Blog proposé par Jean-Louis Bec

mardi 29 novembre 2011

La photographie les bras ouverts


Rubriques : art et photographie ; perception, vision et photographie


Voir (et fixer) tout ce que le regard embrasse, et au delà: la vision panoramique est sans doute un rêve aussi vieux que la conscience artistique de l'humanité. Les bas-reliefs des temples antiques, les frises de la colonne trajane, attestent de ce fantasme d'une représentation en continu de l'espace - une forme essentiellement narrative (et donc temporelle) qui trouvera son aboutissement avec l'invention du cinéma. Mais jusqu'à l'invention des frères Lumière, la peinture puis la photographie n'auront cessé de travailler à cet "élargissement de la vue". Daguerre, un des inventeurs de la photographie, se fit connaître par son Diorama, qui reprenait un procédé de l'Ecossais Barker montrant des vues de Londres à 360°, peintes sur d'immenses toiles. Dans un premier temps, la photographie naissante sera d'ailleurs mise au service des peintres et des graveurs désireux de fixer des panoramas naturels. Mais très vite, les fantastiques progrès de la photographie (sur le plan des optiques, de la pellicule souple, et de la chimie) font qu'elle devient le lieu par excellence du regard panoramique".
(...)
Joachim Bonnemaison distingue quatre type d'images panoramiques: "Les vues de panorama, faites d'une seule image, mais allongée. (...); les panoramas qui juxtaposent plusieurs vues de panorama, et font ainsi apparaître un premier mouvement du regard qui balaie l'espace.(...); les panoramiques obtenus à l'aide d'une optique mobile (inventée par Martens en 1845); enfin les panoptiques, qui permettent une révolution de 360° et même au delà.
On passe donc d'un art encore très pictural de la contemplation du paysage (jusqu'aux panoramas), à un art du mouvement du regard et du corps, qui suppose une volonté d'analyse de l'espace en même temps qu'une présence de plus en plus grande de l'opérateur. Le regard cesse d'être attiré par la profondeur de la perspective traditionnelle, pour être emporté dans une perspective curviligne, flottant hors des repères habituels, comme en état d'apesanteur. Et il est vrai que devant beaucoup de ces photographies, on a le souffle coupé par cette suspension des règles de la représentation. On est devant une matière intermédiaire, un mixte d'espace et de temps, d'immobilité et de mouvement que ni la photographie classique, ni le cinéma ne permettent d'éprouver. C'est que la photographie panoramique n'est pas l'ancêtre du cinéma, même si le Mégascope de Damoiseau, qui permet de fixer une séquence en continu, en est bien proche. Il faut plutôt y voir l'expression de tout ce que la perspective classique et le cadre ont refoulé: une exubérance de la vision, une liberté de geste et de parcours, un paganisme du regard, si l'on veut, qui aurait résisté, depuis toujours, à l'orthodoxie de la représentation dominante.

Régis Durand, La part de l'ombre, essais sur l'expérience photographique1, Les Essais, Editions de la Différence, 2006.

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