Blog proposé par Jean-Louis Bec

vendredi 9 mars 2012

Creuser les fondations


Rubriques : langage et photographie, sciences de la photographie 


Bien plus qu'une discipline, une science ou une technique, la sémiologie est une "posture" qui, historiquement, s'est mise en  place en trois temps: le structuralisme et le post-structuralisme, l'analyse des "oeuvres" comme fait de communication et l'émergence du problème de l'énonciation et sa problématique, de type psychanalytique.

Le fondateur de la linguistique moderne, Ferdinand de Saussure (1857-1914) enseigne, au début du siècle, auprès de l'université de Genève. C'est, suivant la tradition de l'époque un philologue. Mais il mettra en place, au long de ses cours professés de 1906 à 1911, des concepts définitoires comme le triptyque langue/langage/parole, la perspective diachronique et synchronique, les couples signifiant/signifié et syntagme/paradigme, permettant une approche englobante de la langue plutôt qu'une perspective particulière de chacune des langues.
(...)
Parallèlement au travail de Saussure, Charles Spencer Peirce (1839-1914), pour étudier approximativement les mêmes choses, met en place le triptyque îcone/index/symbole, alors que Saussure travaillait à partir du couple signifiant/signifié.
Pourtant, apparemment, les deux chercheurs ne semblent pas être en contact l'un avec l'autre.
"La logique dans son sens général est, je crois l'avoir montré, seulement un autre mot pour sémiotique, une doctrine quasi nécessaire ou formelle des signes. En décrivant la doctrine comme "quasi nécessaire" ou formelle,  j'ai en vue que nous observons les caractères de tels signes comme nous le pouvons et à partir de belles observations, par un processus que je ne refuse pas "appeler Abstraction."
Peirce met donc l'accent sur la fonction logique du signe et Saussure sur sa fonction sociale (vie des signes au sein de la vie sociale)
(...)
La tradition européenne, saussurienne, connue sous le nom de sémiologie, recouvre à peu de choses près le même champ que la sémiotique anglo-saxonne (inspirée au départ par Peirce).
Mais revenons à Saussure:
(...). Voici ce qu'on peut lire:" La langue est un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes. On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formerait une partie de la psychologie générale; nous la nommerons sémiologie (du grec semeîon, "signe").
Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu'elle n'existe pas, on ne peut pas dire ce qu'elle sera; mais elle a le droit à l'existence, sa place est déterminée d'avance. La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale; les lois que découvrira la sémiologie seront applicable à la linguistique, et celle-ci se trouvera rattachée à un domaine bien défini dans l'ensemble des faits humains."
Cette intuition s'est presque entièrement trouvée réalisée, sauf que l'on s'est aperçu qu'il ne s'agissait pas d'une "science des signes" mais d'une science, pourrait-on dire grossièrement, des significations.


"Prospectivement, la sémiologie a donc pour objet tout système de signes, quelle qu'en soit la substance, quelles qu'en soient les limites: les images, les gestes, les sons mélodiques, les objets, et des complexes de ces substances que l'on retrouve dans les rites, des protocoles ou des spectacles constituent sinon des "langages", du moins des systèmes de signification". Notons encore que Barthes, très tôt, écrit ceci: "il paraît de plus en plus difficile de concevoir un système d'images ou d'objets dont les signifiés puissent exister en dehors du langage: percevoir qu'une substance signifie, c'est fatalement recourir au découpage de la langue; il n'y a de sens que nommé, le monde des signifiés n'est autre que celui du langage".
Il s'agit d'une visée générale qui donnera naissance à une sémiologie du langage, de vêtement, de la ville, de la nourriture,(...) de l'audiovisuel bien sur.
(...) Pendant cinquante ans la linguistique travaille et avance. Puis dans les années 60 Roland Barthes se sert des concepts forgés par la linguistique (...) et en fait une activité englobante par rapport à la sémiologie, alors que Saussure plaçait la linguistique à "l'intérieur" de la sémiologie. "L'homme est condamné au langage articulé et aucune entreprise sémiologique ne peut l'ignorer. Il faut donc peut être renverser la formulation de Saussure et affirmer que c'est la sémiologie qui est une partie de la linguistique".
Ou encore sous la plume de Christian Metz: "en droit, la linguistique n'est qu'un secteur de la sémiologie; en fait la sémiologie se construit à partir de la sémiologie".
Pour repositionner la sémiologie (....) il écrit encore à cette époque: "La sémiologie restant à édifier, on conçoit qu'il ne puisse exister un manuel de cette méthode d'analyse: bien plus en raison de son caractère extensif (puisqu'elle sera la science de tous les systèmes de signes), la sémiologie ne pourra être traitée didactiquement que lorsque ces systèmes auront été institués empiriquement".
Pour Louis Hjelmslev: "La structure de l'objet ne peut être saisie que comme une entité purement relationnelle."
Hargne des créateurs. Constituer le film (prenons cet exemple) en mettant le référent entre parenthèses, ce serait la fin de l'histoire et de l'idéologie, dit-on. De  plus, la sémiologie recentrant son attention sur le texte, met en crise la notion d'auteur. Enfin, l'utilisation d'un langage abscons, diront certains, n'est pas pour calmer les détracteurs. (...).
Puis s'effectue une bascule hors de l'énoncé et on assiste à une irruption de l'énonciation ("l'énonciation est la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation"."

Emile Benveniste oppose histoire et discours ("ces deux systèmes manifestent deux plans d'énonciation différents que nous distinguerons comme celui de l'histoire et celui du discours"). Pour lui, l'histoire est le "mode d'énonciation qui exclut toute forme linguistique autobiographique", "pas de locuteur, pas de présent, pas de "je" ou de "tu". Nous définirions le récit historique comme le mode d'énonciation qui exclut toute forme linguistique "biographique". L'historien ne dira jamais tu, ni ici, ni maintenant, parce qu'il n'empruntera jamais à l'appareil formel du discours qui consiste dans la relation de personne je/tu.On ne constatera dans le récit historique strictement poursuivi que des formes de "3e personne".

Quant au discours, il "suppose un locuteur et un auditeur et, chez le premier, l'intention d'influencer l'autre, en quelque manière".
Et de conclure: "explicite ou pas, la relation de personne est présente partout".
Quand on parle de /personne/, son psychisme n'est pas très éloigné et donc la perspective psychanalytique est tout proche.
En douceur, donc, on passe de Benveniste à Freud. Une autre voie nous conduit à Lacan; pour Roman Jacobson "Le développement d'un discours peut se faire le long de deux lignes sémantiques différentes: un thème (topic) en amène un autre soit par similarité, soit pas contiguïté. Le mieux serait sans doute de parler de procès métaphorique dans le premier cas et de procès métonymique dans le second puisqu'ils trouvent leur expression la plus concentrée l'un dans la métaphore, l'autre dans la métonymie".
On pourrait donc trouver, sans aplatissement des concepts les uns sur les autres, le "tableau" suivant rassemblant logique, rhétorique, psychanalyse et linguistique: Similarité, métaphore, condensation, paradigme.
Contiguïté, métonymie, déplacement, syntagme.
Pour notre domaine, qu'écrit Christian Metz?
"Dans les termes d'Emile Benveniste, le film traditionnel se donne comme histoire et non comme discours. Il est pourtant discours si l'on se réfère aux intentions du cinéaste, aux influences qu'il exerce sur le public, etc.; mais le propre de ce discours-là, et le principe de son efficace comme discours, c'est justement d'effacer les marques d'énonciation et de se déguiser en histoire". "le film est une visée de conscience, inconsciente dans ses racines".

Bernard Leconte, Lire l'audiovisuel. Precis d'analyse iconique, L'Harmattan, 2001.

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