Blog proposé par Jean-Louis Bec

jeudi 23 juin 2011

Un petit peu de lecture





Rubrique : lecture de photographies


L'extrait qui suit traite de la lecture de textes. S'il ne s'agit aucunement d'images, il me semble toutefois qu'un certain parallèle entre lecture et lecture d'images peut être établi, sans que chacune perde ses spécificités propres.

"A partir du moment où on s'intéresse à la lecture et où l'on aborde l'étude du "fait littéraire" sous l'angle du lecteur, une constatation s'impose: la multiplicité des lectures effectives d'une même oeuvre.

L'alternative qui se pose au chercheur se retrouvant face à cette pluralité, est alors la suivante: il peut soit considérer que toutes ces lectures sont équivalentes, leur égale valeur résiderait dans le simple fait de leur existence, soit postuler qu'il en est une qui prévaut. Cette alternative renvoie à une autre, plus profonde, qui concerne en fait le statut du texte littéraire lui même: deux attitudes extrêmes sont en effet repérables.
Le lecteur ordinaire a tendance à croire en un sens du texte qu'il lit et qu'il cherche alors à découvrir. Il s'agirait d'un sens qui serait extérieur au lecteur, antérieur à l'acte de lecture: dans l'acception commune, il va de soi que ce sens a été voulu par l'auteur, et que la tâche du lecteur est d'aller à la rencontre de l'intention de l'auteur. (...). Malgré la diversité des sens possibles mis en évidence par l'étude d'un texte et la multiplicité des lectures effectivement accomplies, celle-ci postule l'existence d'un sens immanent à l'oeuvre que l'acte de lecture aurait pour fonction de dévoiler. Ce sens immanent renverrait à une intention de l'auteur et garantirait en dernier lieu l'unité du sens.Cette attitude de lecture que Vincent Jouve, dans qu'est-ce que la lecture? appelle la "lecture centripète", correspond tout à fait à celle que définit Leo Spitzer, commentateur de Proust, dans la phrase suivante:"aller de la surface vers le centre vital interne de l'oeuvre d'art", ce qui caractérise bien le mouvement unifiant, centripète, qu'accomplit le chercheur.
Cependant, est-ce que postuler l'existence d'un sens immanent revient nécessairement à l'identifier à l'intention de l'auteur? Ne pourrait-on pas laisser une marge de liberté non seulement au lecteur, mais au au texte lui-même, et imaginer un texte littéraire qui s'émanciperait de son auteur? Cette hypothèse rejoint la question de l'autonomie de l'oeuvre d'art. Au lieu de renvoyer, à travers le texte, en dernier lieu à l'auteur et d'envisager une relation triangulaire lecteur-texte-auteur, il faudrait s'intéresser au  lien lecteur-texte dont l'auteur serait exclu. (...)

La deuxième attitude face au texte littéraire, exactement inverse, est représentée par la tendance à faire éclater le texte sous la pression des lectures diverses. Il s'agit non plus de résorber les contradictions au nom du principe de cohérence en les soumettant à un sens unifiant, mais au contraire de les faire jouer entre elles. Jacques Derrida, qui a fondé philosophiquement cette approche des textes en s'appuyant sur la linguistique structurale, a montré l'impossibilité de concevoir un texte comme un tout. Vincent Jouve note ainsi que "les sens d'un texte, qu'il serait vain de vouloir fixer,se font et se défont sans cesse. Le déconstructionnisme derridien inaugure une lecture disséminante et centrifuge".

Pascale Fravalo, "Dans une sorte de langue étrangère..." Réception d'A la recherche du temps perdu de Marcel Proust en France et en Allemagne: une étude comparée (1913-1958), Thèse, Université Montpellier III Paul Valery, 2003.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire