qu'elle n'implique ni un refus du réel ni même une différence radicale par rapport à lui." Chaque Voyage de photographe comporte une part d'invention (variable selon le cas) qui ne s'oppose par véritablement à une conformité avec l'expérience; c'est la manière dont l'auteur peut atteindre (et transcrire) son vécu passé. En outre, le "jeu" qui est ménagé dans l'espace du livre entre des éléments disjoints laisse au lecteur la possibilité d'une coopération inventive.
Pourtant, face à un ouvrage qui se réfère à l'expérience de son auteur, on a coutume de s'interroger sur le degré de proximité qu'il entretient avec le vécu comme sur les écarts qu'il s'autorise. On a donc tendance à traquer la fiction en aval de la pratique du voyage, dans la manière dont il se trouve rapporté. C'est oublier que la fiction se tient également déjà en amont, puisque des récits diffusément présents dans les mentalités sont susceptibles d'alimenter, de façon indirecte et le plus souvent inconsciente, les aspirations et les fantasmes du voyageur potentiel. Jean-Didier Urbain invite à ne pas sous-estimer le poids de l'imaginaire sur les pratiques, à rompre "avec l'idée reçue du récit de voyage conçu comme produit littéraire dérivé, toujours postérieur à l'expérience (...)."
Des représentations collectives influencent bien sûr l'élaboration du livre, mais elles contribuent déjà à modeler souterrainement les pratiques du voyage (et de la prise de vue). Avant l'expérience itinérante elle-même, il est des légendes et des conceptions du voyage qui inclinent à larguer les amarres. Celles-ce ne sont pas exemptes de stéréotypes, de traits "romantiques", voire "romanesques". Elles constituent en quelque sorte des "programmes narratifs" qui conditionnent les désirs et les attentes de celui qui entreprend un déplacement; elles modélisent aussi la manière dont il le vit. Ces représentations hantent également l'imaginaire du lecteur et influencent sa réception des Voyages.

Danièle Méaux, Voyages de photographes, Publication de l'Université de Saint-Etienne, 2009.

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