Blog proposé par Jean-Louis Bec

samedi 14 juillet 2012

L'image: point doc



Rubrique: photographie objective et subjective

""Je ne suis pas un artiste. Je suis au musée parce que je n'ai pas le choix. Les journaux ne veulent plus montrer ce genre d'images"
Don McCullin

En trois courtes phrases, une affirmation et son explication. Mais une explication tronquée. Le flou de l'expression: ce genre d'images, renvoie à un entendement collectif. Nous le savons. Mais cet entendement, une fois établi, éteint tout souci d'élucidation.

Alerté, je discerne sous l'explication la possibilité d'une excuse. Mais excuse de quoi?
Excuse de n'avoir pu prendre en charge une chaîne de production qui abîma la photographie dans l'image -l'affaire est à présent entendue- c'est à dire dans une réalité économique qui ne requiert rien de plus que du matériau iconographique. Et qui n'admet rien de plus.

"A quoi bon de faire tuer si la photo n'est pas bien exposée?" interroge Mc Cullin...
Peut-être Henry Miller fournit-il une réponse en 1933: "Il a choisi précisément cette chaise insignifiante et, la surprenant où elle se trouvait, amena à la lumière ce qu'il y avait de dignité, de vérité en elle."

Disposer le mot tuer en regard de cette chaise dans les jardins du Palais Royal peut déconcerter mais ce qui importe n'est-il pas le surgissement arrêté d'une dignité, d'une vérité?

Dignité, vérité, témoignage, dénoncer, autant de mots attachés au reportage, à la photographie.

"je croyais au témoignage, j'étais naïf. ça change quoi d'aller au Rwanda?"

ça change quoi d'aller au  Rwanda?
Il n'empêche. Alors que McCullin semble s'être retiré dans la campagne anglaise, reclus dans ses paysages, il suffit que le silence gémisse, pas celui de la campagne anglaise, mais celui de l'air du temps, de notre temps...

Air confiné dans un caisson de privation sensorielle, privation par manipulation des sens, manipulation des sens par exacerbation des sens, exacerbation puis mutilation, mutilation par atomisation de la pensée. Automutilation. Stop!

...retiré donc, reclus peut être, il suffit qu'une porte s'ouvre, fût-ce au milieu de nulle part, pour qu'il affirme ce qui, finalement, ressemble fort à une révolte.

Aucun d'entre nous ne devrait taire un cantonnement par défaut. Le taire...

Rendre improbable toute tentative d'élucidation.
...l'admettre.
                                           admettre
                    taire
Chambre sourde
sans autre mur que
                           notre ataxie
ça change quoi d'aller au Rwanda?

En effet, ça ne change rien, bien que, sauf que, l'effroi ne pouvait, et ne peut à nouveau plus, prétendre à l'innocence.
Mc Cullin après quelques autres, après tant d'autres... Avant quoi?

Renouvellement. Encore et encore et toujours. Tarentelle de la mort. Instruire l'horreur. Ce terme même -instruire- en appelle à l'idée commune de vérité. On définit la vérité, l'accord de la pensée avec la chose. Mais précisément: comment est-il possible de mettre en conformité l'être, l'objet avec un type, un idéal, ou avec l'idée que nous nous faisons de cet objet?

Un génocide en 1994.
Près d'un million d'hommes meurent en trois mois par le volonté des hommes: éduquée, cultivée,organisée. Ce printemps de 1994 a produit à la fois l'avant-premaière, la première et la dernière.
D'aucuns ne manqueront à aucun prix de se pencher sur le berceau, pour découvrir une nouvelle fois que nul acte commis ne sort magiquement d'un chapeau.

Quel regard peut déceler, distinguer, isoler un objet dans l'horreur?
Le regard? Il ne peut être réduit à ce qu'autorise la vue. Plutôt l'inné qui interroge et mobilise l'acquis...Quelque chose comme cela et cela n'est certes pas une caractéristique de la photographie. Il s'agit d'une propriété humaine, d'une faculté de l'être. Le regard est échange. A cet égard, il est possible qu'il ait à voir avec la photographie.

Peut-être verrons-nous apparaître peu à peu, quelques photographies du génocide, réalisées par des Rwandais. Peu probable, mais peut-être... A ma connaissance, les premiers photographes sont arrivés au Rwanda avec les soldats de l'Opération Turquoise, c'est à dire ans les derniers jours du génocide: fi juin.
mais surtout, se trouva-t-il un photographe qui travailla au Rwanda dans les années qui précédèrent? Qui sut regarder la réalité quotidienne de ce pays, alors même que des massacres commencèrent à se produire cycliquement dès 1960? Si tel est le cas, a-t-il trouvé un support pour produire un tel reportage?
Sans illusion excessive, je veux imaginer qu'alors, la perception des choses eût pu être ne serait-ce que décalée.
Quelles sommes sont-elles dépensées pour convaincre les hommes de leur grandeur d'être au monde, permettre à l'être la manifestation visible de sa liberté?
Quel est aujourd'hui le seuil de l'évènement à produire pour exister dans le regard d'autrui lorsque ce dernier est de l'autre côté d'un miroir sans tain?

Dès ses débuts, la photographie fut établie dans l'illusion fascinée du réel.
Dans l'instant, quel est l'objet?
S'il doit se définir par un regard vivant, ce dernier ne pouvant être que le nôtre, l'objet ne peut donc être que la photographie? Ou bien pour parler franc, chacun de ces tirages, éclatés, isolés, puisque Monsieur le Collectionneur dîne avec Monsieur le Conservateur.

Lorsqu'une photographie est extraite de la gange iconographique, elle l'est dans une vision syncrétique qui promeut le tirage original, et baryté, et platiné, et numéroté, et argentique, et signé... Et puis quoi encore?

Des tentatives n'ont pas manqué et se poursuivent... elles côtoient les marges.

L'objet n'est-il pas alors plutôt le repas?
"La tradition nous invite à n'accepter que des cadavres de vérité.""


Francis Busignies, L'image, nécrose du reportage photographique, DA TI M'BETI,  2005.

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