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jean-louis bec, Bord du Lez (Hérault), 10/2010 arg |
De façon générale, la combinaison des mots et des photographies ne s'avère féconde que si la redondance est évitée. Cela suppose une prise en compte de la spécificité de chaque médium, comme le respect d'une relative indépendance. L'"iconotexte" -au sens qu'Alain Montandon et Michael Nerlich donnent à ce terme- est un tout organiquement lié, qui évite l'inféodation d'un mode d'expression à l'autre. Pour le lecteur, les images enregistrées paraissent bien plus proches de la réalité que les mots, qui sont arbitraires, composés d'unités discrètes et inscrits dans la linéarité. "Voir, c'est peut être oublier de parler" déclare Maurice Blanchot. Entre le verbe et les photographies, la faille est en tout cas profonde; l'ouvrage qui les combine est un objet hétérogène. La collaboration réussie des mots et des images suppose la prise en compte de cette différence essentielle, le respect d'une autonomie de chaque moyen d'expression ainsi qu'une relative "productivité" de la rencontre ménagée dans l'espace du livre.
En effet, la conjugaison des photographies et du texte n'est pas de l'ordre de la somme: les images influent sur les mots, ceux-ci contaminent les vues- et cet échange réciproque s'instaure sans que le lecteur en soit véritablement conscient. Ente le texte et les photographies, s'établissent "des glissements (...) plus ou moins voulus, plus ou moins aléatoires dans l'effort d'accomodation de l'oeil et de l'esprit à deux réalités à la fois semblables et hétérogènes qui peuvent souligner (...) l'unité invisible régissant les deux ensembles (...) ou l'irréductibilité d'une différence (...)" (Alain Montandon). Ces contagions et ces transferts pluri-directionnels confèrent au livre une épaisseur. Les échos et les tensions qui se créent d'un élément à l'autre conditionnent des parcours intérieurs. Les intervalles qui se creusent entre les images, et entre le texte et les images, sont des zones de circulation où se met en branle l'imagination de l'observateur. L'entre-deux est un espace de respiration, d'inventivité. Davantage encore que dans d'autres types d'ouvrage, la lecture se fait évènement; elle est un processus dynamique et créatif, toujours renouvelé. La sollicitation d'une coopération active du récepteur n'exclut pas le questionnement mutuel des représentations: l'articulation des moyens d'expression fait aussi ressortir l'incomplétude et la partialité constitutive de chacun d'entre eux.
Danièle Méaux, Voyages de photographes, Publication de l'Université de Saint Etienne, 2009.
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