Blog proposé par Jean-Louis Bec

mercredi 7 mars 2012

Question de genre

jean-louis bec, Auch (Gers), 12/1995  arg
Catégories: perception, vision et photographie; art et photographie


Deux questions se posent: "... La première est de savoir s'il existe des genres photographiques et - à supposer que la réponse soit positive- quel est leur statut. La deuxième concerne la relation entre ces genres et l'art photographique (...). La pratique artistique de la photographie est censée, d'une manière ou d'une autre, désenclaver, neutraliser, affoler, etc., bref, déconstruire les genres. Le problème est que la réponse suggérée quant à la deuxième question présuppose en fait déjà une réponse particulière à la première. En effet, dire que la fonction de ceux qui pratiquent la photographie en artistes est de déplacer les distinctions de genre ou de les confondre, n'a de sens que si les genres en question ont le statut d'un horizon d'attente institué par les  pratiques non artistiques de la photographie et intériorisés par les récepteurs. Mais qu'en est-il réellement?

Le terme de "genre" est tout sauf univoque. Au sens fort, il se réfère à des pratiques intentionnelles réglées et identifiées comme telles par les créateurs et les récepteurs. Mais le terme a aussi un sens plus faible: il désigne alors simplement une classe d'objets quelconques réunis en vertu d'une relation de ressemblance quelconque. Il va de soi que si l'on envisage la question des genres en ce sens faible, toute catégorisation susceptible de donner lieu à la constitution d'une classe peut aussi être construite en genre.
Cette distinction semble pouvoir être appliquées au problème des genres photographiques. On peut esquisser une sous-division de la photographie en différentes classes extensionnelles, selon les moyens techniques utilisés (par exemple noir et blanc ou couleur, polaroïd, image numérique...), selon les types de pratiques sociale (publicité, art, communication, etc,) selon les supports à travers lesquels nous y avons accès (livre, exposition, journal, etc) et selon les objets représentés (famille, corps, portraits, paysages, etc...). A un titre ou à un autre, toutes ces classifications sont pertinentes. Mais la notion de "genre" leur convient-elle dans ce cas? Il semble que non. Lorsqu'on regarde de près les catégorisations coutumières à l'aide desquelles nous nous repérons dans le domaine de la photographie, on constate que les plus prégnantes sont des distinctions fonctionnelles (par exemple: photo documentaire, photo d'art, photo scientifique, photo publicitaire...), des distinctions référentielles (paysage, photo d'architecture, nature morte, portrait, nu...) ou des catégories qui combinent ces deux distinctions (la photo de famille, l'instantané, la photo de reportage, la photographie érotique ou pornographique, etc.). Or, ces trois types de distinctions -qui correspondent aux catégories génériques "natives" dans le domaine photographique- identifient les genres en tant que pratiques intentionnelles, soit en abordant ces dernières du côté de leur statut social, soit en les abordant du côté de leur objet, c'est-à-dire du côté de ce qu'elles visent à représenter.
L'importance de l'aspect fonctionnel des délimitations génériques de la  photographie est directement liée au fait que ses usages majeurs ne sont pas esthétiques. Ceci implique-t-il que la majorité des pratiques photographiques ne relèvent pas de l'art photographique?
Il en serait ainsi si l'artistique pouvait être réduit à l'esthétique -et donc l'art photographique au genre quelque peu vieillot de la "photo d'art"- ce qui n'est pas le cas. Il semble en fait que l'art photographique ne peut être défini que de deux manières: soit comme "art de faire", comme tekhnê, et alors toute prise de vue photographique relève de l'art photographique, soit comme ensemble de pratiques valorisées par tels ou tels critères critiques (esthétiques ou autres), auquel cas nous nous trouvons dans le champ d'une définition évaluative, et donc fatalement variable selon les institutions, les individus, l'époque, le lieu, etc. Or, aucune de ces deux façons de définir l'art photographique n'est transposable en une définition générique susceptible de le distinguer des autres pratiques de la photographie: la première, parce qu'elle rend l'art photographique coexistif à la photographie comme telle; la seconde, parce qu'il s'agit d'une définition évaluative et non pas descriptive (ce qui la rend inapplicable). Il en découle que l'art photographique n'est pas un genre de la photographie.
L'importance du deuxième critère générique, celui des catégorisations référentielles, est, quant à elle, liée au statut spécifique de l'image photographique, c'est à dire au fait qu'elle est une empreinte analogique et qu'en tant que telle son mode de réception est fondé sur la mise en oeuvre mimétique des compétences de la perception visuelle. Or, la mise en oeuvre mimétique des compétences visuelles, il faut le rappeler, a un ancrage biologique (...) Les bébés sont capables de reconnaître des représentations photographiques (...). Cela signifie que pour une large part les catégorisations fondatrices de l'image photographique relèvent de mécanismes plus élémentaires que les schèmes culturels que nous associons en général à la notion de "genre". En ce sens, l'idée selon laquelle le dispositif photographique percevrait la réalité "à travers les formes a priori de la sensibilité technique" n'est pas entièrement satisfaisant. Certes, la manière selon laquelle la photographie nous donne accès à l'information visuelle est contrainte par les particularités techniques du dispositif. Mais ces particularités elles-mêmes sont à leur tour contraintes par  une finalité fonctionnelle, à savoir la volonté de produire une information visuelle qui puisse être exploitée mimétiquement, c'est à dire que le dispositif technique lui même est finalisé en tant que prothèse mimétique de  notre accès visuel au monde.
L'importance conjointe des catégorisations fonctionnelles du côté de création de l'image photographique et des catégorisations perceptivo- référentielles du côté de la réception des images explique au moins en partie le statut spécifique des catégories génériques en photographie -comparées à celles de la peinture, par exemple, ou encore à celles de la littérature. En peinture ou en littérature les catégories génériques sont liées à des traditions historiques qui possèdent des critères d'autorégulation très forts et qui donc donnent lieu à une évolution dans laquelle le feed-back interne joue un rôle très important d'intégration et de complexification du jeu générique. A ce jour, la photographie ne semble pas avoir abouti à la constitution d'une dynamique de ce type, cela malgré les tentatives récurrents, qu'il s'agisse du pictorialisme, de la photographie d'avant-garde des années vingt ou des tentatives plus récentes d'intégration de la photographie dans les arts plastiques. Du fait de cette absence de cristallisation de traditions génériques autorégulatrices, il me semble que la question des genres photographiques ne saurait être traitée à l'aide des présupposés importés du domaine des beaux-arts.
(...)"

Jean-Marie Schaeffer,  La photographie entre vision et image in La confusion des genres en photographie, Bibliothèque nationale de France, 2001.

3 commentaires:

  1. Bonjour Jean-Louis, je ne connaissais pas ce blog, mais il me semble que je vais y découvrir pas mal de pistes et réflexions intéressantes. Merci à toi, si tu as un compte sur Blogpot, tu peux aussi je crois faire partager sur ton profil G+ des articles qui le méritent.
    Amicalement. Adèle

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    1. Bonjour Adèle
      Merci de ton passage. Encore une fois les grands esprits se rencontrent. Je souhaitais t'écrire rapidement. Le pb est que je n'ai pas trouvé ton adresse mail. Si tu pouvais me l'envoyer, ce serait plus pratique. J'espère que tu vas bien.
      Bises
      Jean-Louis

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  2. Bonsoir Jean-louis, en cliquant sur le lien lady Sil tu accèdes à mon profil G+ sinon mon email est sil.gedicht@gmail.com.

    Oui cette année me parait plus propice en terme de créativité, ce qui est déjà une dynamique porteuse pour avancer en terme d'écriture et de photographie.

    Et toi as-tu des expositions prévues pour cette année ?

    Je ne prendrai que très peu de congés mais avec les week end longs, peux-être je peux organiser quelques jours Off.

    A bientôt. Bises.

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