Blog proposé par Jean-Louis Bec

samedi 28 janvier 2012

Pour le meilleur et pour le pire


Rubrique : langage et photographie


Les réalités de langage et les théories des langages permettent-elles une meilleure intelligence de la photographie? Allons des pseudo-évidences aux questions:
Similitude: tout comme le langage, la photographie semble permettre la découverte du sens; le dictionnaire Larousse voudrait nous convaincre qu'à un mot correspond aussi bien une définition donnée par le langage qu'une photo de l'objet référent possible de ce mot; le signifié corrélat du signifiant serait éclairé parallèlement par la chaîne signifiante discursive et par l'instantané photographique. Kosuth et l'art conceptuel jouent avec ces correspondances.
Supériorité: mieux, la photographie s'avèrerait supérieure au langage, car c'est dans l'évidence et l'universalité qu'en photographie le sens serait donné: évidence de l'image et compréhension universelle; le sens"sauterait" aux yeux; même un Chinois ne comprenant pas le français reconnaîtrait un cheval en voyant sa photo dans le Larousse; la découverte du sens grâce à la photographie serait quasi immédiate, celle faite grâce au langage serait le fruit de médiations articulées entre elles.
Différence: en fait, langage et photographie fonctionneraient de façons totalement différentes. L'un utiliserait un code, l'autre pas; l'un serait dans la double articulation, l'autre dans l'équivalent visuel du cri; l'un serait dans le temps enchaîné de la chaîne signifiante, l'autre dans l'instant libéré du signal; l'un serait signe, l'autre image.
Renversement: pourtant, une photo nécessite un apprentissage pour délivrer son sens. Retour au code? Celui qui n'a jamais vu de photo ne reconnaîtra pas le référent; foin de l'évidence universelle! Encore une illusion qui tombe et nous ramène à la matérialité questionnée de la photographie -"En quoi est-ce fait ? Comment est-ce fait ?"-, donc à la photographicité. Ainsi, la communication n'est pas donnée mais questionnée, elle n'est pas posée mais critiquée. Parallèlement le langage s'avère polysémique, car il est potentiellement toujours habité par l'image. En conséquence, nous somme perdus: de l'image photographique nous aboutissons à l'image linguistique en passant par le code linguistique et le référent, le signe et le signal. Renversons cette perte, pour nous retrouver et pour gagner du sens sur le langage et la photographie.

Un premier déplacement de "la" à "des" photos doit être opéré. C'est une vision idéaliste qui empêche de penser ces rapports photographie-langage; en fait, il y a des photos qui fonctionnent selon quatre régimes possibles:
- la photographie définitionnelle ou informative: du Larousse au catalogue de la Redoute. Cette photographie a pour but de tenter de donner univoquement le sens du référent; c'est la photo unaire de Barthes;
- la photographie publicitaire: c'est la reine de l'illusion visuelle et surtout idéologique, car elle prétend être  informative et s'adresser à la raison et à la conscience; or, en fait, elle déclenche le stimulus signal./action et vise l'imagination et l'inconscient;
- la photographie domestique ou affective: certes, elle informe, mais elle n'est pas reçue de la même manière par celui qui y retrouve un proche et par celui qui n'y voit qu'un homme sans qualité; ainsi, déjà la polysémie peut poindre; d'ailleurs, de la même photo de nos proches, notre réception évolue avec le temps, avec notre âge, bref avec l'approche et le rapprochement de la mort: Barthes, Duperey et Plossu l'ont vécu et démontré;
- la photographie artistique: dans ce cas, la polysémie est de mise; le discours sur l'oeuvre d'art comme signifiant aux signifiés en nombre indéfini peut être repris: l'unicité du définitionnel est remplacé par la pluralité de l'esthétique; c'est l'objectif des photographes, c'est la tâche des poètes.
La photographie domestique, artistique ou publicitaire révèle le véritable usage possible de la photographie: on peut toujours lui donner un autre sens; mieux, son destin social et historique est même d'acquérir d'autres sens; ainsi la photo de Newton, qui servit d'abord pour la publicité des Parfums Rochas, puis pour la couverture du livre de Tisseron L'Erotisme du toucher des étoffes, est exposée dans un musée et peut être une photo domestique pour le mannequin photographié.

D'où le deuxième déplacement de la nature à la culture. La photographie n'a pas au départ une nature définitionnelle, domestique, esthétique ou publicitaire, elle est à l'arrivée conditionnée par son usage social, qui lui donne cette pseudo-nature définitionnelle, domestique...bref, sa culture. De l'objet photo, on doit donc passer à la société qui, pour permettre la réception et/ou la consommation de la photo, peut donner un langage, un code ou bien un nouveau mode d'emploi.

D'où le troisième déplacement: de la société au sujet récepteur des photos. Toute photo est reçue non seulement par les yeux, la raison et la conscience, mais aussi par l'imagination et l'inconscient. C'est pourquoi la photo informative (de presse par exemple) est toujours interprétée, c'est pourquoi la photo domestique a plusieurs réceptions, c'est pourquoi la publicité utilise la photographie, c'est pourquoi l'art rencontre de façon obligée la photographie. Toute réception d'une photo est une interprétation; en cela, la photographie est parente du rêve. La photographie ne relève donc pas d'un langage univoque, évident et universel.
Ainsi, il n'y a pas le langage et la photographie, mais des langages articulées à des photos; ils sont reçus par des sujets distincts; on oscille toujours entre le désir d'universalité de la langue (de tel document ou de telle oeuvre) et la réalité de singularité de la langue du sujet porteur d'inconscient.Ainsi retrouve-t-on les problèmes de l'écriture domestique, du texte publicitaire, de la littérature; mieux, ceux de l'art en général.

François Soulages, Esthétique de la photographie, Armand Colin Cinéma, 2005.

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