Blog proposé par Jean-Louis Bec

lundi 2 janvier 2012

Lis-moi une histoire


Rubriques : texte et photographie ; hasard et photographie


Christophe Fovanna: "A ma connaissance, il n'y a aucun texte surréaliste qui fasse le lien entre l'écriture automatique et la photographie! Le parallélisme aurait pourtant dû frapper Breton et ses amis".
Charles-Henri Favrod: " Je crois en effet, qu'il n'y a aucun texte à ce sujet alors qu'il est effectivement évident que la photographie est une écriture automatique.(...)
L'écriture automatique va de pair avec l'évolution technique, dans le sens où vous ne pouvez pas faire de l'écriture automatique à la chambre, alors que vous pouvez évidemment en faire au Leica.
Je pense que cette rapidité soudaine de la photographie l'assimile au trait rageur sur le calepin, à la prise de note, à l'impression transcrite, au rappel, à l'aide-mémoire. La photographie surréaliste va susciter nombre de photographes par ce biais. Ainsi, même si on ne peut pas poser Brassaï en surréaliste, c'est néanmoins absolument nécessaire de l'inscrire dans le mouvement. Et cela va aller jusqu'à notre Henriette Grindat.
Mais je voudrais encore ajouter ceci, à propos de Breton: s'il y a, une certaine carence de sa part dans l'approche et le commentaire de la photographie, il y a, en revanche, un très grand nombre de remarques justes, par rapport à ce que génère la photographie, qui sont à mettre au compte du Surréalisme. Elles soulignent qu'à cette époque la photographie est devenue autre, qu'on est réellement sorti du seul mode de l'inventaire - que serait le fait du XIX e siècle- pour entrer dans ceux de l'évasion et de la révélation".
C.F.: "Et dans celui de l'inconscient aussi, car Breton reprend Freud..."
C.H.F: "C'est très juste. Et c'est là, comme vous le disiez bien, qu'on chemine du "on", ou du "il(s)", au "je"".
C.F: "Il y a quelque chose du surréalisme qu'on a pas évoqué et qui a fort à faire avec la photographie : le hasard objectif!"
C.H.F.: "Oui, et d'ailleurs quelle association de mots! C'est encore mieux que le moment décisif. Sans compter qu'en jouant sur les mots, avec un terme de la technique photographique, cette expression est le lieu d'une rencontre qui vaut bien celle, imaginée par Lautréamont, du parapluie et de la machine à coudre sur une table de dissection. Je crois véritablement qu'on ne peut pas mieux définir la photographie qu'en l'associant avec le hasard objectif, l'explosante-fixe, et l'écriture automatique".
C.F.: "Par ailleurs, le hasard objectif donne quasiment un inconscient à la photographie elle-même, puisque celle-ci peut saisir des choses que le photographe n'a pas prévues, et que le tirage révèle."
C.H.F.: "C'est pourquoi je trouve tellement importante cette anecdote, que j'ai déjà évoquée, de von Humboldt émerveillé de voir dans un daguerréotype des brins de paille tombés d'un charroi, ou d'une vitre cassée colmatée à l'aide de papier. D'innombrables photographes ont été stupéfaits de découvrir dans leurs images des choses inattendues...C'est quasiment "Blow Up", où tout à coup, dans la photographie, apparaît l'insolite donc le Punctum."
C.F.: "C'est tout cela qui permet de raconter une histoire en cheminant dans le cadre d'une photographie..."
C.H.F.: "Tout à fait, et c'est pour cela que je trouve bien plus naturel que l'on parle du lien entre littérature et photographie, que du lien entre peinture et photographie. J'ai déjà dit de la peinture qu'elle avait un cadre fermé. Alors qu'avec la photographie, à cause du fameux hasard objectif, on sort du cadre, et on se préoccupe toujours de l'avant et de l'après. Il y a une photographie de James Robertson, faite en 1860, qui représente deux joueurs d'échecs. Or, et pour moi cela est très vertigineux, on voit qui va perdre en regardant la disposition des pions sur l'échiquier! Voilà qui nous plonge réellement dans le flux du temps, et nous ramène à la question, soulevée par Roland Barthes, à partir de la photographie de Lewis Payne dans sa cellule de condamné à mort. En le regardant, nous voyons le mort qui va mourir....
J'ai par ailleurs, toujours été préoccupé, montrant des photographies à des gens, de savoir si chacun en avait une vision différente. Cela se passe avec la lecture, du fait que chacun incorpore à sa façon les personnages et les situations du récit. Raison pour laquelle on est toujours extrêmement déconcerté quand on voit un livre adapté au cinéma. Parce que, précisément, ça ne correspond pour ainsi dire jamais à l'idée, et par force à l'image qu'on s'en était faite."
C.F.: "Chez Barthes, la photographie est fiction du monde avec, en plus du hors cadre, un hors champ et un hors texte..."
C.H.F.: "Il y a tout cela effectivement. Mais, à mon sens, il y a déjà cela aussi chez Stendhal. Celui-ci n'a cependant jamais parlé de photographie, bien qu'il en ait été contemporain en fin de vie. (...)."

Charles-Henri Favrod et Christophe Favanna, Comme dans un miroir, Entretiens sur la photographie, Infolio, 2010.

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