tag:blogger.com,1999:blog-78862519252376884092024-03-13T13:47:32.372-07:00De la photographie à la penséePetite revue bibliographique, modeste et brouillonne, axée sur la photographie.
Mots, citations, extraits de textes d'auteurs traitant de la photographie ou de toute autre discipline pouvant se rapporter de loin ou de près à la photographie.De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.comBlogger192125tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-9942322498290717052017-01-01T06:03:00.001-08:002017-01-01T06:03:17.621-08:00Sebastiao Salgado: "De ma terre à la Terre"<br />
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Rubriques: <i>psychologie du photographe; photographie analogique et numérique; photographie objective et subjective; portrait photographique; paysage.</i></div>
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<i><br /></i></div>
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<br /></div>
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Si on n’aime pas attendre, on ne peut pas être photographe.
J’arrive un jour sur l’île Isabela, aux Galapagos, à côté d’un très beau volcan
nommé Alcedo. C’était en 2004. Il y avait une tortue géante, énorme, (…).
Chaque fois que je m’approchais d’elle, la tortue s’en allait. Elle ne marchait
pas vite, mais je ne pouvais tout de même pas la prendre en photo. J’ai alors
réfléchi. Je me suis dit : quand je photographie des humains, je ne
débarque jamais dans un groupe incognito, je me fais chaque fois introduire.
Ensuite je me présente aux personnes, je m’explique, je discute et, peu à peu,
nous faisons connaissance. J’ai compris que, de la même façon, le seul moyen de
parvenir à prendre cette tortue en photo était de faire connaissance avec
elle; de me mettre à son diapason. Alors je me suis mis en tortue :
je me suis mis accroupi et j’ai commencé à marcher à la même hauteur qu’elle,
paumes et genoux à terre. A ce moment là, la tortue n’a plus fui. Et quand elle
s’est arrêtée de marcher, j’ai fait un mouvement en arrière. Elle s’est avancée,
j’ai reculé. J’ai attendu quelques instants, puis je me suis approché, un peu,
doucement. La tortue a fait un pas de plus vers moi, j’en ai aussitôt fait
quelques-uns en arrière. Elle est alors venue vers moi et s’est laissée regarder
tranquillement. J’ai pu commencer à la photographier. L’approche de cette
tortue m’a pris une journée entière. Toute une journée pour lui faire
comprendre que je respectais son territoire. </div>
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J’ai réalisé quelques histoires photographiques qui
racontent notre époque et les transformations de notre monde. Chaque fois, il
m’a fallu plusieurs années pour y parvenir.
(…) Pour photographier, il faut la patience d’attendre ce qui va se passer. Car quelque chose va se
produire, nécessairement. Dans la majorité des cas, on n’a pas les moyens
d’accélérer les évènements.</div>
<div class="MsoNormal">
Avant « Genesis », je n’avais photographié qu’une
seule espèce : les humains. Pour ce projet consacré à la nature préservée,
au cours des huit années de voyage, il a fallu que j’apprenne à travailler avec
les autres espèces. Dés le premier jour du premier reportage, grâce à la
tortue, j’ai compris que, pour photographier un animal, il faut l’aimer, avoir
du plaisir à regarder sa beauté, ses contours. Il faut le respecter, préserver
son espace, son confort dans l’approche, la façon de le regarder et de le
photographier. A partir de là, j’ai donc travaillé avec les autres animaux
comme je travaille depuis toujours avec nous, les humains.</div>
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<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-O5kCttFqe8I/WGjmoO8lGCI/AAAAAAAAA6k/8qKQ5T4hxD8sUZLscx1fW6-FI_O-NsxEQCK4B/s1600/Sebastiao_Salgado_GENESIS_Galapagos_Islands_Ecuador_2004.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://4.bp.blogspot.com/-O5kCttFqe8I/WGjmoO8lGCI/AAAAAAAAA6k/8qKQ5T4hxD8sUZLscx1fW6-FI_O-NsxEQCK4B/s320/Sebastiao_Salgado_GENESIS_Galapagos_Islands_Ecuador_2004.jpg" width="234" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, "Genesis", Galapagos, 2004.</td></tr>
</tbody></table>
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<br /></div>
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<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-ZmTnOIn63Lw/WGjnOldfocI/AAAAAAAAA60/v4qfCAXqPnIuIiFRHkMfdmsW9sYc7KMRACK4B/s1600/Sebastiao_Salgado_Lizard_Galapagos.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://4.bp.blogspot.com/-ZmTnOIn63Lw/WGjnOldfocI/AAAAAAAAA60/v4qfCAXqPnIuIiFRHkMfdmsW9sYc7KMRACK4B/s400/Sebastiao_Salgado_Lizard_Galapagos.png" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, "Genesis", Galapagos, 2004.</td></tr>
</tbody></table>
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(...)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Certains disent que je suis un photojournaliste. Ce n’est
pas vrai. D’autres que je suis un militant. Ce n’est pas vrai non plus. La
seule vérité, c’est que la photo est ma vie. Toutes mes photos correspondent à
des moments que j’ai vécus intensément. Toutes ces images existent parce que la
vie, ma vie, m’a poussé à les faire. Parce qu’il y avait une rage en moi qui
m’a amené à cet endroit-là. Parfois, c’est une idéologie qui m’a guidé, parfois
la curiosité ou bien mon envie de me trouver là. Ma photo n’est pas du tout
objective. Comme tous les photographes, je photographie en fonction de
moi-même. De ce qui me passe par la tête, de ce que je suis en train de vivre et
de penser. Et j’assume. </div>
<div class="MsoNormal">
Toutes mes photos on fini dans un journal, certes ; la
presse est mon support premier, mon repère. Mais, pour moi, photographier,
c’est beaucoup plus que de publier des images. Pour un journal, on travaille
quatre, cinq jours, une semaine maximum sur un sujet, surtout aujourd’hui. Pour
moi, mon travail n’est jamais fini. Ce qui m’intéresse, c’est de produire des récits
photographiques découpés en différents reportages échelonnés sur plusieurs
années. De travailler à fond une question sur cinq ou six ans, pas de
papillonner d’un sujet à l’autre, d’un endroit à l’autre. Le seul moyen de
raconter des histoires, c’est de retourner au même endroit à plusieurs
reprises ; c’est dans cette dialectique que l’on évolue. Je procède ainsi
depuis plus de quarante ans. Cela a donné une certaine cohérence à mon travail.
Je la dois assurément aussi à mon équilibre émotionnel. Au fait d’avoir passé
toute une vie avec la femme que j’aime ; grâce à tout ce que nous avons
partagé ensemble et avec nos enfants. Aujourd’hui, quand je regarde en arrière,
je trouve une harmonie entre ce que je suis, ce que je fais et d’où je viens.
Mais bien sûr, à l’époque, je savais seulement que j’étais en train de vivre
intensément.</div>
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(…)</div>
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<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Pour prendre de bonnes photos, il faut ressentir beaucoup de
plaisir. On ne peut passer au total cinq ans de sa vie en Afrique si on n’aime
pas vraiment ce continent. Inutile de vous imposer de regarder des gens
travailler si cela ne vous intéresse pas. Pour rester plusieurs mois dans une mine, il faut avoir une réelle motivation. Il faut aimer cela. Tous ceux qui
vivent auprès d’un photographe le savent bien : la chose la plus rasoir au
monde, c’est de le suivre. Il peut passer plusieurs heures d’affilée dans le
même endroit, les yeux rivés dans son viseur. J’adore rester ainsi, des heures,
à guetter, à cadrer, à travailler à fond la lumière. Tout se joue ensuite au
labo. Il s’agit de restituer mes émotions dans un langage qui n’est pas réel,
puisque le noir et blanc est une abstraction, à travers les gammes de gris au
tirage. Jadis, j’avais ce plaisir, tout seul au labo.</div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
En se mettant en situation de totale intégration avec ce qui
l’entoure, le photographe sait qu’il va assister à quelque chose d’inattendu.
Quand il se fond dans le paysage, dans la situation, la construction de l’image
finit par émerger devant ses yeux. Mais pour réussir à la voir, il doit faire
partie du phénomène. Tous les éléments se mettent alors à jouer pour lui. A cet
instant, quel émerveillement ! Cela me rappelle le travail que j’ai
accompli pour un livre commandé par le comité d’entreprise de la SNCF. Je me
trouvais à la gare d’Aurillac… (…). Un ami Antoine de Giaglis m’a dit :
« Regarde, Sebastiao, toute la gare travaille avec ton appareil ». Et
c’était vrai. Chacun vaquait à son
occupation, mais c’était comme si nous étions tous reliés et que nous formions
un grand théâtre. Nous étions tous en train d’interpréter la même pièce,
ensemble. La photo, c’est ça. A un moment, tous les éléments sont liés :
les gens, le vent, l’arbre, le fond, la lumière.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-9oQK5UtDIQE/WGjnsX_P8vI/AAAAAAAAA68/o0ueNIb1R3YOAGQR_6L8QIni5iN2CaR7gCK4B/s1600/274956683%2B1989.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://3.bp.blogspot.com/-9oQK5UtDIQE/WGjnsX_P8vI/AAAAAAAAA68/o0ueNIb1R3YOAGQR_6L8QIni5iN2CaR7gCK4B/s320/274956683%2B1989.jpg" width="234" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-NyBwxd1XUds/WGjn85aKc3I/AAAAAAAAA7E/dGsyBoRvu6wwIj96Drx_1yArtDmEuUhtQCK4B/s1600/les%2Bcheminots.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://4.bp.blogspot.com/-NyBwxd1XUds/WGjn85aKc3I/AAAAAAAAA7E/dGsyBoRvu6wwIj96Drx_1yArtDmEuUhtQCK4B/s400/les%2Bcheminots.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Les cheminots, Commande de la SNCF, 1989.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<o:p> </o:p>(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Les images rapportées, je ne les ai pas réussies tout seul.
Il a fallu que les populations me les autorisent, me les offrent. Celles-ci
l’ont fait parce que j’ai pris le temps de vivre avec elles. Le fait d’être
venu seul a aussi été essentiel. L’être humain est un animal grégaire, alors
quand il débarque seul quelque part, il se fait vite assimiler par ceux qui
sont sur place. Quand j’avais froid, quand j’avais faim, quand ma famille me
manquait, je le disais à mes hôtes. Je leur parlais de mon petit garçon qui
grandissait loin de moi. Bref, j’ai partagé avec eux l’essentiel, tout comme
ils ont partagé ces images avec moi. Ces photos, ils me les ont données et je
les ai reçues. Elles sont chargées d’un véritable pouvoir pour moi. Quand je
les regarde, elles évoquent mon isolement additionné au réconfort que m’ont
apporté ces Indiens. Et quand je les ai montrées, elles ont quelques fois
transmis cette puissance. Celle de la vie de ces gens et du temps que nous
avons passé ensemble.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-AuQZSzM-KFU/WGkJE-DwvGI/AAAAAAAAA9w/x8Ua3HexHNIKcoS-MLs-MFtLtxR5_zHcACK4B/s1600/sebastiao%2Bsalgado%2Bindien%2Bdu%2Bhaut%2Bxingu.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://3.bp.blogspot.com/-AuQZSzM-KFU/WGkJE-DwvGI/AAAAAAAAA9w/x8Ua3HexHNIKcoS-MLs-MFtLtxR5_zHcACK4B/s400/sebastiao%2Bsalgado%2Bindien%2Bdu%2Bhaut%2Bxingu.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, indien d'Amazonie, Brésil</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-c5oQIABSPkw/WGkI3Y0BKEI/AAAAAAAAA9g/Nwx_54JD_mMmOGupBFfQncqsXcbYgAYDQCK4B/s1600/sebastiao%2Bsalgado%2Bbr%25C3%25A9sil.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://2.bp.blogspot.com/-c5oQIABSPkw/WGkI3Y0BKEI/AAAAAAAAA9g/Nwx_54JD_mMmOGupBFfQncqsXcbYgAYDQCK4B/s400/sebastiao%2Bsalgado%2Bbr%25C3%25A9sil.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, indien d'Amazonie, Brésil.</td></tr>
</tbody></table>
<br /><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-sDc74OtGXCI/WGjqV06xpQI/AAAAAAAAA70/4Mhyq7T4ydIORKfo5GXaNOdCe2jw4M35gCK4B/s1600/SALGADO-%2Bamazonie%2Betat%2Bdu%2BMato%2BGrosso%2BBr%25C3%25A9sil%2B2005..jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="234" src="https://3.bp.blogspot.com/-sDc74OtGXCI/WGjqV06xpQI/AAAAAAAAA70/4Mhyq7T4ydIORKfo5GXaNOdCe2jw4M35gCK4B/s320/SALGADO-%2Bamazonie%2Betat%2Bdu%2BMato%2BGrosso%2BBr%25C3%25A9sil%2B2005..jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"> Sebastiao Salgado, etat du Mato Grosse, Brésil, 2005.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
J’ai effectué de
nombreux reportages sur des populations en difficulté et des réfugiés au
cours de ma vie. Comme pour toutes mes histoires photographiques, je me suis,
chaque fois, fait introduire auprès de personnes et de communautés par des
institutions et organisations qui travaillent avec elles. J’ai pris le temps
rencontrer les gens, de discuter avec eux. Je fais toujours face à ceux que je
photographie dans leur environnement, dans leur action. Je ne leur demande
jamais de poser, mais ils voient parfaitement que je les prends en photo et m’y
autorisent tacitement. Aucune photo, à elle seule, ne peut changer quoi que ce
soit à la pauvreté du monde. Cependant, additionnées à des textes, à des films
et à toute l’action des organisations humanitaires et environnementales, mes
images participent à un mouvement plus vaste de dénonciation de la violence, de
l’exclusion ou de la problématique écologique. Ces moyens d’information
contribuent à sensibiliser ceux qui les regardent sur la capacité que nous
avons tous à changer la destinée de l’humanité.</div>
<div class="MsoNormal">
Je ne suis pas originaire de la moitié nord du monde et je
ne partage pas le sentiment de culpabilité de certains de mes confrères. Je ne
photographie pas la pauvreté matérielle parce que je culpabilise, elle fait
partie du monde dont je viens.(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-K3EK9cReDKE/WGjp_NduhtI/AAAAAAAAA7c/8cbwAbRgjvsYrVqMUgxCxLxXCP9MeKn0ACK4B/s1600/za%25C3%25AFre%2B1994.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="209" src="https://1.bp.blogspot.com/-K3EK9cReDKE/WGjp_NduhtI/AAAAAAAAA7c/8cbwAbRgjvsYrVqMUgxCxLxXCP9MeKn0ACK4B/s320/za%25C3%25AFre%2B1994.png" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, zaïre, 1994.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<o:p></o:p><br /><o:p></o:p></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-oBiqtYv2rvo/WGjpuhvQyCI/AAAAAAAAA7U/LYrI7F09x7E91b8D9HoGem7c8c3RP7oQACK4B/s1600/003%2Bafrique.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="216" src="https://1.bp.blogspot.com/-oBiqtYv2rvo/WGjpuhvQyCI/AAAAAAAAA7U/LYrI7F09x7E91b8D9HoGem7c8c3RP7oQACK4B/s320/003%2Bafrique.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, </td></tr>
</tbody></table>
<br /><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-Zbkd0khUWAA/WGjqForNe5I/AAAAAAAAA7k/ddJ_rTgXxAgGuyWhGaOjzGFW4NPx9N18QCK4B/s1600/Capture%252Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%252B2013-07-01%252Ba%25CC%2580%252B06.54.42.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://2.bp.blogspot.com/-Zbkd0khUWAA/WGjqForNe5I/AAAAAAAAA7k/ddJ_rTgXxAgGuyWhGaOjzGFW4NPx9N18QCK4B/s320/Capture%252Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%252B2013-07-01%252Ba%25CC%2580%252B06.54.42.png" width="236" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-40dozZHxtTQ/WGjq6LlEueI/AAAAAAAAA8M/FYOrdYxManIP9cZ_Uy2n7tSM3FIyIprFwCK4B/s1600/za%25C3%25AFre%2B1977.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://3.bp.blogspot.com/-40dozZHxtTQ/WGjq6LlEueI/AAAAAAAAA8M/FYOrdYxManIP9cZ_Uy2n7tSM3FIyIprFwCK4B/s400/za%25C3%25AFre%2B1977.png" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, zaïre, 1977.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-6bI8oWs3uu0/WGjq-Zwc4sI/AAAAAAAAA8U/VwXxW4lGD5s4ht3p_uSDJsv4AKio9vVOQCK4B/s1600/za%25C2%25A8re%2B1977.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://4.bp.blogspot.com/-6bI8oWs3uu0/WGjq-Zwc4sI/AAAAAAAAA8U/VwXxW4lGD5s4ht3p_uSDJsv4AKio9vVOQCK4B/s400/za%25C2%25A8re%2B1977.png" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, zaïre, 1977.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Comme je l’ai déjà évoqué, j’ai vu tellement de souffrance,
de haine, de violence au cours des reportages pour « Exodes » que
j’en suis sorti très ébranlé. Mais je ne regrette pas de les avoir menés.
« Quand on est face à l’atrocité, c’est quoi une bonne
photo ? », me demande-t-on parfois. Ma réponse tient en peu de
mot : la photo est mon langage. Le
photographe est là pour fermer sa gueule, quelles que soient les situations, il
est là pour voir et pour photographier. C’est par la photo que je travaille,
que je m’exprime. C’est par là que je vis.</div>
<div class="MsoNormal">
J’aime le Rwanda. J’ai tenu à photographier ses travailleurs
et ses plantations ainsi que la beauté de ses parcs aussi bien que les
atrocités qui y ont été perpétrées, justement parce que je l’aime. Et, dans
cette période d’horreur, je l’ai photographié avec tout mon cœur. Je pensais
que tout le mode devait savoir. Personne n’a le droit de se protéger des
tragédies de son temps, parce que nous sommes tous responsables, d’une certaine
manière, de ce qui se passe dans la société dans laquelle nous avons choisi de
vivre. Cette société de consommation à laquelle nous participons tous, nous
devons tous admettre qu’elle exploite et paupérise énormément d’habitants de la
planète. Les tragédies provoquées par les inégalités Nord-Sud et les calamités
en séries que cela engendre, tout le monde doit s’en informer grâce à la radio
et la télévision, en lisant la presse, en regardant des photos. C’est notre
monde, nous devons l’assumer. Ce ne sont pas les photographes qui créent les
catastrophes. Elles sont les symptômes des dysfonctionnements de ce monde auquel
nous participons tous. Les photographes sont là pour servir de miroir, comme
les journalistes. Et que l’on ne me parle pas de voyeurisme ! Les voyeurs,
ce sont les politiques qui ont laissé faire et les militaires qui ont facilité
la répression au Rwanda. Ce sont eux, les responsables, ainsi que le Conseil de
sécurité des Nations unies qui, par tous ses manquements, n’a pas empêché que
des millions d’assassinats soient commis.</div>
<div class="MsoNormal">
J’ai toujours cherché à montrer les gens dans leur dignité.
Le plus souvent, ce sont des victimes de la cruauté, des évènements. Ils sont
photographiés alors qu’ils ont perdu leur maison, qu’ils ont assisté à
l’assassinat de leurs proches, parfois à celui de leurs enfants. Pour l’immense
majorité, ce sont des innocents et ils n’ont mérité aucun des malheurs qui leur
sont tombés dessus. Mes photos, je les ai prises parce que j’ai pensé que tout
le monde devait savoir. C’est mon point de vue, mais je n’oblige personne à les
regarder. Mon but n’est ni de faire la leçon ni de donner bonne conscience en
provoquant je ne sais quel sentiment de compassion. J’ai réalisé ces images
parce que j’avais une obligation morale, éthique de le faire. Dans de tels moments de tourmente, qu’est-ce que la morale, qu’est-ce que l’éthique ?
me demandera-t-on. C’est, au moment où je suis en face de quelqu’un en train de
mourir, lorsque je décide ou non de déclencher mon appareil.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-NvY2MmGdGyo/WGjqo1rWRYI/AAAAAAAAA78/IpM4z_ILp_Ed-3m6wpaSZYlKasYTNP1wACK4B/s1600/rwanda%2B1994.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="208" src="https://4.bp.blogspot.com/-NvY2MmGdGyo/WGjqo1rWRYI/AAAAAAAAA78/IpM4z_ILp_Ed-3m6wpaSZYlKasYTNP1wACK4B/s320/rwanda%2B1994.png" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, rwanda, 1994<br /><br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-sy1-jh2ItIU/WGjqtJ00d4I/AAAAAAAAA8E/FTooFE4RlUIjZ_V2hTekCCNQrCBYRaaPwCK4B/s1600/salgado%2Brwanda%2B1994.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="209" src="https://3.bp.blogspot.com/-sy1-jh2ItIU/WGjqtJ00d4I/AAAAAAAAA8E/FTooFE4RlUIjZ_V2hTekCCNQrCBYRaaPwCK4B/s320/salgado%2Brwanda%2B1994.png" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, rwanda, 1994 . </td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Ce n’est pas parce que je me suis tourné vers la nature avec
« Genesis » que j’ai renoncé au noir et blanc. Je n’ai pas besoin du
vert pour montrer les arbres, ni du bleu pour montrer la mer et le ciel. La
couleur ne m’intéresse pas beaucoup dans ma photographie. Je l’ai pratiquée par
le passé, essentiellement pour des commandes de magazines, mais elle
représentait pour moi une série d’inconvénients. Tout d’abord, avant que le
numérique n’existe, les paramètres de prises de vue en couleurs étaient très
rigides. Avec du film, en noir et blanc, on peut faire des surexpositions de
quelques diaphragmes et rattraper ensuite les photos au labo, jusqu’à obtenir
exactement ce que l’on a senti au moment de la prise de vue. Avec la couleur,
c’était impossible.</div>
<div class="MsoNormal">
En argentique, pour les photos couleur, je travaillais en
diapositives. On les posait sur une table lumineuse et on conservait seulement
les bonnes. Le problème, c’est que, en procédant ainsi, on cassait les
séquences et cela me gênait énormément. Tandis qu’en noir et blanc, quand on
travaille avec le film, celui-ci est intégralement reproduit sur une
planche-contact. Les séquences restent complètes, photos ratées comprises.
L’histoire conserve ainsi sa continuité.</div>
<div class="MsoNormal">
Quand j’éditais du noir et blanc argentique, je revivais les
évènements aussi intensément que lors des prises de vue. Je me rappelle m’être
de nouveau senti malade, épuisé, en éditant les contacts de l’un de mes
reportages des « Autres Amériques » au cours duquel j’avais attrapé
une hépatite – je faisais encore à
l’époque mes développements et mes tirages moi-même. Le concept de la
continuité, essentiel pour moi, est renforcé par le numérique, car l’appareil
enregistre l’heure précise, à la seconde près, de chaque prise de vue. Ce qui
me restitue la séquence exacte. La planche-contact est une partie extrêmement
importante de ma photographie ; d’ailleurs j’ai conservé absolument toutes
mes planches, toutes les séquences, tous les tirages en noir et blanc réalisés
depuis plus de quarante ans.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-BSROULl_HMo/WGjrozwIjLI/AAAAAAAAA8k/uCAQ-3a9HagVIBl1PBpkkhbLG6PAT7gOACK4B/s1600/Sebastiao_Salgado_Autres_Ameriques_Bresil_1981.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="https://2.bp.blogspot.com/-BSROULl_HMo/WGjrozwIjLI/AAAAAAAAA8k/uCAQ-3a9HagVIBl1PBpkkhbLG6PAT7gOACK4B/s400/Sebastiao_Salgado_Autres_Ameriques_Bresil_1981.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, Autres amériques, Brésil, 1981. </td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/--FgitqZyz80/WGjrtOimo2I/AAAAAAAAA8s/prJPQol7Alot2w9P7MUZqAxszPR3dPrIACK4B/s1600/autres%2Bam%25C3%25A9riques%2B1986.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://1.bp.blogspot.com/--FgitqZyz80/WGjrtOimo2I/AAAAAAAAA8s/prJPQol7Alot2w9P7MUZqAxszPR3dPrIACK4B/s320/autres%2Bam%25C3%25A9riques%2B1986.jpg" width="207" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, Autres amériques, Brésil, 1986. </td></tr>
</tbody></table>
<br /><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-eL1wbz6TvqA/WGjr1rUzzgI/AAAAAAAAA80/Lxx3k3aJ2SY6ENjAK5Pj_BIji_Aw0klKQCK4B/s1600/Sebastiao_Salgado_Autres_Ameriques_3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="216" src="https://4.bp.blogspot.com/-eL1wbz6TvqA/WGjr1rUzzgI/AAAAAAAAA80/Lxx3k3aJ2SY6ENjAK5Pj_BIji_Aw0klKQCK4B/s320/Sebastiao_Salgado_Autres_Ameriques_3.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, Autres amériques,. </td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<o:p> </o:p>Du temps de l’argentique, quand je travaillais en couleurs
avec du film Kodachrome, je trouvais les bleus et les rouges tellement beaux qu’ils
devenaient plus importants que toutes les émotions contenue dans la photo.
Tandis que, avec du noir et blanc et toutes les gammes de gris, je peux me
concentrer sur la densité des personnes, leurs attitudes, leurs regards, sans
que ceux-ci soient parasités par la couleur. Bien sûr, la réalité n’est pas
ainsi. Mais, quand on regarde une image en noir et blanc, elle pénètre en nous,
nous la digérons, et inconsciemment, nous la colorons. Le noir et blanc, cette
abstraction, est donc assimilé par celui qui le regarde, il se l’approprie. Je
trouve son pouvoir vraiment phénoménal. C’est pourquoi, sans hésitation, c’est
en noir et blanc que j’ai voulu rendre hommage à la nature. La photographier
ainsi, c’était pour moi la meilleure façon de montrer sa personnalité, de faire
ressortir sa dignité. Tout comme pour approcher les humains et les animaux,
pour photographier la nature, il faut la sentir, l’aimer, la respecter. Pour
moi, tout cela passe par le noir et blanc. C’est mon goût, mon choix, mais aussi
ma contrainte et parfois ma difficulté. (…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-1POTuPpt9oA/WGjsMwB7jtI/AAAAAAAAA88/mVTYBD64CVAUBt4pHumnnb2BwVpumg28wCK4B/s1600/big-horn-creek%2Bcanada.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="233" src="https://1.bp.blogspot.com/-1POTuPpt9oA/WGjsMwB7jtI/AAAAAAAAA88/mVTYBD64CVAUBt4pHumnnb2BwVpumg28wCK4B/s320/big-horn-creek%2Bcanada.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, Genesis, big horn creek, Canada</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-VUYpvVpDczw/WGjsSRwb7sI/AAAAAAAAA9E/CZ7GXTmh8tYkNGP_PQtMxhldZzVg7exWQCK4B/s1600/genesis%2Bantartique%2B2005.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="233" src="https://3.bp.blogspot.com/-VUYpvVpDczw/WGjsSRwb7sI/AAAAAAAAA9E/CZ7GXTmh8tYkNGP_PQtMxhldZzVg7exWQCK4B/s320/genesis%2Bantartique%2B2005.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, Genesis, antartique, 2005.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-8DmY1E66sF0/WGjsY1nWE0I/AAAAAAAAA9M/KBHPGPOMUIckhsxSWJn85bBdCco76kVAgCK4B/s1600/su_salgado_genesis_teaser_1304161144_id_684118-4.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="233" src="https://4.bp.blogspot.com/-8DmY1E66sF0/WGjsY1nWE0I/AAAAAAAAA9M/KBHPGPOMUIckhsxSWJn85bBdCco76kVAgCK4B/s320/su_salgado_genesis_teaser_1304161144_id_684118-4.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, Genesis</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-XnqKIHP79nM/WGkLcxZdNoI/AAAAAAAAA-Q/bsyn9wz2ODcSiSg02AUik8ybGyR0md9eQCK4B/s1600/Salgado-Genesis-13.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="232" src="https://4.bp.blogspot.com/-XnqKIHP79nM/WGkLcxZdNoI/AAAAAAAAA-Q/bsyn9wz2ODcSiSg02AUik8ybGyR0md9eQCK4B/s320/Salgado-Genesis-13.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sebastiao Salgado, genesis</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Ma photographie, ce n’est pas un militantisme, ce n’est pas
une profession. C’est ma vie. J’adore la photographie, photographier, avoir un
appareil à la main, avoir mon cadre, jouer avec la lumière. J’adore vivre avec
les gens, observer les communautés, et désormais les animaux, les arbres, les
pierres. Ma photo est tout cela et je ne peux pas dire que ce sont des
décisions rationnelles qui me mènent à aller voir ici ou là. Cela vient du fond
de moi. Et sans cesse le désir de photographier me pousse à repartir. A aller
voir ailleurs. A cherche d’autres images. A prendre toujours et encore de
nouvelles photos. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Sebastiao Salgado et Isabelle Francq, <i>DE MA TERRE A LA TERRE</i>, Presses de la Renaissance, 2013.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-47057360947287630312016-11-19T07:57:00.004-08:002016-11-19T08:00:08.068-08:00"Je selfie donc je suis"<br />
rubriques: <i>photographie contemporaine; photographie analogique et numérique; portrait photographique; psychologie du photographe; société et photographie. </i><br />
<br />
On ne peut penser au selfie sans poser la question de
l’image de soi et plus largement celle du moi. Réaliser un selfie, est-ce un
acte narcissique ? Et si tel est le cas, qu’est-ce que cela dit du
moi ? Enfin, le fait de pouvoir réaliser une photo de soi-même – un
égoportrait - par l’intermédiaire d’un objet-écran qui devient ainsi un
véritable intermédiaire entre mon moi intérieur et l’image de moi, puis de le
poster sur les réseaux sociaux, a-t-il des répercussions sur la nature profonde
de notre moi ?
<br />
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Tout d’abord, nous devons nous entendre sur ce qu’on appelle
le moi. Jusqu’à Freud qui en a bouleversé la définition, le moi était avant
tout une expérience (en tant qu’on l’éprouve, sous la forme d’une intériorité)
en même temps que condition comme « sujet pensant », « condition
de possibilité de la pensée dans le temps »). Du moi, nous avons
conscience : non seulement j’existe, mais en plus je le sais. Il est aussi
associé au raisonnement, il possède plusieurs facultés qui lui sont propres. Le
moi renvoie à l’identité : malgré tous les changements, les modifications,
les projections (le fait que la conscience humaine soit capable de se souvenir
par le biais de la mémoire, ou encore de se projeter par le fait de
l’anticipation), le moi s’éprouve comme étant toujours identique à lui-même (ce
qui n’empêche pas de se questionner sur le contenu à donner à cette identité).
La causalité enfin : le moi est à l’origine de ses actes, il décide pour
lui-même, et l’action est le résultat de sa volonté. Le sentiment du moi est
donc ce qui fait qu’une personne est une personne, définie comme un sujet
libre, c’est-à-dire conscient de lui-même, indivisible et identique à ce qu’il
est, cause de ses actes.</div>
<div class="MsoNormal">
Avec les développements freudiens et la psychanalyse, cette
conception de la conscience et du sujet a été remise en cause. Freud fait du
moi une instance psychique, qui se distingue du fonctionnement inconscient, et
qui implique que désormais « le moi n’est plus le maître en sa propre
demeure ». L’inconscient remet en question nombre des qualités du moi en
tant qu’une part de lui-même lui échappe; il lui devient difficile de définir
son identité, que des actes inconscients viennent contredire; et sa causalité
est ébranlée dans la masure où certains actes peuvent être la conséquence d’une
pulsion et non d’un choix conscient délibéré.</div>
<div class="MsoNormal">
La révolution numérique, elle aussi, vient bouleverser la
définition du moi, à cause des changements de paradigmes qu’elle a entraînés,
d’une part; et du rôle que joue l’objet-écran de l’autre.</div>
<div class="MsoNormal">
Tout d’abord : notre nouveau rapport à l’espace et au
temps rend difficile une saisie de soi sous la forme d’une introspection. Il
est clair que l’époque est moins celle de l’intériorité que celle de
l’extériorité. L’introspection requiert du temps, un temps qui n’est pas dédié
à l’efficacité ni à la productivité, un temps intérieur qui s’égrène à un
rythme qui entre en contradiction avec celui de l’hypermodernité. Puis,
l’intériorité nécessite le déploiement d’une profondeur qui n’est plus une
priorité à l’heure du virtuel (c’est ce que j’ai désigné comme le passage d’une
spatialité verticale à une spatialité horizontale). Ensuite, le règne de
l’image éphémère ne facilite pas la réappropriation de soi sous la forme d’un
récit intérieur, d’une pensée construite, d’un questionnement philosophique ou
encore un soliloque. L’époque de Descartes était certainement plus propice à ce
genre de mouvement intérieur que ne l’est la nôtre.</div>
<div class="MsoNormal">
Ensuite l’objet-écran qu’est par exemple le smartphone est
devenu une sorte d’extension de nous-même. L’homme augmenté ne l’est pas
seulement par l’ajout de matière à son organisme ou encore par le développement
de l’intelligence artificielle, il l’est aussi par l’omniprésence du virtuel
greffé à ses neurones grâce notamment à l’écran du smartphone. En 2007, Gilles
Lipovetsky et Jean Serroy avaient ainsi souligné le phénomène
« global » que représente la multiplication des écrans – et donc des
images – dans notre quotidien : « L’homme d’aujourd’hui et de demain,
relié en permanence par son mobile et par son ordinateur à l’ensemble des
écrans, est au cœur d’un réseau dont l’extension marque les actes de sa vie
quotidienne. » Le règne de l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">eidôlon</i>
(terme employé ici dans le sens d’ « image éphémère » qui rend
compte d’un monde d’images défilant à toute vitesse sans qu’elles puissent être
interprétées, non seulement parce qu’elles ne restent pas assez sur les écrans,
mais aussi parce que leur but n’est pas nécessairement de transmettre un
contenu, mais simplement de donner à regarder. L’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">eidôlon</i> est aussi l’expression d’un recul du discours rationnel (<i style="mso-bidi-font-style: normal;">logos</i>), qui a une incidence sur notre
rapport au langage et donc à la « pensée ».) consacre la puissance
« écranique » et marque l’aliénation de l’homme à cet objet.
« On est en droit de penser qu’on est maintenant entré, avec l’ordinateur
grand public, dans un troisième moment (après ceux du cinéma et de la
télévision). L’immédiateté, l’interactivité, la disposition infinie de tout à
portée de clic : travailler et jouer sur écran, communiquer, s’informer
par écran » « L’homme stochastique » - celui qui est branché en
permanence – existe grâce aux écrans. Or, face à cette double face de soi ou à
cette inter-face, la question de la multiplicité et de la métamorphose du moi se
pose: quel est le sujet qui se « représente » sur écran ?
Y a-t-il scission entre ce que je ressens de moi et ce que je représente de
moi ? Et surtout: le moi intérieur n’en vient-t-il pas à s’effacer, à
s’évanouir ou à se modifier au contact de ce « double »
virtuel ? Toute la question est désormais là: Être sur écran ou ne pas
être. »</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le selfbranding ou l’autopromotion de soi par le selfie au
cœur de l’égosphère est un vrai succès ! Impossible de passer outre cette
publicité gratuite et efficace de soi. Avec le sefbranding, le moi devient une
marque, un label, un produit marketé. Il est si simple de faire parler de soi,
simplement en se montrant: cela fait monter la cote de notre pouvoir social,
assure un moment de popularité immédiat. Si bien que, « dans une époque où
chacun peut devenir le réalisateur - distributeur de sa propre image de soi en
même temps que l’acteur de son propre film, le désir qui se dit est celui de
s’élire soi-même vedette, de devenir une espèce de héros iconique ».
(Gilles Lipovetsky et Jean Serroy)
</div>
<div class="MsoNormal">
Avec le selfbranding, le visage selfique ne se contente plus
d’être une image (<i style="mso-bidi-font-style: normal;">eidôlon</i>)mais aussi
une icône, invitant à la fascination, à l’adulation, à l’adoration, et ce,
grâce à la popularité. Ce contenter d’exister ne suffit plus: il faut se
vendre ! Ainsi, l’icône selfique s’érige en une nouvelle divinité qu’il
s’agit d’adorer à tout prix au nom de la société de consommation, à l’exemple
de toutes ces publicités « photoshopées » où la beauté d’un visage
féminin est à ce point lissée qu’on en vient à douter de son humanité. L’une
des reines de ce selfbrading est Kim Kardashian, connue entre autre (…)<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>pour la mise en scène permanente de sa vie
qu’elle exhibe dans une télé réalité. Déesse incontestée du selfie, elle a<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>publié en 2015 Selfish, recueil qui rassemble
ses selfies les plus célèbres. Kim K s’est en effet imposée précisément grâce à
ses selfies postés quotidiennement sur le Web. Selfish n’a pas été un grand
succès en librairie (…) mais comme le constate le responsable de la publicité
de la maison d’édition, l’important n’est pas là : « Le livre est en
fait une réussite significative comme point de repère du phénomène de
l’autoportrait dans l’ère numérique. » </div>
<div class="MsoNormal">
Certes, mais si Kim K a fait du selfie sa marque de fabrique
et surtout un véritable business, tout le monde ne se trouve pas dans la même
démarche. Et l’autopromotion, dans un registre plus anonyme, peut prendre une
autre forme que celle de la pure publicité: celle de l’estime de soi.</div>
<div class="MsoNormal">
S’autoproclamer vedette, transformer son image et la faisant
coïncider avec un idéal de soi, un peu comme si un magicien nous offrait la
possibilité de nous transformer d’un clic de baguette magique, a certes de quoi
regonfler l’estime de soi. Cette transposition où la pose choisie vient
célébrer l’égo peut aider à combler un vide narcissique, le temps de se trouver
« beau » ou « belle » sur l’image. A l’estime de soi fait
écho la confiance en soi : plus quelqu’un s’estime, plus grande est la
confiance qu’il a en lui-même.</div>
<div class="MsoNormal">
L’acte selfique peut ainsi être envisagé sous cet angle: une
personne qui réalise beaucoup de selfies manquerait de confiance en elle et
chercherait à se rassurer en se renvoyant à elle-même une meilleure<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>image – sur laquelle, parce qu’elle est
photographiée, elle<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>pourra revenir
régulièrement, histoire de reprendre un petit coup d’estime de soi. De plus, en
la soumettant au regard de l’autre sur les réseaux sociaux, par le nombre de
<i>like </i>qu’elle recevrait, elle se trouverait confrontée dans la bonne opinion
qu’elle a d’elle-même. Le selfie aurait donc vertu à nous rassurer – et il
révèle ici l’importance de l’image pour avoir une bonne estime de soi, quand
bien même cela passerait par du selfbranding dans une « egosphère
décomplexée », selon l’expression de la sémiologue Pauline Escande-Gauquié.</div>
<div class="MsoNormal">
Ainsi, le selfie peut être l’expression d’une fragilité
narcissique. Mais un moi ainsi mis sur le devant de la scène grâce aux
nouvelles technologies et une iconisation de soi ne peut être sans conséquences
sur son identité…</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je selfie donc je suis</i></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
L’égo, terme qui se retrouve aussi au cœur du selfie dans
l’expression canadienne d’ « egoportrait », renvoie à la
représentation et à la conscience de soi. Il est très proche de la notion de
« sujet » développée dans la pensée de Descartes. Le sujet est
conscience de lui-même. La personne qui se considère en tant que sujet se
rapporte à elle-même et se décrit en<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>fonction de certains actes, pensées, perceptions, sentiments, désirs,
etc. ce qui lui confère sa qualité de sujet, c’est précisément qu’elle est
douée d’une essence et d’une existence. C’est la capacité du sujet de
subsister, en d’autres termes, ce qui le fonde. En ce sens, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">l’essence du sujet est son existence</i>:
par exemple, l’essence de Pierre est d’être homme et un homme qui existe et qui
se définit par son existence. Pierre est sujet. Ainsi, le sujet tire son
origine de lui-même.</div>
<div class="MsoNormal">
Descartes a une conception du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">cogito</i> comme sujet assuré de sa propre existence, n’ayant nullement
besoin du monde pour être pleinement conscient de lui-même. J’existe, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">sum</i>. C’est une certitude. Je suis une
chose qui pense, qui se distingue de toute matérialité corporelle. Mais
qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est une chose qui s’interroge sur le
monde, sur les autres, sur soi. C’est un sujet qui a conscience du caractère
problématique de son existence. Pour Descartes, l’approche est quasi empirique:
une chose qui pense, c’est une chose qui doute, qui nie, qui conçoit, qui
imagine, qui sent. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je pense donc je suis</i>.</div>
<div class="MsoNormal">
Les changements de paradigmes que j’ai évoqués – notamment
ceux du temps et de l’espace qui rendent problématique le déploiement de la
pensée, mais aussi sa nécessaire intériorisation (il faut du temps pour
construire une argumentation ; il faut de l’espace pour qu’elle puisse
s’étaler…) - , le passage du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">logos</i> à
l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">eidôlon</i> où le règne de l’éphémère rend
difficile l’enracinement des fondements conceptuels mettent à mal le cogito de
Descartes. D’ailleurs, avec l’effacement du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">logos</i>,
penser ne semble plus être une priorité. L’heure est à l’usage, à
l’utilisation, à la chosification. L’heure est à la consommation insatiable. Au
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">je pense donc je suis</i> qui acte la
présence du sujet, de la conscience de soi et du libre arbitre, notre monde
répond par le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">je selfie, donc je suis</i>.
Au <i style="mso-bidi-font-style: normal;">je</i> cartésien conçu comme ouverture
à soi-même, notre contemporanéité répond par le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">je</i> du selfie, marque d’un profond questionnement identitaire.</div>
<div class="MsoNormal">
En effet avec le selfie, nos existences ne se rapportent
plus à l’essence, mais essentiellement à l’image. Et à force de jouer à n’être
que représentation d’images, nous finissons par n’être plus que le sujet de nos
représentations. Peu à peu nos existences, tout en s’enrichissant du virtuel,
s’appauvrissent du réel pour se réduire à la facticité d’un visible sans
arrière-monde, sans arrière-fond. A un visible sans interprétation, qui ne dit
rien d’autre que ce qu’il montre. Le selfie par la monstration est négation de
la démonstration; parce qu’il fige dans le virtuel, il limite le sujet dans le
réel. Nous sommes au cœur de la problématique de la subjectivité à l’heure du
virtuel : la rencontre de deux moi, le moi réel et le moi virtuel.</div>
<div class="MsoNormal">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je selfie, donc je
suis</i> révèle cette métamorphose du moi, en pleine mutation. Un moi à la
recherche de sa nouvelle définition – une définition qui oscille entre le réel
et le virtuel. Un moi en questionnement permanent, car en quête identitaire
incessante. Or, ce questionnement identitaire est aussi doute de soi, marque
d’absence de confiance en soi: n’est-ce pas cela que traduit le nombre de like
que l’on espère récolter par l’adhésion du regard de l’autre ? Un doute de
soi, un manque de confiance en soi, une mésestime de soi. Ainsi plus je doute
de moi et plus je selfie…</div>
<div class="MsoNormal">
Toutefois, plus je selfie et plus je doute. Cercle vicieux
qui enferme le moi et le condamne à une gestation permanente et inéluctable,
sans horizon d’éclosion, en mouvement perpétuel. Le problème est qu’il est
difficile de sortit du doute de soi : le regard des autres, contrairement
au cogito cartésien, ne suffit pas à changer le regard que l’on porte sur soi.
Le nombre de like ne sera jamais suffisant. Ainsi, ce qui aurait vertu à
rassurer, peut au contraire être source d’inquiétude.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le stade du selfie</i></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le selfie est l’expression d’un questionnement inédit du
sujet dans la mesure, où ce qui vient l’interroger, ce n’est plus lui-même, ce
n’est plus l’autre, c’est la machine. Désormais, dans le rapport à lui-même,
dans le rapport à soi, un intermédiaire vient jouer le rôle d’un prisme
(déformant ou pas, modifiant ou pas ?) : l’objet-écran. Ce
bouleversement numérique invite à repenser la subjectivité, à commencer par la
construction du sujet. Il y a une analogie intéressante à relever avec le
« stade du miroir » tel que le définit Lacan, où le miroir serait
remplacé par l’écran du smartphone.</div>
<div class="MsoNormal">
Pour Lacan, le sujet se constitue, bien avant la naissance,
dans le discours des parents : un enfant, avant même de naître au monde,
est déjà « pensé » et « parlé », il « existe »
dans le désir de ses parents. Ce qui lui confère une sorte d’existence
préétablie dans les mots, dans le dire. Mais, dans ce discours, le sujet ne
peut être que « représenté ».</div>
<div class="MsoNormal">
Plus tard, le petit homme a besoin d’être reconnu et, pour
cela, d’être parlé : que ses parents le « nomment », parlent de
lui. Mais il risque de confondre les représentations de lui – par exemple
l’image que lui renvoient ses parents par leur discours – avec sa propre image.
Il s’y perd, recherchant la vérité de lui-même que le langage ne parvient pas à
lui donner dans les images d’autrui auxquelles il s’identifie. Entre 6 et 18
mois, quand il se découvre dans un miroir, il prend alors conscience de l’unité
de son corps et y prend plaisir. C’est le « stade du miroir » :
il s’y reconnaît comme entier et s’identifie à son reflet spéculaire. Il se
voit aussi désormais tel que le voient les autres. Aussi, « le moi est
absolument impossible à distinguer des captations imaginaires qui le
constituent de pied en cap: pour un autre et par un autre » rappelle
Lacan. (…)</div>
<div class="MsoNormal">
Or, la pratique du selfie marque une nouvelle manière,
inédite et singulière, par laquelle le sujet s’appréhende: désormais, celui-ci
doit être redéfini en fonction de cette nouvelle matrice. Le moi ne peut plus
s’appréhender sans son avatar, le moi virtuel. C’est ainsi que nous sommes
passés du stade du miroir au <i style="mso-bidi-font-style: normal;">stade du
selfie</i>.</div>
<div class="MsoNormal">
Tout comme dans le stade du miroir, l’image est précisément
ce qui constitue le sujet comme tel. A l’heure de l’échographie en 3D, on est
déjà loin du sujet qui se constitue dans le discours de l’autre: avant même
d’être dit, il préexiste comme image ! Alors que, face au miroir, c’est la
conscience de soi qui se joue, comme conscience réflexive et dissociation du
corps de l’autre - une conscience qui naît aussi à partir du et dans le langage
-, dans le selfie, si la quête identitaire peut paraître analogue, en revanche,
elle n’atteint pas la prise de conscience: avec l’effacement du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">logos</i>, le dire, le langage, la pensée
s’étiolent. L’écran continue de jouer un rôle majeur et l’image devient un
vecteur de naissance d’une subjectivité virtuelle. On en reste au niveau d’une
subjectivité hybride aliénée à l’image et aux regards des autres: le sujet
n’étant pas assuré de sa propre existence, il reste en attente de confirmation
de lui-même en recherchant le maximum d’approbation de soi dans la
multiplication des <i style="mso-bidi-font-style: normal;">like</i>. Tel est le
sentiment auquel nous renvoie la subjectivité virtuelle.</div>
<div class="MsoNormal">
Ainsi, ce que révèle le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">stade
du selfie</i>, c’est la constitution d’une nouvelle forme de subjectivité
hybride, une subjectivité virtuelle. Une subjectivité qui peine à s’affirmer,
en tension entre un sujet réel et son avatar, une forme de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">subjectivité sans sujet</i>. Ce stade souligne un moment où la
subjectivité est en pleine métamorphose, tout comme le moi qui ne cesse de
s’interroger entre son éprouvé réel et sa représentation virtuelle. Cette
tension est l’expression d’une période transitoire. La question est de savoir à
quoi va aboutir cette nouvelle figure du moi, traversé et transformé de part en
part par le virtuel ? Nous avons parlé de « réalité augmentée »,
« d’homme augmenté » : peut-être faut-il évoquer une
« subjectivité augmentée » par l’intégration du virtuel au cœur de la
constitution même du sujet ? En attendant, ce temps de métamorphose reste
inconfortable, un moment douloureux, difficile. C’est pourquoi nous avons
parfois le sentiment d’avoir du mal à vivre, tant de difficultés à exister,
tant de peine à nous affirmer, tant d’angoisse à dépasser.</div>
<div class="MsoNormal">
Le stade du miroir fait surgir le sujet réel; <i style="mso-bidi-font-style: normal;">le stade du selfie</i> révèle le sujet
virtuel. Au cœur de cette métamorphose, qui ne cesse de renvoyer le moi à un
questionnement sur lui-même, se trouve posée avec force la question du
narcissisme.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le selfie de Narcisse</i></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Narcisse est né du viol d’une nymphe par le fleuve Céphise.
C’est un jeune homme particulièrement beau qui tombe amoureux de la nymphe
Echo. Malheureusement, Echo est condamnée à ne répéter que la dernière syllabe
qu’elle entend. De fait, elle ne peut répondre à l’amour de Narcisse qui, parce
qu’il ne l’entend pas, a le sentiment de ne pas être aimé en retour.</div>
<div class="MsoNormal">
Comme elle ne peut lui parler, Echo tente de le toucher.
Narcisse la repousse et elle meurt. Face à ce dialogue impossible, Narcisse a
aussi le sentiment d’être incapable d’aimer. Il sombre dans un profond
désespoir. Il s’approche alors d’une source pour étancher sa soif. C’est là
qu’il aperçoit le reflet de son visage dans l’eau claire. Il tombe finalement
amoureux de ce qu’il découvre: son image le subjugue. Il admire tout ce qu’il y
a de plus beau en lui: il se désire lui-même. Il est l’objet de son amour.
Mais, devant l’impossibilité d’assouvir son amour, Narcisse se laisse mourir.
Il est alors transformé en fleur, celle qui porte son nom.</div>
<div class="MsoNormal">
Le mythe de Narcisse est particulièrement intéressant à
revisiter à l’aune de ce que nous avons établi jusqu’ici: Narcisse traverse une
crise de l’image de soi, mais aussi un questionnement identitaire. Surtout, il
est privé de dialogue. L’amour entre Echo et lui est rendu impossible par un
quiproquo né de l’absence d’échange de langage entre eux. Et quand il rencontre
le désir, c’est un désir impossible à embrasser, à combler.</div>
<div class="MsoNormal">
Le narcissisme est une notion psychanalytique fondamentale,
au cœur de la théorie freudienne. Cette notion est aussi au centre de nos
existences – présente dans nombre de nos comportements. Dans un contexte où le
sujet subit de vraies métamorphoses, il convient donc de repenser le rapport
que nous entretenons avec elle.</div>
<div class="MsoNormal">
Lorsque le sociologue Christopher Lasch décrit en 1979, dans
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">La Culture du narcissisme</i>,
« l’homme psychologique de notre temps », il pointe déjà les
débordements narcissiques dus aux modifications de notre société. Il note que
le narcissisme ne doit plus seulement s’entendre au sens clinique du terme,
mais plutôt comme véritable « métaphore de la condition
humaine ». Ainsi, « nous vivons dans une période de l’histoire
caractérisée par un écart très net entre le développement intellectuel de
l’homme… et son développement affectif ou mental, écart qui le laisse dans un
état de narcissisme marqué, avec son cortège de symptômes pathologiques »,
commente-t-il. Et de rappeler, loin de la référence à Freud, l’ouvrage du
psychanalyste Erich Fromm : « Dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">The Heart of Man</i>, Erich Fromm vide le mot de sa signification
clinique, mais en revanche lui fait couvrir, au niveau de l‘individu, toutes
les formes de « vanité », d’autoadmiration, d’autosatisfaction et
d’autoglorification et, au niveau du groupe, toutes les formes de préjugés
ethniques ou raciaux, d’esprit de clocher et de fanatisme… », perspective
beaucoup plus proche de ce que nous vivons actuellement.</div>
<div class="MsoNormal">
Il est évident que le narcissisme a pris une ampleur
considérable dans le monde contemporain. Nous vivons à l’heure de la
prédominance d’une culture de soi avec toutes ses illusions, ses faux dieux et
ses mirages, bien différente du « souci de soi », si cher à la
philosophie stoïcienne et à Michel Foucault. Dans une société autocentrée, qui
nous entraîne dans les dérives d’un monde à la recherche d’une authenticité
toujours plus grande, la vraisemblance est le maître-mot. « Les hommes ont
toujours été égoïstes et les groupes toujours ethnocentriques; on ne gage rien
à affubler ces traits d’un masque psychiatrique, ajoute Lasch. En revanche, le
fait que les désordres du caractère soient devenus la forme la plus marquante
de la pathologie psychiatrique, entraînant la modification de la structure de
la personnalité tient à des changements tout à fait spécifiques de notre
société et de notre culture: à la bureaucratisation, à la prolifération des
images, au culte de la consommation… et en dernière analyse, aux modifications
de la vie familiale et des modes de socialisation. »</div>
<div class="MsoNormal">
Ainsi se développe une nouvelle théorie du narcissisme, où
le pathologique se mêle au social, avec en creux la question du sujet. Ouvrant
aussi le champ à une clinique inédite dont on peut reprendre ici le rapide
descriptif; « Ouverts plutôt que fermés aux aventures sexuelles, ces
malades trouvent pourtant difficile de vivre pleinement la pulsion sexuelle ou
d’en faire une expérience joyeuse. Ils évitent les engagements… Ces malades
souffrent souvent d’hypocondrie et se plaignent d’éprouver une sensation de
vide intérieur. Ils nourrissent en même temps des fantasmes d’omnipotence et
sont profondément convaincus de leur droit d’exploiter les autres et de se
faire plaisir. Les éléments punitifs et sadiques prédominent dans le surmoi de
ces malades, et s’ils se confrontent aux règles sociales, c’est plus par peur
d’être punis que sous l’emprise d’un sentiment de culpabilité. » Ces
malades du narcissisme éprouvent en toute logique le sentiment d’un vide
intérieur et ne vivent la jouissance que sur le mode de l’éphémère et du
non-engagement (nécessairement, dans la mesure où l’autre est nié, où il n’est
envisagé que comme « moyen en vue d’une fin » narcissique et
égoïste). Dans ces conditions, la rencontre réelle comme rencontre de la
différence et non<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>plus d’un « autre
que l’on tenterait de réduire à soi », devient difficile. En ce sens,
« faire l’amour » deviendrait une sorte d’ « onanisme à
deux », dans une sorte de réduction du désir de l’autre à mon seul désir.</div>
<div class="MsoNormal">
Le narcissisme est marqué par cette nouvelle vision du
monde, ce qui ne cesse de le modifier en profondeur. Le rapport à l’objet
d’amour (narcissisme primaire et narcissisme secondaire) est renversé dans la
mesure où le moi s’illusionne en permanence en cherchant à se saisir sans
jamais s’appréhender, aliéné à son image, de laquelle il a beaucoup de mal à se
détacher, pour aller à la rencontre de l’autre et du désir de l’autre. Là
encore, faire un selfie en est symptomatique: c’est se servir de l’autre comme
un moyen et non plus comme une fin, un moyen à la recherche de la satisfaction
d’un désir narcissique. Quand on constate l’usage que les 15-25 ans font des
photos sur Snapchat, on comprend qu’il est urgent de repenser – voire même de
redéfinir notre rapport au narcissisme. « Avec certains de mes amis on ne
communique que par snaps, tout les jours, on s’envoie des nouvelles en vrac et
des photos », se vante cette adolescente. Des photos qui, comme on l’a
dit, viennent remplacer les mots. Et, pour bon nombre, ces photos mises sur le
site, sont des selfies. Si bien que Snapchat a lancé en septembre 2015 de
nouvelles fonctionnalités pour customiser les selfies. Les « effets
selfies » sont alors garantis, d’un goût incertain, mais à l’aspect ludique
très sûr: les 100 millions d’utilisateurs de Snapchat ont de quoi s’amuser en
enclenchant le mode selfie de l’appli. La jeunesse d’aujourd’hui le
garantit : « Je pense que j’utiliserai de plus en plus Snapchat parce
qu’il y aura sans cesse des améliorations. C’est difficile de rendre compliqué
une idée simple. » Et d’ajouter : « Snapchat est entré dans une
niche parce que l’application répond aux besoins d’une génération que<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>même ses créateurs n’avaient pas compris. Ce
n’est pas que l’interface utilisateur soit compliquée, c’est qu’elle n’existe
même pas ». C’est sans doute ce qu’il y a de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>plus fort dans ce rapport à l’image et plus
particulièrement aux selfies : c’est qu’ils ne reposent sur aucun support,
sur aucun fondement. Ils<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>se sont érigés
sur l’ère du vide et ont créé quelque chose au-dessus du vide.</div>
<div class="MsoNormal">
Mais le selfie de Narcisse n’est pas sans conséquence. Le
regard que l’on porte sur soi n’est plus le même parce qu’il est transformé par
l’objet-écran. Nous l’avons vu: l’objet écran, en tant qu’il est objet (donc
objectivant), écran (donc réduction du moi intérieur à l’image extérieure) et
connecté (intégrant littéralement le regard de l’autre dans le rapport à soi),
modifie le moi intérieur en l’augmentant d’un moi virtuel. Au cœur de ce
processus, se trouve bien évidemment l’image éphémère qui éloigne le sujet d’un
discours fécond et constructif de lui-même. La notion d’image de soi devient
encore plus imperceptible, insaisissable qu’elle ne l’était déjà. L’image
éphémère envahit le monde au sens large, elle est devenue notre premier
langage, souvent difficile à décoder. Serait-on revenu à l’époque des
cavernes ? Narcisse et Echo ont vécu le drame de l’incompréhension: ils
sont condamnés à ne pas <i style="mso-bidi-font-style: normal;">s’entendre</i>, à
ne pas se comprendre, à ne pas « se rencontrer ». Ils restent
prisonniers de leur « moi », ne pouvant sortir d’eux-mêmes pour aller
vers l’autre. Toute une symbolique à l’heure où les mots ont disparu au profit
du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">pic speech</i> !</div>
<div class="MsoNormal">
(….)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Elsa Godart, <i>Je selfie donc je suis </i>(Les métamorphoses du moi à l'ère du virtuel), Albin Michel, 2016. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-13356422190671342062016-09-15T07:18:00.000-07:002016-09-15T07:24:17.410-07:00Image de l'éditing<br />
rubriques: <i>photographie du XXe et contemporaine; lecture de photographie; photographie analogique et numérique</i><br />
<br />
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<br />
<div class="MsoNormal">
Pauline Kasprzak : La pratique photographique se
déroule en plusieurs étapes, selon un cycle opératoire complexe qui va de la
prise de vue à la diffusion, en incluant le travail de postproduction et
d’archivage. Sur le terrain, avec son appareil, le photographe cadre les
éléments qui lui semblent intéressants. Une fois les photos prises, son travail
est loin d’être terminé. Tout au long du XXe siècle, dans la sphère
« argentique », on a surtout mis l’accent sur l’instant de la prise
de vue et insisté sur le fait que l’acte photographique se joue à ce moment-là.
On s’aperçoit aujourd’hui que non seulement la prise de vue n’est pas le seul
travail du photographe, mais aussi qu’elle ne représente peut-être plus l’étape
la plus importante. La tâche la plus lourde qui incombe au photographe semble
venir après, une fois qu’il se retrouve avec un grand nombre de photos et qu’il
doit trier et choisir.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Jean-Christophe Béchet : On pense trop souvent que l’acte
photographique s’arrête à la prise de vue. Une phrase célèbre de Doisneau a
popularisé ce sentiment : « Un centième de seconde par-ci, un
centième de seconde par-là mis bout à bout cela ne fait jamais de deux, trois
secondes chipées à l’éternité. » Cette citation est charmante mais elle
ancre dans la tête du grand public une certaine représentation du
photographe : un aimable dilettante, glaneur de « beaux »
moments sympathiques qui travaille de-ci, de-là, quelques secondes par jour… Or
les praticiens de la photographie savent bien que la prise de vue ne représente
qu’une infime part du travail créatif. Si on passe 5% de son temps à cadrer et
à appuyer sur le déclencheur, c’est déjà bien !</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Surtout dans la photographie
« contemporaine » ou « plasticienne »…</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : C’est sans doute un des paradoxes actuels. Au XXe
siècle, les passionnés se baladaient avec leur appareil autour du cou, toujours
à l’affût de l’instant décisif. Aujourd’hui, le grand public photographie tout
avec son smartphone alors que les « vrais » photographes ne sortent
leur boitier que pour des projets précis. De nombreux auteurs <span style="mso-spacerun: yes;"> </span>passent beaucoup de temps à réfléchir à leur
concept, à se demander de quoi ils vont parler et comment ils vont le faire. Et
ils consacrent aussi beaucoup d’énergie à la finalisation de l’image finale
(postproduction, tirage, encadrement, édition….) L’avant et l’après prise de
vue sont infiniment plus chronophages que la réalisation de l’image elle-même.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK: La prise de vue est devenue plus rapide, plus facile et
plus économique avec la technologie numérique…</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : Tout est lié, bien sûr. Pendant longtemps, le
problème en photographie consistait à maîtriser son appareil, à savoir mesurer
la lumière, jongler avec la vitesse et le diaphragme… Désormais, ce n’est plus
le problème essentiel, l’appareil est devenu un outil aussi facile à utiliser
qu’une voiture ou qu’un lave-linge. Du moins tant qu’on reste dans des modes
entièrement automatiques…</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Quel est alors « le problème essentiel »
du photographe ?</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : Le problème commence une fois que les photos sont
enregistrées sur la carte mémoire et qu’on se demande ce que l’on va en faire.
Aujourd’hui, face à la profusion de clichés qui circulent, j’ai tendance à
penser qu’une photographie n’existe qu’à partir du moment où elle a été
sélectionnée, finalisée et imprimée. Lorsqu’une image est encore à l’état de
fichier brut sur ordinateur parmi dix mille autres, elle n’est « pas
encore née ». Elle est en gestation… Et c’est l’éditing qui va permettre
cet accouchement !</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Je suis entièrement d’accord avec toi sur ce
point : le photographe ne « donne vie » qu’à un petit nombre de
ses photos. Il ne fait exister que celles qu’il a choisies parmi celles qu’il a
réalisées. Il ne peut pas tout montrer. Et si un auteur rate son éditing, s’il
ne sait pas sélectionner ses photos, il risque de laisser passer des images
très moyennes et d’être considéré comme un piètre photographe.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : C’est pourquoi l’angoisse des photographes n’est
plus tellement de rater la photo sur le terrain, mais de rater sa
sélection ! Aujourd’hui, tout le monde peut faire assez facilement de
bonnes images sur le plan technique. Alors, comment se différencier, comment
montrer son savoir-faire, son style, sa personnalité, sa créativité ? Par
la création d’une série au moyen d’un éditing sérieux et réfléchi.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Un éditing qui doit être à la fois subjectif et
objectif… Quel dilemme !</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : On trouve deux défauts récurrents chez les
photographes qui n’arrivent pas à choisir leurs photos. Il y a d’abord ceux qui
pensent que toutes leurs images sont plus ou moins équivalentes et qu’il leur
est impossible de sélectionner l’une plutôt que l’autre. Et il y a ceux qui
refusent d’éliminer une photo qu’ils considèrent comme bonne parce qu’elle leur
rappelle un souvenir agréable de prise de vue. Dans les deux cas, j’essaie de
convaincre ces auteurs que le « bon » photographe n’est pas seulement
celui qui prend des « bonnes » photos, c’est aussi, et surtout, celui
qui sait ensuite choisir les meilleures en fonction d’un projet précis.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Comment expliques-tu cela ? </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : En revenant aux principes fondamentaux ! Au
moment de la prise de vue, le photographe sélectionne dans le réel les éléments
qui l’intéressent. C’est déjà un travail de choix. Par le cadrage, il retient
une portion de ce qu’il a vu et il élimine définitivement le reste, le
« hors champ ». La réalisation d’un éditing est la suite logique de
cette démarche. Sauf que cette fois, on va éliminer des photos déjà faites. Et
cela revient, du moins en partie, à se déjuger, à se remettre en cause, ce qui
est douloureux ! Mais si on est incapable de poursuivre ce travail de
sélection une fois que les photos sont été prises et d’aller jusqu’à la
quintessence de ce qu’on a voulu faire, on s’arrête au milieu du processus
créatif. Et le travail n’est pas abouti. Par conséquent, sauf exception
géniale, il ne mérite pas d’être montré ou diffusé en dehors d’un cercle privé.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Le but du photographe-auteur est justement de
montrer ses photos. Pour cela il dispose de plusieurs canaux de diffusion. Mais
l’éditing n’est-il pas lié à ce canal ? </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : Effectivement, l’éditing ne se fera pas de la
même façon selon le canal de diffusion que l’on privilégie. J’en imagine
trois : l’exposition (la forme papier qu’on expose) ; la forme
audio-visuelle qu’on projette ; le livre. Dans une exposition, il est rare
de montrer plus de trente tirages. Dans une projection, on pourra inclure deux
cents photos en quinze ou vingt minutes. Dans un livre, tout dépend du format,
nombre de pages … (…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : Il n’y a donc pas un éditing, mais une succession
de plusieurs, chacun s’affinant en fonction de multiples critères croisés.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
JCB : Chaque cas est particulier mais il y a une
constante. Dans un premier temps, il va juste s’agir d’éliminer les images
ratées ou celles qui nous semblent les moins fortes. Ensuite on passera
réellement à la sélection des « meilleures ». Parfois, ce processus
prend des années ! Il faut se dire que le photographe est un iceberg, dans
le sens où, quelle que soit la personne à qui il présente ses photos, il ne
montre qu’une infime partie de sa production globale d’images. Les 99% de cette
production resteront la partie immergée de l’iceberg que personne ne verra.
D’où l’importance de ne pas montrer trop vite des photos sélectionnées à chaud…
Seul le temps donne du recul nécessaire à un bon éditing.</div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
PK : En processus numérique, les photographes débutants
ont davantage besoin de « professeurs d’éditing » que de conseils
techniques. Quelle serait la méthode que tu préconiserais ?</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
JCB : La sélection est évidemment subjective, mais on
peut donner des principes et une sorte de méthode en trois points: </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
Il faut faire un premier choix assez large et assez
rapidement après la prise de vue. Si on laisse « dormir » ses photos
trop longtemps sans les regarder, on va vite se retrouver noyé sous la masse
des fichiers produits. Lors de cette première sélection, la proportion des
photos que l’on garde est très variable, disons entre 20 et 30 % de sa
production. Les images éliminées sont conservées comme une sorte de pioche...</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
Sauf besoin impérieux ou professionnel, on laissera
dormir cette sélection plusieurs mois. Il s’agit de se débarrasser de
« l’image mentale », c’est-à-dire du souvenir visuel qui s’est créé
lors de la prise de vue et qui reste plaqué, tel un calque invisible, sur
l’image. Un calque « sentimental » que seul l’auteur voit : on a
cru à un cadrage original, à un « instant décisif » bien saisi lors
de la prise de vue et on a du mal à accepter que sa photo soit ratée. On se
raccroche à son souvenir du terrain. Six, huit ou dix-huit mois plus tard, on
aura oublié les circonstances de la prise de vue et on pourra donc faire un
deuxième éditing moins « sentimental ». Être sentimental n’est pas un
défaut en soi, mais il le devient quand on conserve une photo au nom d’une histoire
que l’on est seul à connaître. Les spectateurs d’une expo ou les lecteurs d’un
livre « jugent » la photo qu’ils voient, ils ne vont pas s’intéresser
à toutes les explications de l’auteur qui va raconter pourquoi il aime cette
image !</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: left;">
PK : Reste la troisième
étape de ta méthode
</div>
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : C’est le moment où on
va passer aux tirages de lecture. Chaque image retenue lors du deuxième éditing
va devenir une « photo sur papier » et sera rangée dans des boites.
La réalisation d’une épreuve papier est, pour moi, cruciale. Car cela coûte de
l’argent, donc on devient sélectif. Ces tirages dormiront dans des boites
jusqu’à ce qu’ils s’intègrent à un projet précis.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
PK : L’éditing est donc lié
au temps, à la durée, comme toute photographie finalement ! Il y a aussi
de nombreux autres critères qui s’entrechoquent lors de ces étapes…
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : Oui bien sûr, j’ai
donné ici un cadre « généraliste » que chacun affinera en fonction de
ses possibilités et surtout de sa personnalité. On photographie comme on est.
Il y a ceux qui aiment l’ordre et ceux qui sont à l’aise dans le désordre, il y
a ceux qui se concentrent sur un seul sujet à la fois et ceux qui mènent an
parallèle plusieurs séries. J’avoue d’ailleurs faire partie de cette seconde
catégorie…
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
(…)
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : Le photographe doit
constamment faire le deuil de photos qui lui ont donné du mal et dans
lesquelles il avait investi beaucoup d’espoir. Dans un sens, l’éditing est un exercice
cruel ! Dans le domaine de l’esthétique, en photo comme dans les autres
arts, ce n’est pas le travail le plus dur qui est le plus intéressant ou
le<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>plus pertinent. La question de la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">facilité</i> n’est pas prise en compte. Ou
rarement. C’est pourquoi, sans le recul du temps, le photographe ne sera pas un
bon « éditeur » de ses photos.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
PK : Alors pourquoi ne pas avoir
recours à un œil extérieur ? Est-ce forcément le photographe qui doit
faire la sélection finale de ses images ?
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : On entre là dans une
problématique complexe où l’on doit différencier le travail professionnel de la
pratique amateur ou artistique. Dans le domaine professionnel, notamment dans
les agences de presse, il y a des personnes qui sont des « picture
editor » et dont le métier est de choisir les meilleures photos. Mais ils
vont toujours le faire en fonction d’un destinataire. Bien sûr, il y aura
quelques plaques qui feront l’unanimité mais, dans toute démarche
professionnelle, il y a le souci de répondre aux besoins d’un client ou d’une
structure qui a ses propres règles. Dans ce cas-là, bien plus confortable pour
le photographe, l’éditing final, le « final cut » n’est pas du
ressort de l’auteur. En revanche, si on décide de construire « un travail
d’auteur » et une série personnelle, il est délicat, voire incompatible à
mon sens, de ne pas être aux manettes lors du choix des images finales. (…) Lors
des dernières étapes d’éditing (et il peut y en avoir beaucoup), l’auteur
demandera l’avis d’autres personnes. Mais il aura fait 95% du travail en amont.<br />
<br />
(...)<br />
<br />
PK : Avec le numérique,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>on a aussi la possibilité de retoucher
facilement ses photos. Pendant l’éditing, on ne peut pas faire abstraction de
la question de la retouche.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : En argentique aussi,
d’une certaine façon, la question se posait déjà. Pour le noir et blanc, on
pouvait très bien se dire en regardant les images de la planche-contact qu’une
photo mal exposée pourrait devenir intéressante. On la sélectionnait alors pour
en faire<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>un tirage de lecture afin
d’estimer son potentiel. A chaque étape de l’éditing, le photographe
doute : il évalue des potentialités, il fait des paris, il avance. En
numérique c’est pareil… A mon sens, la première sélection des photos doit
s’effectuer sur leur qualité intrinsèque. On peut les recadrer un peu,
améliorer les couleurs, les contrastes, je n’y vois rien de choquant mais je
pense qu’il ne faut pas retravailler une image tant qu’on est dans l’émotion de
la prise de vue. Bien sûr, tout cela est une question de style personnel. Pour
certains photographes, le travail sur l’ordinateur est beaucoup plus important
que celui de la prise de vue et ceux-là prennent un véritable plaisir à
retravailler leurs images. La question de la retouche est alors liée à
l’éditing. Il se peut qu’on sélectionne deux photos pour les fusionner par la
suite alors qu’individuellement, elles ne sont pas forcément intéressantes.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
(…)<br />
<br />
L’éditing n’est pas un choix
purement technique, c’est d’abord un choix esthétique. Il peut y avoir de très
bonnes photos d’un point de vue technique qu’on ne va pas amener jusqu’à
l’étape du tirage parce qu’elles ne correspondent pas à ce qu’on a envie de montrer.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
(...) <br />
<br />
<br />
PK : Une autre question se
pose dans la finalisation d’une série, notamment en vue d’une exposition :
celle du format du tirage. Nous l’avons déjà évoqué, une photo ne sera pas la
même et n’aura pas le même impact sur le spectateur selon le format. Comment
choisir le bon format pour mettre en valeur une série ?
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : Certaines séries sont
conçues prioritairement pour la page imprimée, d’autres pour le mur. C’est
toute l’ambigüité de la photographie. Quand j’ouvre un livre de peinture ou de
sculpture, je sais que ne je ne vois pas l’œuvre elle-même mais une
reproduction photographique de celle-ci. Quand j’ouvre un livre de
photographies, je ne sais pas. Pour certains auteurs, le livre est
« l’œuvre elle-même » car les images ont été conçues pour être ainsi
présentées. Je pense à la photographie japonaise, au <i style="mso-bidi-font-style: normal;">New York</i> de William Klein ou à Ralph Gibson et sa <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Black Trilogy</i> « The
somnanbulist/Déjà Vu/Days at Sea » et à beaucoup d’autres auteurs
contemporains pour qui le livre est le meilleur support. En revanche, d’autres
artistes, plus proches de la peinture, privilégient le « grand
format » et leurs livres sont des recueils où sont reproduits leurs
« tableaux photographiques ». On peut citer Jeff Wall qui intègre ses
images dans de grands caissons lumineux ou Andreas Gursky dont les images ne
peuvent s’apprécier que dans leur très grand format d’origine. L’image réelle,
la série pensée et façonnée par l’auteur, n’est pas dans le livre. C’est pour
cela qu’il faut toujours s’interroger sur le statut « réel » d’un
livre de photos.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
PK : Cette distinction est
souvent à l’origine de bien des incompréhensions.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : La photo d’Andreas
Gursky, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">RheinII</i>, est l’image la plus
chère du monde. Elle a fait la une du quotidien <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le Parisien</i>. Elle est reproduite en petit format sur du papier
journal au milieu d’autres articles. Tout le mode s’est étonné en voyant
l’image et le prix qu’elle avait atteint. Et bien sûr chaque lecteur a dû se
dire qu’il pouvait faire la même photo et que décidément, les photographes ont
la belle vie ! Or, ils n’ont jamais vu la véritable image de Gursky,
monumentale et à apprécier dans un musée avec le recul et l’espace nécessaire.
Je ne cherche pas à justifier le prix de cette œuvre, je veux juste signaler
qu’une photo n’existe pas en elle-même en dehors de son support de diffusion.
Une même image vue sur un écran de téléphone, sur un ordinateur, en tirage A4,
imprimée sur un journal ou exposée en grand format sur le mur d’un musée ne sera
pas la même « œuvre ».
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
PK : Ce choix du grand format
comme étape finale de la série est une approche assez nouvelle. Elle n’existait
pas vraiment du temps de l’argentique : l’éditing peut donc aussi évoluer
en fonction des progrès technologiques.
<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
<br /></div>
JCB : En effet, la question
du très grand format ne se posait pas au photographe puisque techniquement cela
ne se pratiquait pas, sauf cas exceptionnel. Certains artistes reconsidèrent
aujourd’hui leurs précédents éditing car des images qui étaient impossibles à
tirer il y a vingt ans, notamment en couleurs, deviennent désormais tout à fait
exploitables. Ainsi, Willy Ronis m’a expliqué qu’il avait éliminé de son
premier éditing, en mars 1938, la photo de la militante Rose Zehner haranguant
la foule des grévistes. L’image était trop sombre et le négatif trop sous-exposé
pour être correctement tiré. Ensuite, lors d’un nouvel éditing, il l’a exhumée
de ses archives parce qu’entre-temps le papier noir et blanc à grade variable
avait été inventé. Et désormais, cette photo est devenue une véritable icône et
elle est présente dans toutes les monographies de Willy Ronis.<br />
<br />
Jean-Christophe Béchet, Pauline Kasprzak, <i>Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique</i>, Creaphis Editions, 2014.<br />
<div class="MsoNormal" style="margin-left: 18.0pt;">
</div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-90355377606701420182016-04-09T02:59:00.000-07:002016-04-09T03:01:36.359-07:00Rêvons un peu...<!--[if gte mso 9]><xml>
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<br />
rubriques: <i> langage et photographie, lecture de photographies, montage photographique, texte et photographie</i><br />
<br />
En tant qu’expérience visuelle, les rêves ne peuvent être partagés que dans
le discours qu’on tient à leur propos. Pour cette raison, les analyses de Freud
sur le rêve ne portent que sur des récits, et les catégories analytiques
relatives à l’élaboration inconsciente du rêve – le travail du rêve – s’appliquent
à la relation que les patients font de leur rêve. Ce préambule était nécessaire
pour aborder l’expérience photographique hors du commun qu’a menée Grete Stern
comme illustratrice d’une chronique du magazine <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Idilio</i>, à Buenos Aires.<br />
Entre 1948 et 1950, une rubrique freudienne intitulée « La psychanalyse
vous aidera » se charge d’interpréter des rêves de lecteurs et la
photographe Grete Stern se voit confier la tâche d’illustrer chacune de ces
rubriques avec une photographie onirique. Au rythme d’une illustration par
semaine, elle réalisa au total cent trente photographies dont deux tiers ont
survécu à la disparition du magazine.<br />
<br />
Cette expérience, en elle-même, appelle deux remarques :<br />
Le processus de création photographique va à rebours de la technique
freudienne, puisque c’est le récit que font les lecteurs de leurs rêves qui
devient image et non l’inverse. Pour cette raison, les images de Grete Stern
sont des photomontages et s’inscrivent donc dans un régime discursif de
visibilité.<br />
La seconde remarque est une question : pourquoi les<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>rédacteurs de cette rubrique ont-ils préféré
la photographie pour l’illustration des rêves plutôt que la peinture et le
dessin qui possédaient, avec l’expérience symboliste au moins, les codes de
représentation du rêve ? Ce choix est indissociable sans doute d’une
conception de la photographie comme mémoire, ou plus précisément, ici, comme
souvenir réifié : en tant que psychanalystes, les rédacteurs devaient
souhaiter que l’élaboration de l’image soit au plus près des matériaux utilisés
par le travail du rêve qui associe, selon Freud, des souvenirs récents à des
souvenirs archaïques.<br />
<br />
Dans une conférence sur le photomontage réalisée en 1967 à Buenos Aires,
Grete Stern fournit quelques indications sur sa pratique qui viennent justifier
cette seconde remarque :<br />
Tout d’abord je prépare une esquisse, un dessin au crayon, qui indique les
proportions et les éléments photographiques qui composeront le montage. Par
exemple : un fond de nuage, une plage de sable en premier plan sur
laquelle on voit une bouteille de verre qui renferme une fille. Je réalise des
tirages de mes négatifs selon les proportions de l’esquisse. Je récupère les
nuages et la plage dans mes archives. Je prends une photo de la fille assise
dans la position indiquée…<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-uKJannakMtc/VwjKNUMGbII/AAAAAAAAA48/XWtbfFB_7poS4-0nAnhvGqutguO4WI6iQ/s1600/grete%2Bstern%2B1949.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="255" src="https://3.bp.blogspot.com/-uKJannakMtc/VwjKNUMGbII/AAAAAAAAA48/XWtbfFB_7poS4-0nAnhvGqutguO4WI6iQ/s320/grete%2Bstern%2B1949.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Grete Stern, 1949.</td></tr>
</tbody></table>
Les « rêves » photographiques de Grete Stern sont donc montés à partir
de prises de vue faites pour la circonstance ( la fille assise) et par des
images d’archives (les nuages, la plage). Images récentes et images d’archives
constituent donc la matière de ses rêves et s’imbriquent dans une
représentation fantastique ou merveilleuse qui doit son étrangeté à cette
figure iconique composite correspondant exactement à la catégorie freudienne de
la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">condensation</i>. La plupart des rêves
de Grete Stern sont conçus selon ces procédés de condensation : ils visent
à rendre acceptables, pour la censure morale de l’époque, des messages
sous-jacents aux représentations photographiques qui relèvent de son engagement
féministe.<br />
Le « rêve n°1 » est une formation de compromis qui, sous
un aspect comique, dénonce l’image de la femme-ustensile : une lampe de
chevet, dont le support d’abat-jour est une vraie femme dans une pose lascive,
est manipulée par<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>une main masculine
appuyant sur l’interrupteur. La légende « Articles électriques pour le
foyer » se présente comme une publicité qui masque à peine l’intention
ironique.<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://2.bp.blogspot.com/-bIDnS48ifNs/VwjKv1P6dNI/AAAAAAAAA5A/gFln1-BrcowoTPiM1pgSZPZvHKbqMLMwg/s1600/grete%2Bstern%2B1949%2B%25282%2529.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://2.bp.blogspot.com/-bIDnS48ifNs/VwjKv1P6dNI/AAAAAAAAA5A/gFln1-BrcowoTPiM1pgSZPZvHKbqMLMwg/s320/grete%2Bstern%2B1949%2B%25282%2529.jpg" width="244" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Grete Stern, scène 1, 1949.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Le « rêve n°2 » intitulé « sur le quai » montre
la femme objet du désir : la figuration se profile sur un arrière plan de
plage et de nuage. Venue du large, une créature monstrueuse se précipite en
direction de la passante à peine effrayée.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span><br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://2.bp.blogspot.com/-B5VBGweBl8A/VwjLBt-4cmI/AAAAAAAAA5I/liK3LgzAjdIjgjw5Hlr7l-IkpQRXXawfw/s1600/grete%2BStern%2B1949%2B%25283%2529.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="218" src="https://2.bp.blogspot.com/-B5VBGweBl8A/VwjLBt-4cmI/AAAAAAAAA5I/liK3LgzAjdIjgjw5Hlr7l-IkpQRXXawfw/s320/grete%2BStern%2B1949%2B%25283%2529.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Grete Stern, scène 2, 1949.</td></tr>
</tbody></table>
<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>
<br />
Cette forme tout à fait originale de photomontage résulte d’une pratique qui
suit pas à pas le travail du rêve. Le mot allemand qu’emploie Freud pour cette
expression (Traumarbeit) signifie bien qu’il entend la notion de travail (Arbeit)
au sens classique de transformation d’une matière – transformation qui, dans sa
théorie, est la mise en forme d’une matière intramentale (les souvenirs) par le
désir. Dans l’expérience de Grete Stern, l’esquisse préliminaire qui organise
le<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>plan onirique dessine la forme où
seront condensées les prises de vue ad hoc et les photos d’archives (souvenirs
récents et anciens) pour déjouer l’interdit de la censure. Il s’agit donc bien
ici, même si le terme peut paraître quelque peu décalé, d’une pratique onirique.<br />
<br />
Le fait qu’une telle pratique s’articule sur une perspective théorique
représente la condition d’accès de la<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>photographie à l’irréel et la délivre du réalisme où on la cantonne de
façon constante. Cette ouverture vers l’au-delà du réel ne concerne pas que le
photomontage, si l’on veut bien considérer que ce dernier répète, au moyen de
plusieurs opérations manuelles que Grete Stern décompose si bien dans son
article, la mise en forme qu’effectue le photographe lors de la prise de vue
directe. En effet, tous les choix qui en sont le prélude – le cadrage, la mise
au point, l’angle de prise de vue, etc – transforment la matérialité visible
selon l’ordre d’un désir de voir. C’est donc la photographie elle-même qui a
vocation à être une pratique onirique.<br />
<br />
A partir de ceci, on comprend mieux comment de nombreux auteurs photographes
parviennent à produire un régime de visibilité qui installe le spectateur dans
une zone d’incertitude entre le rêve et la réalité. Plutôt que d’effectuer un
répertoire incomplet de ces allusions incertaines du rêve, il semble plus
intéressant de poursuivre cette analyse à partir de l’œuvre d’un seul auteur.
Bruno Cattani a récemment publié un livre intitulé <i>Mémoire</i>, où le traitement
des couleurs laisse planer un doute sur les frontières du rêve et de la réalité
dans la vision du quotidien.<br />
(…) La thématique, tout d’abord, s’attache au souvenir et à la
nostalgie : des images d’enfance, des lieux abandonnés, de jouets anciens
sont empreintes d’une tonalité qui fait penser aux premiers films en couleur de
l’histoire du cinéma. Par ailleurs, la composition de la collection d’images
ainsi réalisée ne s’arrête pas à un sujet visuel particulier, mais promène le
regard du spectateur vers des endroits et des objets différents. <br />
Si chacune de ces photographies prise en particulier nous plonge dans un
univers intime, étrangement familier, une vision d’ensemble nous invite à
rechercher le sens construit par la juxtaposition de ces vues qui se regroupent
en plusieurs séries. Dans un premier groupe d’images constituées par des lits
de chambre d’hôtel, règne une atmosphère de blancheur presque monochrome :
avec délectation, l’objectif enregistre précisément les moirures de l’ombre sue
le plissé des draps abandonnés par les corps qui durent rêver en ces lieux.
C’est à partir de ces photographies un peu pâles, différentes des autres
beaucoup plus colorées, que le rêve apparaît comme le principe qui guide
l’inspiration de Bruno Cattani. Ainsi, une autre série d’images montre des
antichambres : Certaines sont de véritables sacristies garnies de meubles
et de statues pieuses démodées, ou des salles qui y font penser, remplies de
bibelots, (…). L’exploration de ces coulisses du rêve se poursuit avec les
restes délabrés d’un ancien hôpital où quelques objets trainent encore (…). Ces
salles presque vides et rongées par le temps illustrent au grand jour les
petits riens enfouis dans la mémoire à partir de quoi se fabriquent les rêves.<br />
Dans cette logique onirique, les photographies d’enfants surgissent comme es
souvenirs archaïques, troubles dans le mouvement flouté d’un manège tournoyant,
vaporeuses comme cette scène de plage où une petite fille dirige son cerf-volant
au dessus des nuages. (…) Les photographies de Bruno Cattani puisent très loin
dans les souvenirs : reliques, exvotos, daguerréotypes d’ancêtres et
moulages d’antiques en vrac accumulent tous ces matériaux du rêve dont on ne se
souvient plus une fois réveillé. Nombreuses aussi sont les images d’images
pieuses, issues d’un autre temps, introduites par ce geste de Saint Vincent de
Paul pointant du doigt son crucifix. Au cœur du rêve, la photographie tient
lieu d’épiphanie avec une série de gros plans sur des tableaux voués au
Sacré-Cœur de Jésus.<br />
Ces multiplicités de points de vue abordant des sujets en apparence
étrangers les uns des autres trouvent une entière cohérence dans la
contribution de la photographie à une mécanique des songes. Quelle autre
approche que la photographie, technique appropriée au souvenir du présent,
pouvait mieux rendre compte des formations fantasmatiques ? Avec une
sensibilité émouvante et une maîtrise parfaite du cadrage, Bruno Cattani aborde
poétiquement l’univers onirique, le déploie dans les recoins les plus cachés en
portant son regard sur le monde. Praticien du rêve, il éveille alors la
nostalgie en laissant son spectateur rêveur devant le rêve, touché par des
images qui remuent les souvenirs au point que ces visions semblent émaner de sa
mémoire et de son imagination propre.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-K430Bhcj-xY/VwjMzZGNdjI/AAAAAAAAA5Y/rfRu-xkuVggnVUUZdu870y5sNEXotTMIw/s1600/bruno%2Bcattani%252C%2Bmemorie%252C%2B2010.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://3.bp.blogspot.com/-K430Bhcj-xY/VwjMzZGNdjI/AAAAAAAAA5Y/rfRu-xkuVggnVUUZdu870y5sNEXotTMIw/s320/bruno%2Bcattani%252C%2Bmemorie%252C%2B2010.jpg" width="210" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bruno Cattani, <i>Memorie</i>, 2010.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-5IWjg4bhA3o/VwjNEarrFqI/AAAAAAAAA5c/ueRYBzJnlMUqUxgDiNcgieBA2l6pfn9Iw/s1600/bruno%2Bcattani%2Bmemorie%2B2010.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="217" src="https://1.bp.blogspot.com/-5IWjg4bhA3o/VwjNEarrFqI/AAAAAAAAA5c/ueRYBzJnlMUqUxgDiNcgieBA2l6pfn9Iw/s320/bruno%2Bcattani%2Bmemorie%2B2010.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bruno Cattani, <i>Memorie,</i> 2010.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<br />
<br />
Hervé Guibert a rédigé plus d’une soixantaine de rêve personnels dans son
journal intime et la notion de rêve est récurrente aussi bien dans son œuvre de
critique photographique – il aime la puissance de rêve qu’il découvre dans le
reportage – que son œuvre photographique et littéraire.
<br />
De nombreux passages de ses essais ou de ses romans évoluent dans une
frontière indistincte entre le rêve et la réalité, situant ainsi cette écriture
au voisinage du fantastique. Le roman <i>Voyage avec deux enfants</i> cultive cette
ligne de flottaison en juxtaposant le journal du fantasme de voyage avec les
deux enfants et celui du voyage réel.<br />
Or, il se trouve qu’une photographie d’Hervé Guibert a pour légende le titre
de ce livre. Cette photographie place au premier plan un triangle de verre,
reste de vitre brisée derrière laquelle a eu lieu la prise de vue. Il s’agit
d’une fenêtre d’où l’on voit une plage sur laquelle jouent deux enfants.
L’interposition de cet éclat de vitre entre l’objectif et la vue rend cette
image graphiquement très intéressante. Sans l’indication du titre, elle ne
donne rien d’autre à comprendre que ce que l’on voit si l’on ne connaît pas
l’interdit auquel cette photo se rattache : le désir d’une effraction
entre le monde de l’enfance et celui de l’adulte. La photographie accomplit
aussi la fonction que Freud assigne au rêve de franchir un interdit pour
réaliser un désir.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-qvkTQjRIkv8/VwjNx2914RI/AAAAAAAAA5k/pYKAgltH6IYiGodoU3x39J3IwBZT9BLpg/s1600/herve%2Bguibert%252C%2B%2Bvoyage%2Bavec%2Bdeux%2Benfants%2B1982.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="209" src="https://3.bp.blogspot.com/-qvkTQjRIkv8/VwjNx2914RI/AAAAAAAAA5k/pYKAgltH6IYiGodoU3x39J3IwBZT9BLpg/s320/herve%2Bguibert%252C%2B%2Bvoyage%2Bavec%2Bdeux%2Benfants%2B1982.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Hervé Guibert, <i>Voyage avec deux enfants</i>, 1982.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Hervé Guibert donne le titre de « rêve » à quelques-unes de ses
photographies. On pourrait penser que ces images prolongent les nombreux récits
de rêve qui affleurent dans les pages du <i>Mausolée des amants</i>, mais alors que
les rêves écrits sont des données brutes du souvenir d’avoir rêvé, les
photographies de rêves sont des constructions d’énigmes conduisant le
spectateur à la rêverie.<br />
<br />
Ainsi, Le rêve du désert n’est pas d’abord un rêve, mais l’image d’un
intérieur abandonné : un canapé est recouvert d’un drap blanc comme avant
le départ. Posée sur ce fond blanc, une carte postale affiche en tout petit
l’image d’un chameau isolé en plain désert. Avec une simplicité minimale quant
aux éléments photographiés, cette photo développe un effet de ressac entre des
représentations à la fois totalement dissemblables et tout à fait comparables.
De multiples lectures deviennent possibles et se superposent.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://4.bp.blogspot.com/-AQLhIM93enE/VwjOTuIhTwI/AAAAAAAAA5s/rxroeonl50cgOMwNeQ-LuP2UBG_jA18hg/s1600/herve%2Bguibert%252C%2Ble%2Br%25C3%25AAve%2Bdu%2Bd%25C3%25A9sert%252C%2B1984.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="210" src="https://4.bp.blogspot.com/-AQLhIM93enE/VwjOTuIhTwI/AAAAAAAAA5s/rxroeonl50cgOMwNeQ-LuP2UBG_jA18hg/s320/herve%2Bguibert%252C%2Ble%2Br%25C3%25AAve%2Bdu%2Bd%25C3%25A9sert%252C%2B1984.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Hervé Guibert, <i>Le rêve du désert</i>, 1984.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
A travers quelques essais de ce genre comme Le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Rêve du cinéma</i>, ou la reprise de cette mise en scène du désert avec
un portrait de l’auteur à la place du chameau, Hervé Guibert a réussi à
introduire une narrativité dans la photographie. D’une toute autre manière que
Duane Michals, qu’il admirait beaucoup, il scénarise des petits drames en
forçant le rapprochement d’objets ou de personnages étrangers les uns aux
autres à signifier beaucoup. Il engage aussi ses spectateurs à se repaître
d’une reconstruction mentale à partir de ces images photographiques et l’on
pourrait avancer que<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>ce modèle de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>réalisation parcourt l’ensemble de son œuvre
photographique.<br />
Par ailleurs, la notion de « fantasme » joue un rôle central dans
l’œuvre entière d’Hervé Guibert. En premier lieu, il considère la pratique de
l’écriture littéraire comme l’accomplissement d’un fantasme dans la relation
entre l’écrivain et le lecteur : « Il y aurait dans l’écriture un
fantasme d’insémination, d’enfantement : mettre vingt ans après sa<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>mort, un siècle après sa mort, un fantasme
d’écriture dans un corps étranger. » Parmi ses différents usages de ce
terme, on trouve l’acception psychologique de construction imaginaire,
permettant au sujet qui s’y met en scène d’exprimer et de satisfaire un désir,
et c’est dans ce dernier sens qu’il faut comprendre ce qu’il appelle dans <i>L’Image fantôme</i>, les « fantasmes de photographie ». Il s’agit de
textes courts qui remplacent des photographies désirées, mais non exécutées.
Ils prennent l’allure de projets ou de scénarios : ils constituent en une
description de lieux, d’acteurs et d’accessoires agencés selon des directives
qui, à les suivre, configurent un tableau. La différence radicale avec un écrit
de scénario photographique est marquée par le temps du conditionnel présent
employé systématiquement dans le texte soit pour l’évocation des lieux, soit
pour les directives d’acteurs. Les<i> Fantasmes I, II </i>et <i>IV</i> commencent par :
« La scène se passerait… », le <i>Fantasme III</i> par : « La
femme aux longs cheveux reposerait allongée… ». Toute la description des
scènes est structurée par ce temps grammatical.<br />
<br />
Par là même, chacun des tableaux représentés par ces fantasmes n’expriment
quasiment aucune action. Dans le <i>Fantasme I</i>, après que le texte ait décrit le
lieu (un studio vide paré d’un fond blanc), puis donné la liste des
accessoires, les directives pour les deux acteurs restent vagues : ils
« simuleraient un jeu successivement avec tous ces accessoires, une danse,
des mouvements. » Des indications de plans sont fournies pour la séquence,
plan fixe pour une première scène, puis rapprochement du photographe pour
saisir dans une scène identique les détails du corps des jeunes hommes. Une
fois ces éléments de mise en scène fixés, le texte semble annoncer une
action : « Alors, que se passerait-il ? » La réponse à
cette question, loin de développer une action, prolonge les détails de mise en
scène : les jeunes hommes revêtiraient des perruques.<br />
L’absence d’action correspond, d’une part, à la fixation obsessionnelle sur
l’objet du fantasme, mais d’autre part, dans cette catégorie littéraire qui
s’invente – le fantasme de photographie – à la volonté de l’auteur de rejoindre
par l’écrit la fixité de la photographie. Bien plus, ces textes se substituent
totalement à une photographie, suivant le principe plusieurs fois répété dans
<i>L’image fantôme</i> : ce qui fait l’objet d’une photographie, pour Hervé
Guibert, ne peut faire l’objet d’un texte, et inversement. Cette forme
particulière de l’<i>Ut pictoria poesis</i> rend ces photographies écrites
particulièrement intéressantes pour notre propos puisqu’en proposant un
équivalent textuel de la photographie, l’entreprise s’avère quasiment
impossible. Or il se trouve que parmi ces écrits, le <i>Fantasme III</i> fait
exception à la règle puisqu’on trouve dans les photographies publiées par
l’auteur une photographie de Louise, l’une des grands-tantes, qui semble y
correspondre.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://2.bp.blogspot.com/-XKjmVRSZhHE/VwjPyKbyRgI/AAAAAAAAA58/dU-USMk5nRIQcFZ7lUdgHzXt0kIxoVaNg/s1600/herv%25C3%25A9%2Bguibert%252C%2BLouise%252C%2B1984.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://2.bp.blogspot.com/-XKjmVRSZhHE/VwjPyKbyRgI/AAAAAAAAA58/dU-USMk5nRIQcFZ7lUdgHzXt0kIxoVaNg/s320/herv%25C3%25A9%2Bguibert%252C%2BLouise%252C%2B1984.jpg" width="185" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Hervé Guibert,<i> Louise</i>, 1984.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
La confrontation entre texte et photographie est saisissante : dans un
premier temps, on peut être frappé par la ressemblance entre la description et
la réalisation photographique et il ne fait pas de doute que l’une ait pu
inspirer l’autre. Une comparaison terme à terme cependant montre, au-delà de
cette ressemblance, des différences importantes. Les éléments communs au texte
et à l’image sont l’acteur (Louise dont<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>l’âge réalise la préférence énoncée dans le texte) et quelques
accessoires, la baignoire, le drap. Mais d’une part, la photographie impose des
éléments non décrits : l’importante surface des carreaux blancs,
l’oreiller, la présence fortement contrastée du robinet sur la paroi de la
baignoire. D’autre part, des directives ne sont pas respectées : on ne
voit pas l’eau de la baignoire, ni la fenêtre haute d’où proviendrait la lumière
et Louise ne laisse pas dépasser ses bras et le haut de son buste. Bien plus,
la photographie ne saurait représenter certaines précisions apportées par le
texte. Ainsi, en ce qui concerne la manière dont est posé le drap « comme
on le faisait autrefois pour protéger le corps du contact froid du cuivre ou
des échardes du bois », la façon dont l’actrice s’en enveloppe comme d’un
linceul, l’atmosphère de la salle de bain « qu’on aura pris soin de ne
pas chauffer », sont autant d’éléments absents parce qu’intraduisibles par
la photographie. Ce sont là plus que des directives, des conditions d’énonciation
du texte qui ressortissent à l’appréciation personnelle de l’auteur, metteur en
scène dans le texte de son propre désir.<br />
<br />
On pourrait reprendre systématiquement chacun des « Fantasmes de
photographie » dans <i>L’image fantôme </i>et faire la même constatation :
la part proprement photographique inhérente à chaque texte se limite aux
acteurs et à quelques accessoires, rarement à un dispositif de prise de vue, et
ne comprend pas la part vécue du fantasme que l’écriture précise et détaille.
Il n’en demeure pas moins que ces textes sont des photographies virtuelles ou
l’intention de photographier vise avec fixité son objet. La vision hallucinée
peut alors se déployer et s’éterniser dans les méandres de l’écriture sans
jamais être perturbée par un déclic ou par le temps d’une action. En devenant
pratique d’écriture, la photographie s’extrait des contingences de la réalité
et se fait rêve éveillé.<br />
<br />
Robert Pujade, <i>Fantastique et photographie</i>, L'Harmattan, 2015.<br />
<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-17909772789541575902016-02-27T01:42:00.000-08:002016-02-27T01:42:23.165-08:00"Identité de la photographie"<br />
rubriques:<i> mémoire, temps et photographie; photographie objective et subjective; définition du photographe</i><br />
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</i><br />
<br />
On sait la dilection toute particulière du philosophe Zénon d’Elée pour les
tortues aussi rapides que les coureurs, les athlètes qui ne parviennent pas à
doubler lesdites bestioles, le bruit que fait<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>un tas de mil en tombant, les groupes lancés à vive allure dans la
direction l’un de l’autre et qui ne font que se croiser, ou encore les flèches
qui, bien que tirées par un archer talentueux, n’arrivent jamais sur leur
cible. Et alors diront les impatients ? Alors Zénon a raison lorsque, dans
son célèbre argument logique, il affirme que le mouvement n’étant constitué que
d’instants immobiles aboutés, il n’y a pas de dynamisme<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>possible. Voilà pourquoi les flèches
n’arrivent jamais à bon port. Et pour quelle raisons, en dehors des instants
immobiles composés, rien n’existe.<br />
Et qui donc a vérifié expérimentalement la pertinence des arguments
d’Eléate ? Nicéphore Niepce et Félix Tournachon, dit Nadar, les deux
protagonistes de la généalogie de la photographie. Pas besoin de convoquer un
professeur au Collège de France, Bergson en l’occurrence, pour réfléchir sur
les relations entre la pensée et le mouvant, le temps et le mouvement,
l’instant mobile et l’éternité immobile avant de conclure à l’invalidité des
arguments de Zénon. Les photographes font tous les jours la démonstration du
contraire. Zénon pense juste quand il scrute le mouvement, comme d’autres la
matière, et qu’il isole l’instant en guise de composante essentielle. D’autres
découvraient simultanément l’atome, l’insécable. L’instant est au mouvement ce
que l’atome est à la matière : une quintessence irréductible, le noyau dur
du réel envisagé.<br />
Le photographe agit en grand quêteur de cet épicentre. Son désir consiste à
fixer l’un<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de ces milliers d’instants
constitutifs du temps pour en extraire matière à sens et à figure, à
perception, sinon à émotion. Dans l’acte de photographier gît tout ce qui
permet l’incarnation du propos de Zénon: au creux de ce qui bouge, il y
a l’immobile, tapi, figé, et il s’agit de le traquer, puis de s’en rendre
maître afin de le montrer, de l’exhiber comme un trophée. Cette opération fait
de son entrepreneur un acteur opérant aux carrefours de la démiurgie et de la
métaphysique, de la phénoménologie et de la dialectique, de l’éthique et de
l’esthétique, autant dire qu’en sculptant ainsi le temps, en congelant la
mémoire, en ouvrageant sa conscience, le photographe incarne un souci
proprement philosophique.<br />
<br />
<i>Démiurge</i> est le créateurs d’images, le fabricateur d’icônes qui veut arrêter
le temps, s’en rendre maître et possesseur dans sa proposition d’un instant
saisi en son essence. Sa proie ? Le Kaïros des Grecs, l’instant propice,
celui en deçà et au-delà duquel rien n’est possible ou pensable : soit
parce que l’intérêt réside dans un moment particulier du mouvement encadré par
des péripéties sans importance, soit parce qu’il est dans la persistance d’une
figure qu’on veut faire durer dans une variation sur le thème de la nature
morte. Photographier l’instant d’un mouvement ou<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>l’éternité d’une nature qu’on pourrait dire
morte, à chaque fois, ce qui est visé, c’est l’immobile qui réside dans le
mouvement ou dans le temps.<br />
<br />
Muybridge et Marey expérimentent les formes du temps, les successions de la
durée, les décompositions et les déconstructions du divers, du multiple, en des
images entre lesquelles il y a place, encore, pour d’autres images. Tous deux
tâchent, dans leurs obsessions chronoscopiques, de montrer ce que Zénon
enseigne : le mouvement réduit à la somme des instants fixes qui le
composent, la vie dynamique démontrée dans ses constructions statiques. Eux
seuls déplient, déploient, ce qui fait le détail de la quête de tout
photographe : Partir à<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>la recherche
de la fixité avec laquelle on fait la mobilité, tenter d’isoler et de montrer
l’immarcescible.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-y03zJR5Wnkk/VtFnkAQBkTI/AAAAAAAAA4I/za68IQaF8Mg/s1600/muybridge-%2B1878%2B1887.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="133" src="https://1.bp.blogspot.com/-y03zJR5Wnkk/VtFnkAQBkTI/AAAAAAAAA4I/za68IQaF8Mg/s320/muybridge-%2B1878%2B1887.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Eadweard Muybridge, 1878 - 1887.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-K379P-TTNfc/VtFoAyiAeQI/AAAAAAAAA4M/YLiRqIoarqg/s1600/etienne%2Bjules%2Bmarey%2B%2B1830%2B1904.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="154" src="https://1.bp.blogspot.com/-K379P-TTNfc/VtFoAyiAeQI/AAAAAAAAA4M/YLiRqIoarqg/s320/etienne%2Bjules%2Bmarey%2B%2B1830%2B1904.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Etienne Jules Marey, </td></tr>
</tbody></table>
<br />
En jouant avec le temps, en allant chercher ce qui le constitue, de quoi il
est fait, du moins sur quels modes il apparaît, le photographe opère comme le
philosophe qui tâche de réduire et de réunir sous le registre de l’un ce qui se
montre exclusivement sous le mode du divers. L’un et l’autre veulent le cliché
ou le concept unique pour rendre compte du réel multiple. Cette unicité à
laquelle tend l’homme de la photographie en fait un adepte de Parménide contre le cinéaste
affidé d’Héraclite. Le premier présocratique, lui aussi éléate, comme Zénon,
philosophe sur l’un qui se suffit, parfait, sans commencement ni fin, parce que
procédant de lui-même dans la plus absolue des incorruptibilités : cet un
pourrait être la photographie. Le second, éphésien, pense le fleuve qui coule
éternellement, et dans lequel on ne saurait se baigner deux fois: cette
fluidité, cet écoulement semblent caractériser le cinéma.
<br />
Dans l’un comme dans l’autre, le temps idéal se conçoit différemment:
arrêté pour le photographe, fixé, figé, entravé. Reconstruit, reconsidéré pour
le cinéaste, mais tout entier révélé dans le déroulement, le développement.
D’une certaine manière, Platon réconcilie les deux pensées en faisant du temps
l’image mobile de l’éternité immobile, de sorte que le photographe apparaît
seulement préoccupé par la quête et<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>l’obtention d’une preuve de sa capture de l’éternité immobile en une
image. Le démiurge réalise cette magie : concentrer dans un cliché la
quintessence<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de ce qui structure le
mouvement. Au milieu du fleuve, et pour l’exprimer; la sphère…<br />
<br />
Dans son cheminement, le photographe-démiurge se fait aussi métaphysicien
créateur de signes générateurs de sens dans le temps, malgré lui, contre lui et
avec lui. Les images confectionnées sont parentes de celles qui, il y a des
millions d’années, ornaient les murs des cavernes. Une photo de graffiti par
Brassaï l’exprime à merveille et constitue un manifeste à elle seule.
Griffures, mais négatives, figures géométriques, traces, entailles, tout
affirme la puissance de ce que l’on sait depuis Malraux être un anti-destin.
Les géographies lisibles sur les surfaces pariétales se superposent à celles
qu’on déchiffre sur les papiers aux sels d’argent : le contraire de
palimpsestes. Car dans l’époque préhistorique, malgré le temps qui passe, et
contre celui-là même, s’appuyant sur lui pour mieux le dépasser, les artistes
installés aux deux extrémités de cette chaîne humaine actualisent sans cesse la
quête de signes opposant leur force au néant du monde.<br />
<br />
Là où l’entropie fait son œuvre, face à la destruction, aux ruines qui
menacent, devant l’évidence d’une mort annoncée – de l’individu et des
civilisations – l’homme des cavernes et celui des pellicules photosensibles
affirment, sublime révolte, une volonté d’éternité. Leurs œuvres sont des
résistances, des vols faits au détriment du temps et de ses dommages. Ce jeu de
l’instant destinés à l’éternité suppose paradoxalement l’emprunt des trajets de
la mort : la pose exigée du sujet est pétrification, mise en état de rigidité
ou d’immobilité supposés par le trépas. D’où l’invitation de sourire pour
conjurer le sérieux habituellement propédeutique au néant. Sur les suaires ou
les photographies, s’impriment la mémoire et le souvenir, ces deux modalités du
temps cruel.<br />
<br />
Photographier c’est congeler du temps, immortaliser les hapax qui
structurent une existence, un paysage, une époque, une situation, un
personnage. C’est, par le regard jeté sur la photographie tirée, viser une
réitération indéfinie d’un instant capté un jour. Dans le cliché où gît le
moment pétrifié se trouve ce qui permet à n’importe quel instant la chaleur
d’un regard et la démiurgie d’un nouveau temps, d’un accès neuf à des moments
anciens. Jadis et naguère deviennent de la sorte ici et maintenant. D’où, après
une opération effectuée par le photographe sur le temps, la constitution par
ses tirages d’une mémoire, d’une aide apportée, par des points de repères
fixes, à toute volonté mnémonique.<br />
Le temps propose une organisation de la mémoire. Dans la Voie lactée où se perdrait
n’importe quel astronome, les instants volés constituent des points lumineux
brillants comme des repères cardinaux. Les photographies scintillent en
morceaux choisis de réel destinés, par leur concision, leur charge, leur
puissance, leur force, leur originalité, leur singularité, à dire en un éclair
ce qui économise de longs discours. De Lascaux à l’épreuve développée à
l’instant, la volonté de quintessencier le monde, de le réduire à deux ou trois
images qui en exprimeraient autant, voire plus, que les infinies modulations
d’un temps déplié, hante l’opérateur et le laisse sans repos. Dans le fouillis
du monde, les photographies sont des lumières.<br />
<br />
Durant le trajet qui conduit du temps à la mémoire, toutes les distorsions
possibles et imaginables ont l’occasion de s’énoncer. La photographie
entretient une étrange relation avec la vérité. Le photographe qui sait, lui,
ce qu’il veut fixer, donc montrer, dire, est également <i style="mso-bidi-font-style: normal;">éthicien</i>, au sens qu’on trouve sous la plume de Kierkegaard –
combattant pour un système de valeurs. Où réside le vrai dans un cliché qui se
contente de montrer ? Un photographe de guerre propose un
cadavre ou un soldat qui s’écroule sous le feu : ennemi, ami ?
Bourreau, victime ? Vrai mort qui repose ou acteur qui pose ? Belle
ou vraie ? Juste ou fausse ? Information ou propagande ?
Brutalité de la situation crue ou mise en scène machiavélique ? Que dire
de l’intervention sur le cadre, le tirage ? Sur la dissimulation par
retouche ou montage, voire sur les magies rendues possibles par la numérisation
qui, étrange paradoxe, replace aujourd’hui la photographie dans la situation de
la concurrence où elle se trouvait à sa naissance avec la peinture. Le pixel
aurait réjoui les pointillistes…<br />
<br />
La photographie est un fragment de réel à lire, comme les archéologues
pratiquent avec les pièces découvertes à partir de quoi ils reconstituent
l’ensemble de la forme et de la figure dont elles procèdent. Ni<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>vraie ni fausse, elle structure un symptôme
de ce qui, pour faire sens, mérite lecture, mise en perspective, compréhension.
Elle n’est pas immédiatement donnée et suppose une culture pour le déchiffrage.
La métaphysique et l’éthique du photographe relèvent du perspectivisme
nietzschéen : il propose une lecture, une vision du monde, mais n’énonce
rien qui procède de la vérité. Un moment ontologique, en l’occurrence
métaphysique, celui du monde, qu’après avoir pris connaissance de ce qui lie
les deux instances. De quelle guerre, par quel photographe, dans quel camp, à
quel moment, dans quelles circonstances telle ou telle photographie a-t-elle
été prise ? Alors seulement on peut envisager le sens, après la première
émotion due à la seul mise en présence avec l’image.<br />
Tout cliché se contentant de n’être que lui-même<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>pour prétendre faire sens risque de
dissimuler l’essentiel de son projet qu’une lecture avisée en péril par
l’information apportée. Photographier, ce peut être aussi falsifier, mentir,
servir une propagande politique ou idéologique : l’un qui traque<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>les communards (Appert), l’autre les faciès
anthropométriques (Bertillon), tel qui célèbre les jeux de Berlin ou
l’Allemagne nazie (Riefenstahl), un autre la Chine populaire (Cartier-Bresson), un dernier les
produits les plus emblématiques de la société de consommation, sinon l’usage
érotique ou sensuel des femmes à destination du marché (Newton), tous diront au
moins deux choses, la première qui montre une apparence, la seconde une
réalité. L’une se donne immédiatement, l’autre n’apparaît qu’après initiation à
la métaphysique qui préside à l’obturation du rideau. En la matière, notre
époque est d’un illettrisme intégral doublé d’un nihilisme sans fond.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-q7Xn7p_H4VY/VtFq85sVWRI/AAAAAAAAA4Y/Yme-hPb0V64/s1600/repro_detail_deux_insurges_1.jpg__1000x700_q85_crop_subsampling-2_upscale.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="224" src="https://1.bp.blogspot.com/-q7Xn7p_H4VY/VtFq85sVWRI/AAAAAAAAA4Y/Yme-hPb0V64/s320/repro_detail_deux_insurges_1.jpg__1000x700_q85_crop_subsampling-2_upscale.png" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Eugène Appert, répression de la Commune, portrait de suspects, 1871.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-05Gv59uXeVA/VtFrgcI3vfI/AAAAAAAAA4c/TvgXawzglDs/s1600/bertillon.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="222" src="https://3.bp.blogspot.com/-05Gv59uXeVA/VtFrgcI3vfI/AAAAAAAAA4c/TvgXawzglDs/s320/bertillon.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Alphonse Bertillon, 1890.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://2.bp.blogspot.com/-6fIe2ug8c7M/VtFsguAzo1I/AAAAAAAAA4s/Cqk-ZpEhpDA/s1600/30697_739184_440910.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://2.bp.blogspot.com/-6fIe2ug8c7M/VtFsguAzo1I/AAAAAAAAA4s/Cqk-ZpEhpDA/s320/30697_739184_440910.jpg" width="185" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Leni Riefenstahl, Berlin 1936.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Le temps sculpté du démiurge, la mémoire constellée du métaphysicien, la
vérité ou la falsification de l’éthicien supposent chaque fois chez le
photographe la pratique d’un <i style="mso-bidi-font-style: normal;">phénoménologue</i>.
Se mettre derrière un boîtier et un objectif installé entre soi et le monde,
projeter le regard, viser, élire un sujet, cadrer, faire entrer dans un espace
telle substance du monde, élue, exclure ce qui n’est pas elle, opérer une
dialectique de l’être et du néant sur le réel, équivaut sans contexte à
pratiquer, réaliser, incarner, une phénoménologie de la perception. Tout ce qui
relève du vocabulaire sartrien de l’Etre et le Néant, sinon de la Critique de la raison
dialectique, fonctionne à merveille sur le terrain photographique :
réification, ontologie et dimensions de la temporalité, preuve ontologique,
théorie du regard structurant l’identité, modalités de l’Etre-pour-Autrui, de
l’Etre-dehors-pour-l’Autre, dialectique de l’En-Soi et du Pour-Soi, envers du
pratico-inerte et situation, regard temporalisant, bien d’autres catégories
fonctionneraient dans le cadre d’une lecture de la photographie comme acte
phénoménologique.<br />
<br />
Retenons les opérations de cadrage et de visée comme ce qui permet une
théorie du regard par lequel advient l’être d’une situation. Ce que j’élis dans
le viseur découpe spécifiquement<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>dans le
réel une figure qui accède à l’être, alors que l’ensemble dans lequel a été
effectuée cette taille est immédiatement<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>renvoyé du côté du néant. Ce qui accède à l’être l’est par un projet,
une volonté. L’œil, le doigt et le déclencheur permettent à la conscience de se
projeter et de contribuer à une logique de l’avènement de l’évènement :
élection d’un instant, isolement d’un moment, fixation d’un fait photographié
comme atteinte et saisie d’une quintessence.<br />
En célébrant les noces de la conscience et de l’objet qui la légitime, la
phénoménologie photographique énonce la radicalité du matérialisme qu’elle
suppose. Ce qui, d’ailleurs, provoque les furies de Baudelaire fâchée qu’une
industrie dont le seul talent consiste en l’exactitude de pure et simple
reproduction puisse s’installer en prétendante de l’antique peinture soucieuse
de magnifier l’imagination, le rêve, l’impalpable et la poésie. La photographie
vise la réalité sensible, elle et seulement elle. Rien, dans son dessein, pour
réactualiser une option idéaliste ou spiritualiste dans le genre
néoplaticien : on ne photographie pas un monde pour vanter les mérites
d’un autre, supérieur mais invisible, quand la peinture se pense, se voit et se
pratique comme l’occasion d’une perpétuelle intercession en faveur du monde
céleste. La photo montre exclusivement le visible. L’Eglise ne s’y trompe
pas : dès les limbes de cet art nouveau, jamais en retard d’une sottise
réactionnaire, elle condamne l’invention impie, coupable de se préoccuper du
seul ici-bas.<br />
L’icône païenne qu’est toujours un tirage sur papier sensible apporte la
preuve que la seule matrice possible de l’être, c’est le monde, qu’il est <i>causa
sui</i> et que la photographie seule est reflet, image sensible, ombre
participative. Elle formule<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>une
anti-allégorie de la Caverne
où se jouent les jeux d’ombres et de lumières idéalistes avec lesquels
l’esthétique occidentale se dit depuis l’Antiquité grecque jusqu’aux
écroulements rendus possibles par la modernité.<br />
<br />
Cette modernité, d’ailleurs, n’est pas sans devoir à l’invention de la
photographie qui, comme touts les arts, joue un rôle dans la dialectique des
esthétiques vivantes. D’où l’ultime qualité d’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">esthéticien</i> du photographe. Certes, à l’origine, elle fournit
d’abord une technique avant d’être un art. Industrie de la reproductibilité
mécanique et artisanale d’une partie de la réalité colorée et en trois
dimensions, transformée en images plane et bicolore, la photographie devient
vite l’auxiliaire des voyageurs et des ethnologues, des scientifiques et des
juges, des journalistes et des historiens, du publiciste et du géographe, du
militaire et du père de famille. Seul l’usage détermine l’appartenance de telle
ou telle au monde de l’art. Et ce pourra être le cliché d’un criminologue, d’un
touriste ou d’un soldat.<br />
<br />
Les musées, galeries et figures d’embrayeurs jouent leur jeu et font, ou
non, accéder certaines photographies au panthéon artistique quand elles
abandonnent les autres à la solitude des boîtes cartonnées où elles attendent
un meilleur destin que le banal entrepôt domestique. Nadar ici, Monsieur
Prudhomme là. Mais dans l’un et l’autre cas, on conviendra que la photographie
porte une puissance artistique tout autant soumise aux caprices de l’histoire
et de l’arbitraire pour sa légitimation que n’importe quelle œuvre d’art peinte
ou sculptée.<br />
<br />
Le photographe-démiurge, métaphysicien, phénoménologue, éthicien,
esthéticien, ne manque pas d’être un artiste car il philosophe en acte – ce
qui, à mes yeux, définit la fonction. Pour cela, il relève des mêmes catégories
que le peintre ou le sculpteur, le musicien ou le poète. Dans une esthétique<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>exprimant enfin la caducité de Kant et de
Hegel, il y aurait place à part entière pour la photographie au côté d’autres
disciplines encore suspectes pour les esprits chagrins. Le premier chapitre de l’histoire de cet art nouveau commencerait avec
la narration de ce que les autres lui doivent, à savoir l’essentiel de leurs
trajets depuis un siècle et demi.<br />
<br />
En prenant sa place, la photographie épuise la peinture de l’époque et exige
d’elle, dans une impitoyable logique darwinienne, une adaptation aux nouvelles
conditions édictées: ce que peut mieux qu’elle l’art nouveau, il faut
l’abandonner. Représenter fidèlement la réalité, viser l’objectivité maximale,
la coïncidence la plus absolue entre le réel et sa représentation, tout cela
devient lettre morte. Ingres et Puvis de Chavannes ne s’y trompent pas qui luttent
férocement contre la photographie afin de pouvoir continuer à peindre des
scènes que Nadar aurait pu composer et reproduire mécaniquement avec la même
fidélité.<br />
Le réalisme mourant reste – et Baudelaire aurait dû mieux qu’un autre s’en
apercevoir – la possibilité d’une autre voie, royale pour les puissances de
l’imagination et de rêve qu’il chérissait tant. L’esthétique de la modernité
réside là, en germe. Après l’abandon des canons classique, il faut inventer
l’avenir en considérant la nouvelle donne : plus d’obligation à respecter
le sacro-saint sujet, le motif et l’objectivité. L’idéologie idéaliste,
spiritualiste et platonicienne, fauchée, gît à terre. A sa place, on constate
l’avènement de l’imaginaire libéré, de la subjectivité radicale, du perspectivisme
intégral. Autant dire de la modernité absolue.<br />
Dans ces temps où la photographie montre des contours nets, des formes
précises, des compositions élaborées, la peinture propose le triomphe de
l’impression, de la division, du point, puis des subjectivités avec lesquelles
se défait le classicisme et se structure la modernité : Turner et Monet
puis Cézanne. La suite est connue. Et Duchamp vient, appelant de ses vœux un
art encore nouveau qui serait à l’ensemble des productions du moment ce que les
beaux-arts ont été après l’invention de la photographie : un vieux monde.
Cette révolution est encore à venir.<br />
<br />
Michel Onfray, <i>Les vertus de la foudre,</i> Journal hédoniste 2, 1998, Le Livre de Poche Biblio.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-26421397519206485862015-12-31T02:47:00.001-08:002015-12-31T02:49:16.128-08:00La force du fragile<br />
Rubriques: <i>lecture de la photographie; psychologie du photographe; portrait photographique.</i><br />
<br />
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<br />
<i>La photographe Sylvia Kraft, achète un jour dans une petite boutique d’une ville des
Etats-Unis, Quinsigamond, un appareil photo, un Aquinas 500 C/M format moyen SLR, année 1970.
Dans cet appareil se trouve un film rembobiné qu'elle développe... </i><br />
<br />
Au total elle se retrouve avec sept photos. (…) Sa première impression est
que ces photos constituent une série, qu’elles sont destinées à être regardées
ensemble, à être montrées conjointement : visions similaires, variations
sur un même thème.<br />
Il y a une femme. Prise sous sept angles différents, à une distance allant
de six ou sept mètres maximum, à vue de nez, jusqu’à un cliché où on la voit en
buste, de trois quart arrière, à contre-jour, en train de regarder par-dessus
son épaule gauche. Le seul facteur commun aux sept photographies est que, dans
chacune d’elles, le visage de la femme est partiellement caché, qu’il soit noyé
dans les ombres ou détourné de l’objectif. La femme est drapée dans une sorte
de châle ou de cape ample, style poncho. Le châle lui couvre l’épaule droite
mais laisse la gauche à demi nue, comme sil avait glissé. Sur les clichés pris
de plus près, on peut voir, dans un flou artistique presque brumeux, le sein
gauche dénudé et un nouveau-né en train de téter.<br />
Etant donné la nature du sujet, c’est peut-être le décor qui rend le cliché
si troublant, si perturbant. La femme est juchée sur ce qui paraît être un bloc
de pierre, sans doute du marbre, au centre d’une salle sinistre et caverneuse.
Jonchée de décombres et de gravats, la salle est un véritable musée de la
décrépitude. Une lumière – peut-être le soleil ou la pleine lune – filtre à
travers l’invisible plafond, tombant sur la femme en rayons bien dessinés,
comme le Ciel ou la voix de Dieu tels qu’on les représente dans les livres
d’images. Mais l’intérieur de cette salle paraît dévasté par une bombe,
éventré, à l’abandon. Il s’en dégage presque une impression d’après-guerre,
comme sur ces clichés désolés de Berlin et de Dresde après les bombardements,
avec néanmoins une certaine douceur. Cela évoquerait plutôt une vieille église,
un monastère qu’on aurait abandonné (….). D’après ce qu’on peut en voir, le sol
n’est qu’un lit de cendre et de pierres sombres. Par endroits, sur les prises
de vue à distance, on peut distinguer une pierre plus grosse que les autres et
les débris qui semblent être de bois de rebut. Les murs de la salle paraissent
éloignés, imposants. Des murs de cathédrale. Et, sur le cliché pris de loin,
Sylvia aperçoit au fond, sur la gauche, l’ébauche d’un escalier.<br />
<br />
Mais ce n’est manifestement pas sur cette salle, cathédrale ou musée que le
photographe veut attirer notre attention. Le cadre est saisissant et d’une
complète efficacité, mais il est subliminal. C’est un arrière-plan, comme une
bande sonore qu’on utilise pour susciter une émotion ou la souligner. Le sujet
du photographe, c’est la madone et l’enfant. L’univers du photographe, c’est la
femme et le nouveau-né.<br />
Pour quelque raison, Sylvia est tentée d’aller plus loin. Elle est tentée de
dire que la seule préoccupation du photographe, c’est la femme et l’enfant. La
peau de la femme et de l’enfant. L’épaule nue de la femme, ses cheveux
flottants et la courbe exquise de son cou. Son sein qui allaite. Le crâne
chauve du bébé, ses yeux clos et sa petite main tendue.<br />
Devant Sylvia sont alignées sept photographies, suspendues par des pinces à
linge à un fil de fer incurvé. Cela fait maintenant douze ans – depuis que sa
mère lui a offert l’Instamatic – qu’elle s’efforce, jusqu’à l’obsession,
d’obtenir des images qui produisent cet effet-là.<br />
Elle n’y est jamais parvenue. Elle a pris des photos qui lui plaisent. Elle en
a même pris une demi-douzaine – mais ça, elle ne l’a dit à personne – qui
dépassent peut-être le stade de la compétence pour entrer dans cette zone vague
et subjective, liée au sentiment et au jugement, qu’on appelle l’Art. <br />
Peut-être.<br />
En tout cas, jamais elle n’a approché <i style="mso-bidi-font-style: normal;">ça</i>.
Et, avant de voir ces photos, elle ne savait pas exactement ce qu’elle
cherchait. Pendant plus d’une décennie, Sylvia a essayé d’apprendre, elle a
passé d’innombrables heures dans des bibliothèques à consulter d’épais volumes
écrits par tous les maîtres depuis Niepce et Daguerre ont inventé la
photographie. Elle a lu des manuels techniques et des textes théoriques
touffus. Ensuite, elle est sortie dans le monde avec son matériel, en essayant
de mettre en pratique ce qu’elle avait appris. Mais elle est arrivée à cette
conclusion : quelles que soient les connaissances acquises, réussir une
image artistique serait toujours une question de chance. Du moins pour elle.
Sur le plan technique, elle parvient généralement – sauf accident – à saisir
l’image. Elle est capable de fixer n’importe quel sujet sur pellicule. Mais la
simple habileté ne suffit pas; elle peut même, au bout d’un certain
temps, devenir paralysante. Sylvia a beau maîtriser la technique, ça ne lui a jamais appris à prendre des
clichés comme ceux qui sont suspendus devant elle. Et quand elle a eu digéré la
technique, elle n’a pas su vers quoi se tourner. Depuis quelques années, dans
les moments de cafard, elle a commencé à se dire que cette <i style="mso-bidi-font-style: normal;">autre</i> forme de savoir, on l’a en naissant ou on l’a pas. Soit on
sait prendre des photos comme ces sept-là. Soit on ne sait pas.
<br />
Et comme cette pensée s’avérait trop déprimante, elle a décidé que le
photographe n’y était peut-être pour rien. Que c’était peut-être juste la
combinaison de l’image, de l’éclairage, du mouvement, d’une centaine d’autres
paramètres se trouvant réunis exactement à l’instant voulu. C’est la chance qui
détermine qui est au bon endroit au bon moment. Avec un appareil photo.<br />
<br />
Dès lors, mue par une foi chancelante, elle est partie du principe que, si
elle passait suffisamment d’heures à se balader avec un appareil chargé, à
l’affût, elle finirait bien par se trouver sur les lieux au moment précis où
tous les éléments se conjuguent. Elle serait celle qui les fixerait dans l’éternité
de l’instant. Elle serait le réceptacle de l’image, le conducteur entre l’image
et chaque paire d’yeux que celle-ci viendrait à séduire. .<br />
Ce photographe, là, quel qu’il soit, a trouvé son moment. Il se tenait prêt
à l’endroit voulu, à l’instant voulu. Il a appuyé sept fois sur le déclencheur,
a laissé entrer la lumière, a présenté l’image au film.<br />
A regarder les clichés, Sylvia éprouve une sensation presque tactile. Elle
sent presque la douceur, la fraîcheur de l’épaule de la femme. Elle sent presque
le crissement de la pierre et des gravats sous les pieds de la femme. Les
particules de poussière – à peine visibles dans les cônes de rayons lumineux –
qui auréolent la tête du nouveau-né la font pratiquement ciller.<br />
Elle passe encore deux heures dans la chambre noire. Elle examine à la loupe
le moindre centimètre carré de chacune des photos. Elle change l’ordre dans
lequel elle les a accrochées. Elle s’assied sur l’escabeau et tente d’imiter la
posture de la femme, la cambrure du dos, l’inclinaison de la tête et de
l’épaule. A un moment, elle ôte même son sweat-shirt, qu’elle drape sur son
épaule droite, tout en serrant contre sa poitrine un flacon de fixateur.<br />
C’est à trois heures du matin, alors qu’elle est assise à moitié nue dans sa
chambre noire, frissonnant au contact froid d’une bouteille en verre, que
l’idée lui vient. Elle ira voir le photographe.<br />
<br />
(...)<br />
<br />
Elle observe la rangée de photographies, les considère dans leur ensemble,
comme un tout, une série d’images reliées les une aux autres. Si elle les
mettait en pile et les feuilletait rapidement avec le pouce, verrait-elle les
personnages s’animer ? Décèlerait-elle un mouvement, si infime
soit-il : un bras ou une jambe à peine déplacés ? Et, dans
l’affirmative, qu’est-ce que cela lui apprendrait ?<br />
Elle cesse de les regarder comme un tout pour les examiner individuellement,
de gauche à droite, le long du fil. Vues de cette manière, elles lui rappellent
un peu les stations du chemin de croix, l’époque où elle allait au chemin de
croix avec sa mère, à l’âge de sept ou huit ans. Combien de stations y
avait-il ? Plus de sept. On chantait des hymnes, notamment ce cantique
très lent. Un chant funèbre plutôt. Le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Stabat
Mater</i>. Que signifiaient ces mots au fait ? Elle a encore dans l’oreille
cette douloureuse lamentation. La tristesse inhérente à cette mélodie.<br />
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Ces photos, que
représentent-elles ? Les stations de quoi ? Qu’est-ce que le<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>photographe a voulu<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>que je voie quand je les regarde ainsi ?
Mais peut-être suis-je idiote de penser qu’il avait un tel dessin, un projet
aussi vaste ? Peut-être était-ce juste de l’instinct. L’inspiration
artistique classique. Peut-être le photographe s’est-il juste laissé guider,
émouvoir, par l’humeur du jour. Peut-être a-t-il tout bonnement installé la
mère et l’enfant dans ce décor sinistre, ravagé, avant de mitrailler. Peut-être
ne voyait-il pas plus loin que le cliché suivant, pas plus loin que le déclic
du déclencheur. Pas plus loin que l’image à cet instant précis.(…)</i><br />
Elle se lève de l’escabeau, s’approche du fil de fer et reste là, le visage
à une trentaine de centimètres de la première photographie. Elle lève la main
pour la toucher puis suspend son geste. Elle veut en avoir le cœur net :
quelle est la première chose qui la frappe dans ce cliché ? Quelle est
l’image primordiale ? Qu’est-ce qui, d’emblée, attire l’œil ?<br />
Elle serait tentée de répondre l’épaule de la madone, la douceur de
l’arrondi, la teinte de la peau, si blanche. Ou alors, peut-être la courbe qui
relie l’épaule au cou, sa finesse, sa pureté de ligne. Quelle que soit la
dynamique de l’attraction, elle réside dans l’épaule de la madone.<br />
Mais il y a aussi la main du nouveau-né, si petite et néanmoins
extraordinairement détaillée. Ca rappelle à Sylvia ces photos qu’elle a vues
dans des magazines ou sur des panneaux d’affichage: des clichés
hyper-clairs d’un fœtus baignant dans le liquide amniotique, certaines parties
du corps encore floues et mal formées, l’œil semblable à celui d’un poisson,
mais d’autres, la main les doigts tellement développés que les ongles sont
visibles. La main du nouveau-né, sur les clichés, évoque ces images de fœtus
tant elle est nette, précise comme pour saluer Sylvia, comme pour dire au
spectateur <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Regardez bien, prêtez
attention</i>.<br />
Elle fait un pas de côté pour examiner la deuxième photo. Là, ce ne sont ni
l’épaule, ni la main, mais les gravats, à l’arrière-plan, qui retiennent
l’attention. C’est dû au manque de netteté, à ce flou agaçant qui lui fait
regretter de ne pas pouvoir changer elle-même la mise au point, régler
l’objectif non plus sur les personnages mais sur les débris inanimés qui
jonchent le sol. Elle voudrait balayer la terre, en quête d’éléments
indiquant<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>exactement où la photographie
a été<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>prise. Elle voudrait zoomer
jusqu’à pouvoir déceler une preuve identifiable, des signes d’une période et
d’un emplacement donnés. Elle voudrait transformer le faible éclat métallique,
là, dans le coin droit, en une pièce qui sera tombée de la poche du pantalon du
photographe pendant qu’il faisait ses repérages. Elle voudrait pouvoir
prolonger jusqu’au toit les vieilles colonnes afin de déterminer si elles sont
doriques ou ioniques. Elle voudrait savoir pourquoi cet endroit précis,
pourquoi ce champ de décombres.<br />
Arrivée à la troisième photo, elle se concentre sur l’éclairage, sur cette
lumière qui vient d’en haut, sur la façon dont elle se disperse en rayons qui
captent de vagues tourbillons de poussière, sans pour autant éclipser les
contours précis de la mère et du nouveau-né.<br />
Elle renonce et retourne se percher sur l’escabeau. Elle aurait voulu être
présente le jour où le<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>photographe a
fait ces photos, quitte à rester à l’écart, peut-être même hors de vue,
derrière l’une des colonnes, à observer et écouter. Elle adorerait savoir ce
qu’il a dit à son modèle, quelles directives il lui a données. Lui a-t-il dit
de baisser l’épaule d’une demi-centimètre, de dégager son châle pour montrer
davantage sa peau, de serrer le bébé contre elle et de le laisser téter ?
Comment lui a-t-il parlé ? D’une voix douce, encourageante ? D’un ton
sec, autoritaire, pour obtenir de la madone la position idéale ?<br />
Si ça se trouve, il n’a pas fait usage de sa voix. Peut-être a-t-il<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>procédé par gestes et par signes. Elle peut
très bien l’imaginer. Elle<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>peut
comprendre qu’il ait décidé de ne pas violer le silence parfait de ce décor,
de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>laisser le gazouillis du nouveau-né
et le déclic incessant du déclencheur troubler, seuls, le silence figé de la
salle en ruines.<br />
Peut-être que les gestes eux-mêmes n’ont pas été nécessaires. Peut-être que
lui et la mère se connaissaient suffisamment bien pour rendre inutiles toute
instruction, comme dans un orchestre où, au bout d’un certain temps, les
musiciens arrivent à anticiper les improvisations de leurs camarades. Certains
photographes travaillent avec les mêmes modèles pendant des années. Ce pourrait
être le cas ici : artiste et sujet qui perçoivent d’instinct les besoins
et les désirs de l’autre, par une sorte de télépathie qui imprègne l’air
ambiant. Sylvia n’a jamais connu personne de façon si complète. Sauf peut-être
sa mère.<br />
<br />
(…)<br />
<br />
Sylvia entre dans la chambre noire, allume l’ampoule blanche, rassemble les
clichés et les étale sur la table. Elle approche l’escabeau, prend sa loupe et
choisit sa brosse la plus douce. Puis elle se<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>penche sur la première photographie, jusqu’à ce que celle-ci remplisse
son champ de vision. Elle tâche de la disséquer, de la diviser en quadrants
distincts. D’ abord par simple sectorisation : le coin supérieur
droit, le coin inférieur gauche. Puis selon l’éclairage de la photo. Puis selon
la netteté des différentes zones. Puis arbitrairement : elle étudie telle
section du cliché, là où son œil se pose. Elle examine à la loupe chaque petit
détail. Elle prend son temps, grave l’image au fer rouge dans son cerveau. Elle
regarde de nouveau, à l’œil nu. Elle grimpe ensuite sur l’escabeau pour avoir
une vue plongeante. Elle change la position de la lumière. Elle diminue
l’éclairage. Elle l’augmente un peu. Avec sa brosse, elle nettoie le cliché.
Elle le rebrosse. Elle se lève, le suspend au fil de fer et se plante à vingt
centimètres, puis à un mètre cinquante. Elle s’accroupit et le regarde d’en
bas. Pour finir, elle le met à l’envers, le fait tourner sur ses pinces, en
s’arrêtant à différents angles, jusqu’à ce qu’elle ait fait un tour complet.
Elle recommence l’opération avec la photo numéro deux. Puis avec les numéros
trois et quatre. Elle a perdu toute notion du temps…
<br />
<br />
<i>Une madone à l'enfant... </i><br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/--qXRp9-4Enw/VoUF970hTkI/AAAAAAAAA34/N0KuiE958zE/s1600/Marc%2BRiboud%2BInde%2B1956.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="http://2.bp.blogspot.com/--qXRp9-4Enw/VoUF970hTkI/AAAAAAAAA34/N0KuiE958zE/s320/Marc%2BRiboud%2BInde%2B1956.jpg" width="208" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Marc Riboud, Inde, 1956.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Jack O'Connell, <i>The skin palace</i> (1996), Editions Payot § Rivages sous le titre <i>Porno Palace, </i>2001.<br />
<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-50545740155929603952015-12-06T00:53:00.000-08:002015-12-08T01:26:05.309-08:00"Photographie et poésie"<br />
Rubriques: <i>langage et photographie; texte et photographie; lecture de photographie.</i><br />
<br />
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<br />
Pour introduire à la question du rapport entre "Poésie" et
"Photographie", et pour indiquer que sera proposé ici le
déchiffrement d'une dialectique associant à la possibilité d'une poésie <i>de</i>
la photographie celle d'une confrontation de la poésie au photographique, c'est
l'oeuvre et la pensée d'Yves Bonnefoy qui seront écoutées. Voici en guise
d'épigraphe les deux dernières phrases d'un texte de 1988 consacré par Yves
Bonnefoy à Martine Franck.<br />
<br />
"L'Occident, le monde vont-ils périr de trop de photographies?<br />
Qui sait, ils seront peut-être sauvés, au bord de la fin des temps,<br />
par l'évidence ingénue, épiphanique, de quelques-unes?"<br />
<br />
Ce propos peut servir de point de départ: il témoigne d'une ambivalence
passionnée du poète repérant une tension maximale dans le phénomène de la
photographie, ambivalence et tension très spécifiques et très inquiètes dont on
ne trouve pas d'équivalent dans sa pensée de la peinture ou du dessin, ou des
beaux-arts en général. De sorte qu'une première idée peut s'énoncer simplement
de la façon suivante :<br />
La question du rapport entre "poésie" et "photographie"
en est une de réelle dans l'oeuvre d'Yves Bonnefoy, en ceci, d'abord, qu'elle y
apparaît non pas du tout comme un thème particulier ou marginal de sa
réflexion, mais comme relevant de son ontologie et de ses conditions; et en
ceci, de surcroît, qu'elle conduit du même coup au coeur de ces deux
phénomènes, la poésie et la photographie, considérés dans leur puissance ultime
de rédemption. Le propos à l'instant cité l'affirme;<i> dans la photographie se
lèvent la possibilité de la fin du monde, et celle, conjointement, de son
salut. </i>Mais d'aucune autre sorte d'image l'oeuvre entière de Bonnefoy ne
tient jamais thèse si radicale, si tragique. C'est à la <i>seule</i>
photographie qu'est trouvée, outre la puissance de sauver l'Etre lui-même - car
cette puissance-ci appartient aussi à la peinture, aux beaux-arts-, l'autre
puissance négative de dévaster le monde et d'anéantir la vie. Par exemple, on
lit ceci dans "Igitur et le photographe"<br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">"La photographie est dangereuse. La
multiplication à l'infini des photographies qui ne saisissent que le dehors de
la vie peut certainement contribuer à la fin du monde. Mais des photographes,
grands en cela, cherchent à sauver celui-ci."</span><br />
<br />
De tout poète réel et de tout peintre réel, Bonnefoy pourrait volontiers
dire que ce qu'il cherche c'est à sauver le monde; mais <i>seul</i> le
photographe est celui, singulièrement fascinant, qui tient dans sa boîte noire
aux lentilles plus ou moins déformantes la <i>double</i> possibilité du salut <i>et</i>
de l'anéantissement. De sorte que si la peinture est susceptible de nous
sauver, comme elle le fait à chaque fois qu'elle est grande, c'est en somme,
métonymiquement, <i>contre le photographique</i>; tandis que celui-ci, quand il
lui arrive grâce aux grands photographes de nous porter remède, ce n'est
précisément que <i>contre lui même</i> qu'il le fait. Si donc le mot de
"poésie" désigne l'effort de résistance spirituelle à l'expérience
dévastatrice du néant et la volonté de surmonter la tentation de se soumettre à
la voix en nous "qui cherche à nous faire entendre que le monde n'a pas de
sens", alors rien n'est "poésie" comme la photographie, et même
doit-on se risquer à dire que <i>seule</i> la photographie est absolument
"poésie", puisque seule elle tient en elle, conjointes dans l'obscur
de sa chambre, la force du non-sens et la force d'y résister, le mal et le
remède dans le mal. "D'où, écrit Bonnefoy dans un texte sur les portraits
de Brice Toul, l'extraordinaire responsabilité du photographe qui a décidé
d'être portraitiste: il peut attenter à la seule réalité qui ait sans doute
jamais paru dans le gouffre des ondes, des particules. Et il est d'ailleurs,
avec la mort, la seule puissance qui puisse, en des occasions, la
détruire."<br />
La question de savoir quels sont les préalables qu'il faut qu'adopte une
pensée, explicitement ou non, pour qu'elle décrive ainsi la photographie comme
à la fois puissance de mort et puissance de salut, est celle à laquelle le
présent essai tentera de répondre.<br />
A quoi tient cette interprétation du photographe comme allié de la mort et
identique à elle - et <i>seul</i> en ce cas? Et à quoi tient inversement que
cette fatalité en lui soit <i>par lui-même</i> conjurable en une oeuvre
salvatrice? C'est une analyse des présuppositions radicales qui saura le dire,
pourvu que la pensée où ces interprétations étonnantes trouvent un sens soit
elle-même prise pour ce qu'elle est, une pensée de l'Etre, une ontologie
fondamentale quoique non problématisée pour elle-même dans le discours du
poète. Mais avant de montrer l'horizon transcendantal sur le fond duquel cette
ontologie se déploie comme proprement siennes ses interprétations de la
photographie, il convient de mesurer l'étendue du procès à charge <i>et</i> à
décharge qu'elle intente à celle-ci.<br />
Ce procès en effet est aussi celui du monde moderne tout entier, procès
adossé à l'idée de la crise perceptible dont ce monde est dit traversé, et
d'une crise plus profonde à laquelle il est identifié. Comme à chaque fois
qu'un grand esprit se coltine à la photographie, aux photographes et aux photos
- comme chez Baudelaire, chez Villers de l'Isle-Adam ou chez Proust -, ce qui
se dégage de la méditation de Bonnefoy sur ce sujet touche aussitôt aux
dimensions brûlantes de l'âge moderne, entendu, ici encore, comme <i>l'âge de
la photographie.</i> Au détour, par exemple, d'un entretien sur l'état présent
du monde, ce sont les pires désastres répandus par les sociétés modernes
techniquement industrialisées qui sont associés par Bonnefoy à cet autre
désastre, la photographie, jugée leur équivalente et leur complice:<br />
<br />
"C'est vrai que le monde contemporain semble bien au bord du désastre.
La folie des armements, les imprudences dans l'emploi de l'énergie nucléaire,
les guerres qui ne cessent pas malgré les supposés équilibres de la terreur,
comme si de l'eau filtrait sous le barrage, pour se répandre partout, les
déséquilibres écologiques qui étouffent la vie, les exterminations d'espèces
animales ou végétales qui font sauter des maillons de la grande chaîne de
l'être, le surpeuplement et les maladies, et dans la personne elle-même la
déconstruction des perceptions fondamentales du monde et des valeurs
d'existence par la photographie, laquelle prend la réalité par le dehors mais
se glisse au sein même de celle-ci pour la dépouiller de la figure, du sens qu'il
faut pourtant lui donner, et encore la montée des fanatismes, tout cela dresse
une scène où c'est la violence et la fascination pour la mort qui
prédominent."<br />
<br />
Ici encore la photographie est une force de la mort. Mais alors que rien,
cette fois, n'est dit de son pouvoir de résistance, elle est mise sur le même
plan que les grands déchaînements de l'horreur par l'autonomisation de la
techno-science. Ce n'est donc pas du seul fait qu'elle porte en elle autant la
mort que la possibilité du salut, qu'elle est singulière entre toutes les
images, mais aussi parce que son maléfice est commun avec celui des violences
de l'époque, là où le scientisme semble avoir triomphé. La photographie est <i>moderne</i>
et elle pose un problème moderne à la modernité qu'elle informe, un problème
inédit. La "poésie", par contrecoup, réagit à la photographie à ce
double titre qu'elle voit en elle, d'une part, une image avec laquelle
l'alliance n'est ni traditionnelle ni sans danger comme l'est son alliance avec
la peinture, et, d'autre part, une image non seulement fascinante en ce que son
pouvoir mortifère n'empêche pas sa puissance de salut, mais encore indicatrice,
institutrice même de la vérité de notre temps, qui est qu'il risque de ravager
de sa violence la vie entière et l'Etre même.<br />
<br />
De sorte que ce n'est pas sa curiosité ou son intérêt qui conduit la
"poésie" à interroger la "photographie", c'est aussi son
plus intime de devoir. Pour autant que la poésie est la mémoire de l'Un,
mémoire aussi exploratrice et instauratrice que rétentionnelle, aussi
propitiatoire, parfois, que conservatrice, mémoire désoccultant la vérité sous
les censures de l'esprit, alors elle ne peut pas ne pas vouloir vérifier ses
propres forces, ses chances métaphysiques, auprès de cette autre mémoire, sa
rivale bien plutôt que son amie, technique et extérieure, la photographie
entendue maintenant comme une mise en question, qui la convoque et qui malmène
son projet. On se souvient de la pétition de Baudelaire attaquant certains
usages de la photographie dans le fameux deuxième chapitre du <i>Salon de 1859</i>,
il faut toujours la relire:<br />
La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d'une haine
instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l'un
des deux serve l'autre.<br />
Yves Bonnefoy ne parlerait certes pas ainsi, qui serait bien le dernier à
jamais introduire de la "haine" dans son combat pour ses valeurs;
mais quelque chose tout de même analogue à la passion et au tragique
baudelairiens se trouve dans son interprétation de la photographie, et jusque
dans les termes précis du combat. Car l'image mécanique nouvellement apparue
depuis Niepce et Daguerre s'est introduite en tiers dans l'antique association
de <i>pictura</i> et de <i>poesis</i>, et ce tiers est arrivé, en outre, de la
science et de ses postulats, dont les "progrès", aujourd'hui plus
sûrement encore que du temps de Baudelaire, menacent évidemment la monde. Si
bien que le seul poème en vers de l'oeuvre de Bonnefoy où paraît en effet une
photographie - où pour mieux dire elle surgit, incongrue, terrible autant que
bizarre, trouant de sa nuit réquisitoire toute autre réalité - est extrêmement
émouvant, car cette photographie en est une, justement, de Baudelaire; il
s'agit de "Hopkins Forest", dans <i>Début et fin de la neige</i><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Bien des années plus tôt,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Dans un train au moment où le jour
se lève</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Entre Princeton Junction et Newark,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">C’est-à-dire deux lieux de hasard
pour moi,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Deux retombées des flèches de nulle
part,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Les voyageurs lisaient, silencieux</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Dans la neige qui balayait les
vitres grises,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Et soudain,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Dans un journal ouvert à deux pas
de moi,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Une grande photographie de
Baudelaire,</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Toute une page</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Comme le ciel se vide à la fin du
monde</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Pour consentir au désordre des
mots.</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Ce n’est pas ici qu’il faut
proposer une interprétation exhaustive de cette strophe énigmatique d’un poème
tout entier complexe. Deux indications suffiront pour remonter grâce à ces vers
jusqu’au problème inédit que la photographie pose, et jusqu’à l’ontologie qui
permet la formulation qu’on trouve de ce problème dans l’œuvre de Bonnefoy.</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">D’une part, l’apparition ici de la
photographie a la soudaineté d’une catastrophe inattendue : apparition
« comme le ciel se vide à la fin du monde », d’un déchirement des
significations connues, d’une interruption sidérante des savoirs jusqu’alors
reçus par ceux, qui, avant elle, « lisaient, silencieux ». D’autre
part, et contradictoirement, ce que manifeste cette apparition porte un nom
propre, c’est « Baudelaire » : et ce retour d’un être personnel
– cher et magnifique, comme l’appelait Jouve – jusque dans le tombeau de son
portrait photographique, a de quoi réconforter et réencourager, en plein désert
des « lieux de hasard », celui qui ne<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>peut que le reconnaître comme son proche, comme ayant souffert, lui plus
que quiconque, des mêmes vacillements de l’espoir dans la même expérience du
néant. Si bien que cette strophe révèle que la tension propre de la
photographie, et la complexité des sentiments contradictoires qu’elle suscite
en Bonnefoy – comme en Baudelaire lui-même – constituent d’abord un conglomérat
affectif bien avant de se formuler en discours, une épreuve émotionnelle
pathétiquement vécue, dont la pensée, ensuite, dans les essais, sera la
tentative postérieure d’élucidation et d’interprétation discursive. Il importe
de noter ici cette antériorité de l’expérience affective, sur laquelle on devra
revenir tout à l’heure.</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Voici donc le photographique tel
qu’immédiatement éprouvé : <i>un ciel qui se vide</i>, et, pourtant, <i>dans
ce vide même le resurgissement d’une réelle présence</i>. Et voici maintenant
les raisons fournies de cette double apparition, fournies non pas dans le poème
lui-même, mais dans les trois principaux essais consacrés par le poète à la
photographie : « Henri Cartier-Bresson », en 1979 ;
« Igitur et le photographe », en 1998 ; et « L’âge d’or de
la littérature secondaire », de 2002.</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Trois traits récurrents structurent
la pensée développée dans ces essais, dont le premier est qu’elle porte
davantage sur le photographique que sur l’art des photographes; davantage, par
conséquent, sur les ravages dont la photographie menace le monde que sur le
remède que l’artiste peut tout de même en tirer; davantage, si on veut, sur
l’imagerie que sur l’art, sur la civilisation des productions imagées et des
prostitutions médiatiques que sur le sérieux et le précieux des oeuvres. En
effet, la première donnée redoutable du photographique, selon Bonnefoy, c’est
la multiplication des tirages, partant l’envahissement et le recouvrement du
réel par les artéfacts chaque jour plus nombreux – plus nombreux que les hommes
eux-mêmes – et, à la fin, ce cauchemar d’un monde que ces proliférations
photographiques pourront finir par étouffer. Ce premier trait, on sait qu’il
est éprouvé lui aussi pathétiquement, comme une hantise et un effroi pesant sur
un grand texte des Récits en rêve, « L’artiste du dernier
jour » :</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">"Le monde allait finir. (…) le monde
allait finir, brusquement, car – semblait avoir crié une voix – dans quelques
semaines, dans quelques jours, peut-être dans quelques heures, l’ensemble des
images qu’a produites l’humanité aurait passé en nombre celui des créatures
vivantes. Davantage, en cette seconde fatale, de contours vagues de bêtes sur
des parois des cavernes, de Madones en robes rouges dans l’écaillement d’une
fresque, de paysages, de portraits, de photographies, d’affiches – et de
négatifs inutilisés aussi, dans des archives ou des décombres – que de fourmis,
d’abeilles, de singes, d’hommes."</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">L’intérêt formidable de ce texte
pathétique tient à ce qu’il est surdéterminé par l’âge technique qui est le
nôtre – la modernité comme âge de la photographie -, alors qu’il eût été
impensable à toute autre époque antérieure à la mise en œuvre de la
reproductibilité des images enregistrées, et, du coup, qu’il sera désormais
toujours recevable, à jamais moderne et impossible à démoder, tant il est vrai
qu’on peut plus guère imaginer que l’humanité renonce jamais à la photographie.
On touche ici à l’intrication profonde, à de certains moments, du
photographique et du poétique : quand celui-ci, comme c’est le cas aussi
chez Proust, trouve dans celui-là une condition de sa possibilité.</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Le deuxième trait par lequel la
pensée de Bonnefoy détermine le photographique, c’est celui de la <i>mimésis</i>,
dont il traite en particulier dans son essai sur Cartier Bresson – un artiste,
pour le coup – et qui fait l’objet alors d’un traitement dialectique assez
serré, mais en effet indispensable à l’effort de compréhension des raisons pour
lesquelles un grand art photographique est possible. Car la <i>mimésis</i>, la
ressemblance entre la représentation et les apparences extérieures, accorde le
primat à celles-ci, et, ce faisant, relègue aisément l’être de ce qu’elle
représente, substitue volontiers à la « présence », au visage de ce
qui est, à l’épiphanie du réel – un savoir extérieur, ce pauvre savoir qu’elle
est, de l’espace géométrique, des corps étendus comme des choses, réduits à
leurs coordonnées abstraitement mesurables dans cet espace lui-même objectivé
et réifié par le point de vue perspectiviste. De sorte que la photographie, quoique
tard venus dans l’histoire humaine, a redonné vigueur au projet mimétique et
réaliste d’un art illusionniste, captif de sa fascination pour le dehors des
phénomènes, et qu’il faut donc, pour qu’un photographe ne soit pas le démon qui
retendra ce vieux piège, pour qu’un photographe ne soit pas la mort qui
éteindra sous les apparences l’être même du vivant – bref, pour qu’un art
photographique soit possible, jouant la <i>mimésis</i> contre elle-même -, que
l’artiste qui se risque à utiliser la chambre noire en dépit de ses fatalités
géométriques la porte au devant du monde, non en la braquant sur celui-ci, non
en visant son motif comme pour s’en emparer, non même en voyant ce qu’il
photographie, mais presque en fermant les yeux, et en se délivrant de cette façon
de tout point de vue particulier sur le dehors, jusqu’à participer, comme
aveugle, désarmé, oublieux de tout savoir, à la totalité invisible de tout.</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Si donc il est possible à un
photographe – à Cartier Bresson comme à Brice Toul ou à Martine Frank – d’être
une sorte de peintre chinois dont la calligraphie donne la présence dans
l’image, en dépit de la <i>mimésis</i> géométrique du rendu photographique,
c’est pour autant que la programmation technique de la chambre noir autorise
l’instantanéité de la prise de vue, laquelle, pourvu que son auteur veuille non
capturer mais recevoir, non prendre une photo mais témoigner du monde, non se
vouloir soi-même devant celui-ci mais s’oublier pour qu’il advienne, laissera
« pointer l’Un… sous les significations de surfaces ». L’art
photographique s’en trouve ici compris comme le franchissement de l’extériorité
– c’est-à-dire du mal, de la violence du savoir et de ses concepts inscrits
dans l’appareil – <i>avec ses propres moyens</i>.</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">On notera que Bonnefoy ne fait
jamais l’hypothèse d’une photographie non mimétique, d’un rendu abstrait de ce
qui s’inscrit sur une pellicule, d’un usage de l’appareil et des procédures de
développement tel que soient tout simplement déjoués les projets de
ressemblance réaliste auxquels l’essentiel de l’histoire de la photographie –
mais non sa totalité – s’est limité. Preuve, sans doute, non certes d’une
incuriosité à l’égard d’œuvres photographiques non réalistes et non figuratives
(et bel et bien photographiques cependant), mais d’une complexion de l’esprit
qui préfère s’affronter à une contradiction plutôt que de sauter par-dessus. La
passion profonde<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>qui le lie à Nadar, de
Degas photographe, de Martine Frank vient de ce que ces photographes
parviennent à surmonter, chacun avec des moyens comparables à ceux des autres,
le démon de l’extériorité dont ce sont eux, pourtant, du dedans de leur acte,
les plus dangereux agitateurs.</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Le troisième trait servant à
approfondir la malignité du photographique est celui qui donne à la réflexion
de Bonnefoy sur ce phénomène sa profondeur et son originalité
extraordinaire : c’est à ce trait-ci<i>, l’apparition du détail dans les
images</i>, qu’il faut s’arrêter un peu longuement pour comprendre à partir de
lui quelle ontologie y est mise en œuvre ; et, pour cela, il faut relire
l’essai vraiment inspiré sur Mallarmé, « <i>Igitur </i>et le
photographe » :</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">« Du détail comme on le
découvrait dans les daguerréotypes il était facile de voir que la peinture ne
l’avait jamais pratiqué encore. En photographie, Poe le souligna tout de suite
dans son compte rendu enthousiaste de l’invention de Daguerre, il était
apparent que la précision dans la notation ne connaîtrait pas de limites, n’en
voudrait pas, alors qu’aussi resserré sur son souci représentatif soit le
détail d’une nature morte ou d’un portrait il y a toujours quelque chose de son
environnement immédiat au sein de l’œuvre du peintre pour le retenir dans le
tissage d’une écriture, aux dépens de l’exactitude dans le rendu de l’objet.
(…) Là où le regard de l’artiste choisissait, et était humain par ce choix,
voici que la photographie enregistrait tout, le fixait, ce qui permettait de
montrer, sinon même de désigner, cette simultanéité, cette manifestation du
hasard, et d’entraîner ainsi au-delà de tous les discours que l’on tient sur
les êtres et sur les choses: faisant entendre, si j’ose dire, le silence de la
matière. »</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Yves Bonnefoy n’est certes pas le
premier à faire valoir l’apparition du détail en tant que trait spécifique de
la photographie. Qu’il suffise de rappeler que Roland Barthes dans La chambre
claire s’était lui aussi montré saisi par ce trait, dont il avait nommé
l’émotion en lui du nom de « punctum », faisant valoir que ce qui le
poignait dans, par exemple, ce collier inattendu ou cette bottine imprévue, <i>trouait
le savoir</i> par ailleurs régnant dans l’image, ce savoir au fond indifférent
et morne qu’il relativisait sous le titre de « <i>studium ».</i> Mais
chez Bonnefoy ce n’est justement pas comme chez Barthes tel détail, ou bien tel
autre, singulier autant qu’absolu, irrépétable en dépit de toute
reproductibilité, qui frappe d’abord le penseur, ce n’est pas ce détail-ci de
cette photo-ci, mais <i>le fait comme tel qu’il y a des détails en toute
photographie</i>, que le photographique est par essence l’apparition du détail
dans l’histoire des images. De sorte que l’émotion ressentie à ce magma de
matière dupliquée dans sa représentation selon tous ses aspects, avec tous ses
attributs, conformément à toutes ses particularités apparentes sans exception
ni hiérarchie, n’est pas ici le chemin qui conduisait Barthes vers le souvenir
personnel et l’effort subjectif d’une retrouvaille du temps perdu, elle est
bien plutôt ce qu’on peut nommer une <i>émotion métaphysique</i>, car ces mots
ont un sens : c’est l’effroi devant l’extériorité brute de la matière neutre
au-delà de nos pensées et de nos mots, la stupeur devant l’évidence close sur
elle-même, l’évidence qu’il n’y a que cela, de l’évidence, soudain montrée
identique à elle-même, c’est-à-dire pour rien<i>, le rien de l’évidence et
l’évidence du rien.</i> Le fait du détail en photographie est ainsi éprouvé
comme une révélation du néant.</span><br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">Le photographique est une
manifestation du dehors – mais du dehors senti comme loi du monde -, du dehors
non dépassable et non transfigurable, en lequel paraît le non-sens de tout. Et
c’est alors qu’Yves Bonnefoy trouve au gré de sa syntaxe tellement inventrice,
pour suggérer ce surgissement du néant, ses plus retentissantes formules par mi
les plus belles qui soient dans sa prose animée, comme si la terreur de
constater – au détail près – que « nous ne sommes que de vaines formes de
la matière « ravivait aussitôt l’effort, dans la phrase, l’effort
proprement poétique d’accroître le sens des mots. Voici donc :</span><br />
<br />
<span style="mso-bidi-font-style: italic;">« Rien n’est, sauf un dehors
abyssal qui ignore tout de la prétention humaine. (…) Et que ce détail au
hasard, que le hasard comme tel, se révèle ainsi dans l’image, qu’il y marque,
pour la première fois dans l’immense histoire des images, sa réalité
spécifique, c’est là un évènement dont il ne faut pas sous-estimer la capacité
d’ébranler toutes les assises de la conscience. (…) La photographie incite à la
science, elle anéantit la chimère. (…) Il y a eu, dans au moins la première
photographie, une sorte d’épiphanie de l’absence, où paraît le non-être de tout
ce qu’on ressentait comme être : en somme, un enseignement de ce que
Mallarmé va appeler le Néant » ; (et ces définitions saisissantes du
photographique :) « annonciation de ténèbres », « preuve de
notre néant », « moment de l’horreur métaphysique »,
« hasard mis à nu ».</span><br />
<br />
<br />
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<br />
A partir de quels postulats implicites cette pensée de la photographie comme
« irruption du néant au sein des images », ou comme « éloquence
muette du détail qui y crie le non-sens du monde », est-elle possible ?
Il est temps de répondre à cette question en faisant remarquer trois
présuppositions d’inégales profondeur dans cette admirable – et discutable –
interprétation.<br />
<br />
Premièrement, cette interprétation est conditionnée par la détermination
préalable de toute photographie comme représentation mimétique. Cette
remarque-ci redouble celle de tout à l’heure : Bonnefoy n’imagine pas,
dans ses essais, d’autre usage de la photographie que celui, le plus répandu
mais non fatal, qui produit des images ressemblantes, il postule la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">mimésis</i> dans l’invention daguerrienne
comme une donnée insurmontable, sans mettre à jour la dimension purement
sociale du privilège jusqu’alors accordé à la photo mimétique,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>absolutisant ce qui n’est qu’une vacuité de
son appareillage et réduisant d’autant le possible dont celui-ci est
porteur ; et peut-être la sorte de solennité avec laquelle il exprime son
effroi du détail ne s’explique-t-elle qu’en vertu de cette absolutisation qui
prend pour un destin ce qui n’est qu’une circonstance.<br />
<br />
Deuxièmement, cette pensée du photographique comme épiphanie du non-sens –
dans la manifestation nue de l’extériorité proliférante – repose sur
l’hypothèse que l’image photographique rend, en effet, cette extériorité comme
ce qu’elle est, autrement dit qu’elle donne à voir le visible comme délivré de
nos verbalisations, qu’elle restitue l’apparence identiquement à ce qu’elle est
hors de nous. Cette hypothèse s’énonce comme suit dans le vocabulaire du
poète : « <i style="mso-bidi-font-style: normal;">voir sans savoir</i> »,
la photographie opère une « réduction fondamentale et totale de
l’apparaître à sa pureté » ; si donc elle est dans son être même une
apparition du néant, c’est pour autant qu’elle se produit comme une
« expérience de non-savoir ». Or cette thèse est difficile à soutenir,
il faut bien le dire.<br />
D’une part, il y a quelque contradiction à assurer d’un côté que l’image est
conforme à l’apparence extérieure, mimétique avec exactitude, détaillée comme
l’est le monde, et, d’un autre côté, qu’elle n’est ainsi qu’en vertu d’un
non-savoir qui lui serait pareillement essentiel. A partir de quelle intuition,
si ce n’est à partit d’un savoir, est-il possible de reconnaître dans l’image
sa <i style="mso-bidi-font-style: normal;">mimésis</i>, et dès lors comment
désigner celle-ci comme le résultat d’un non-savoir ? En outre, comment
soutenir à la fois que le regard de cette image voit purement et simplement,
voit phénoménologiquement sans préjugé d’aucune sorte, sans
« chimère », sans souci ni projet qui offusquerait sa vision, alors
qu’on sait d’autre part que le perspectivisme de son rendu et la géométrisation
de son espace, auxquels est due, justement, cette<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>monstration des détails qui fascinent,
dépendent identiquement de la programmation de la chambre noire, de la
structure optico-chimique de l’opération permise par celle- ci, et en somme du
conglomérat de science – de science occidentale, hyperconceptuelle – inscrite
dans l’appareil avec lequel on photographie. Il n’est point légitime de penser
ce qui n’est que l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">objectivité</i> de
l’image sous le titre de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">non-savoir</i>.
Le poète conçoit l’apparition des détails comme une phénoménologie qui
accomplirait, dit-il, une « réduction de l’apparaître à sa pureté » -
mais cette phénoménologie n’est que celle du projet galiléen de réduction, en
effet, du monde, réduit par la visée scientifique à ses données géométriques, à
son espace étendu, à sa mesurabilité, dont la reproduction mimétique n’est que
la confirmation transposée.<br />
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Objective</i> est l’image photographique
en tant qu’elle est conforme, non pas à l’être-là de ce qui est, non pas à
l’en-soi muet de l’extériorité, non pas à ce que pourrait livrer un non-savoir,
mais bien plutôt à la construction de l’objectivité telle que préalablement
inscrite dans la confection de l’appareil, à l’intuition intellectuelle
savamment machinée dans le boitier, bref à la visée intentionnelle de la
science techniquement mise en œuvre dans la prise de vue. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Objective</i>, non pas <i style="mso-bidi-font-style: normal;">nesciente</i>
-<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>c’est même le contraire : à vrai
dire, dans l’histoire de l’Occident et du monde, la photographie est la
première image à ce point surdéterminée, radicalement et exhaustivement, par le
savoir, saturée de cet objectivisme auquel la science moderne doit son
efficacité redoutable, cette science qui depuis Galilée a décrit le monde <i style="mso-bidi-font-style: normal;">après</i> l’avoir privé de ses qualités
sensibles, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">après</i> l’avoir réduit à son
apparence géométrisable.
<br />
Cependant, ces objections sont tout de même assez triviales, ou de simple
bon sens, pour qu’il faille soupçonner de la part de l’auteur qui n’y a pas
fait droit dans ces essais, qu’elles y sont en profondeur congédiées ou reléguées
provisoirement, mais afin qu’autre chose, de plus nécessaire sans doute, puisse
être dit, autre chose que ce qu’elles peuvent dire, et qu’il lui fallait impérieusement
dire. Les coups de force ou les impensés de la part d’un grand penseur sont le
signe que l’essentiel fût inventé. C’est donc ici qu’il faut dégager la
troisième présupposition sur laquelle est fondée l’interprétation du phénomène
photographique par Bonnefoy, en pressentant qu’elle se situe à un niveau où
c’est toute sa médiation qui est en jeu – et non pas seulement celle qui a la
photographie pour objet -, toute sa complexion métaphysique et ses choix
profonds quant à l’Etre même. L’analyse de l’interprétation du photographique
doit s’achever maintenant par celle de ses préalables ontologiques les plus
fondamentaux.<br />
Le texte qu’il faut scruter ici est « l’âge d’or de la littérature
secondaire », où le même mouvement de l’émotion et de la pensée se
retrouve, qui avait fait autrefois le fonds de l’un des plus beaux livres du
poète, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">L’Arrière-Pays</i>. Toute une
rêverie se réfléchit dans ces nouvelles pages, qui a son commencement dans un
affect primordial, dans une première passion (et c’est cette antériorité de
l’émotion sur la pensée qui compte ici) éprouvées irrésistiblement devant la
série des reproductions photographiques dont est illustré l’édition de 1903 du
livre d’Emile Bertaux, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">L’Art dans
l’Italie méridionale</i>. Par la neutralité de ces photos, par leur littéralité
froide et purement positiviste, Yves Bonnefoy est soudain « fasciné »
- c’est le mot qu’il emploie -, transi d’emblée par un rêve qu’elles permettent
et auquel d’abord il ne peut se soustraire, d’un autre monde aux limites du
nôtre, d’un degré métaphysiquement supérieur de réalité, d’une absolue lumière.
Ces photographies NB, « comme on dit néant et être », écrit-il, se
produisent premièrement comme une manifestation augurale d’un ailleurs aux
confins du visible, dont la gnose affective du poète s’empare pour y rêver d’un
nouvel Arrière-Pays. Or quand bien même l’irréalité de ce rêve, en un second
temps, est dénoncée par une intuition cette fois réaliste, qui dissipe cette
gnose et reconnaît notre monde comme le seul monde – l’ici comme le seul absolu
-, un reliquat de l’émotion première demeure dans la dialectique qui s’ensuit,
par la persistance duquel les photographies les plus platement didactiques, les
plus objectivement dénotatives et délibérément littérales sont reçues comme une
révélation, non pas des choses représentées par l’extérieur, mais de l’être
même de ces choses, si bien que leur littéralité est alors déterminée comme
identique à l’intuition poétique elle-même, en ce qu’elle donne à voir la
compacité ontologique de ce qui est, la qualité de présence pleine de la
réalité comme telle. « Poésie » de la photographie (de cette
photographie scientifiquement neutre et objectiviste) ; en ce qu’elle
dissipe, une fois traversée l’émotion gnostique, tout « glorieux
mensonge », toute illusion dans la perception du dehors, et qu’elle
présente celui-ci sans fable, dans l’évidence de son essence singulière.<br />
<br />
Cette rêverie, et cette pensée qui s’y alimente autant que s’en arrache,
sont vraiment magnifiques dans ce bref essai autant que dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">L’arrière-Pays</i>. Outre qu’on y sent le
travail même de l’esprit, le mouvement propre de son activité créatrice, on y
saisit aussi le moment le plus subjectif de la véritable passion qui lie le
poète au photographique, et, plus précisément, on y comprend que soient aussi
inévitables que de peu d’importance, au fond, les présuppositions qu’on lui a
vues précédemment sous son interprétation d’ensemble. Que ne soient pas
problématisés pour eux-mêmes les deux postulats de la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">mimésis</i> et du non-savoir supposés essentiels à la photographie,
cela s’explique maintenant par le fait d’une émotion originaire antérieure à
tout jugement, qui a cru reconnaître comme primitivement dans la figure
photographique du réel l’ange d’un absolu hors du monde et qui a fondé sur
cette révélation passionnelle – en tant que relation première du poète à
soi-même – la dialectique seconde d’une sagesse éclairée.<br />
L’ontologie d’Yves Bonnefoy, par conséquent, non seulement se déchiffre
commodément dans son rapport au photographique, mais doit vraiment beaucoup à
la photographie, dont elle aura reçu les deux révélations émotionnelles,
« gnostiques », d’un ailleurs métaphysiquement supérieur ;
ensuite la révélation qui corrige la première mais en préserve l’impression
d’absolu, la révélation <i style="mso-bidi-font-style: normal;">réaliste</i> – ou
intuition même de la poésie – de l’être et de la valeur de l’ici. C’est donc
avec une merveilleuse transparence que se dégage de cette médiation le
troisième postulat ontologique conditionnant à la fois la sagesse du poète et
sa réflexion sur la photo : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">le
postulat de son réalisme</i>.<br />
Pour identifier l’être de l’ici à sa figure telle que la littéralité
photographique la donne à voir, il faut identifier d’abord l’être et le
monde ; il faut préalablement postuler l’unité essentielle de tout ;
bref il faut – et c’est la définition du réalisme en philosophie, et du monisme
qui le fonde – déterminer le réel comme Un, et voir dans les phénomènes
visibles la même réalité de l’Un que dans les phénomènes non visibles. Pour
éprouver que l’effet du photographique est tantôt d’annoncer à la conscience le
non-sens de tout, tantôt de révéler que ce qu’on voit est le réel comme tel
apparaissant en son être même, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">il faut
présupposer d’abord une identité d’essence entre le visible et l’invisible, et
entre le monde et le regard des hommes </i>: il faut aller, enfin, comme
le fait Bonnefoy, jusqu’à poser que la présence et le rien sont de même
substance, l’être et le néant ultimement de même essence.<br />
« L’universelle présence, ou l’absence », lit-on dans le texte sur
Cartier-Bresson : car ces deux mots, chez Yves Bonnefoy, sont en
profondeur radicalement synonymes. D’où par exemple la première phase du texte
de Brice Toul : « Nous ne sommes qu’une de ces traces d’écume que la
vague laisse derrière soi sur le sable : à peine formées elles se
défont. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">» Nous<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>ne sommes que la présence,
c’est-à-dire : nous ne sommes que le rien, nous ne sommes que le monde,
nous identiques au monde, qui est le rien et le tout.</i><br />
On n’est pas tenu de souscrire à cette ontologie, en particulier à ce
dernier postulat (auquel les thèses défendues dans le présent livre
s’opposent), mais on ne peut que vouloir en requestionner toujours
l’inépuisable vibration.<br />
<br />
<br />
Jérôme Thélot, <i>Critique de la raison photographique</i>, Les Belles Lettres, 2009. <br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-55937393197977598872015-10-22T10:00:00.001-07:002015-10-22T10:00:43.101-07:00Paroles et acte photographique<!--[if gte mso 9]><xml>
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<br />
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Rubriques: <i>portraits photographiques; texte et photographie; photographies du XXiéme et contemporaine</i></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<b>Philippe Sollers</b></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Ça ne me dérange pas d’être photographié, je le suis
fréquemment pour des résultats décevants, ce qui n’a aucune importance. Il y a
très peu de photographies vraiment intérieures de moi, où je reconnais une
vibration, une intensité, peut-être une dizaine, ce qui, en quarante années
d’exercice, n’est pas extraordinaire. Il y a celle de Cartier-Bresson, mon
profil à la sauvette, alors que je sortais d’une réunion aux éditions de Minuit
(…). Henri Cartier-Bresson était là, comme un chat, il photographie à la Pollock, comme s’il
faisait du dripping… La photographie sert aussi à se cacher, peu de
photographes ont envie d’aller au-delà de ce qu’ils ont vu. Des photographes
doués pour le portrait, ce n’est pas si fréquent. En ce qui me concerne, iol y
a Gisèle Freund, Lufti Özkök, ah, je pense aussi à Marc Trivier, à Sarah Moon,
à Patrick Messina, à Gladys, ah, finalement, il y en a quand même quelques
uns."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Il y a deux écoles pour le spectacle en général. Soit on ne
fait rien, genre Debord, vous allez dans le refus du système. Ou alors vous
choisissez l’école opposée, la prolifération, vous en faîtes le plus possible,
il faut qu’il y en ait énormément, que ça déborde… C’est l’image sociale qu’il
faut traiter par le surplus. Vous mettez tout dans l’ordinateur et ça brûle,
ça, c’est mon style. Il ne faut pas avoir peur de se livrer à une
désinformation intensive, il en sort toujours quelque chose. Ma technique
consiste à me cacher en plein jour, en pleine surexposition. On est plus
clandestin en se multipliant, mais ça se paye d’une réputation de
non-profondeur."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Quand on me photographie, je pense à des choses très
précises. A un air de musique, ou à une formule, ou à un poème, ou à un
aphorisme, parce que je veux faire passer ça dans la photographie, comme un
fluide. Il y a très peu de bons portraits de moi parce que je m’arrange aussi
pour ça. Je ne passe pas pour quelqu’un de sérieux, mais sous mes airs prêts à
tout, j’ai mon jeu…"</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Il faut qu’il y ait un certain vice dans la photographie. Il
faut qu’il y ait une tension érotique entre photographe et photographié, ce
sont des instants de séduction réciproque, d’esthétique érotique. Gisèle Freund
aimait parler. Je l’ai rencontrée à cause de mon intérêt pour James Joyce. Elle
était complètement en état de superstition par rapport à lui, il dégageait de
la magie, elle oubliait ses appareils… Avec Virginia Woolf, c’était autre
chose, un état amoureux. Face à Joyce, elle est devant un sorcier, je crois que
c’est la première personne qu’elle a eu envie de photographier quand elle était
à Paris : Joyce… Aujourd’hui, s’il se baladait au Fouquet’s, il se ferait
photographier tous les soirs. Gisèle était intarissable, un vrai bulldozer, elle
vivait dans un état d’excitation. Les photographes sont de drôles de gens,
bizarres et ils ont des superstitions, ils sont proches du religieux. Ils sont
conscients de faire un peu de magie noire, ce n’est pas naturel, ça ne devrait
pas se faire comme ils le font non ?"</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Une bonne<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>photographie est peut-être celle qui évoque l’absence de toutes les
photos possibles, toutes celles qui n’ont pas été prises. L’image, c’est du
son, or la plupart des images sont sourdes. Une bonne photographie a un effet
musical immédiat, vous entendez quelque chose. Une photographie, ça ne me rend
ni gai, ni triste, je regarde, c’est tout. Sauf les photographies d’horreur.
Kertesz, voilà des photographies magiques avec un effet prodigieux, un effet de
beauté, on ne sait pas, ça dégage du mystique, donc du poétique. Kertesz est un
grand photographe, comme Stieglitz… j’aime aussi Lartigue, un photographe
d’espace."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
"Moi je préfère le noir et blanc, la couleur, c’est très
compliqué, la couleur se change en colorisation. Il me semble que la présence
recule avec la couleur. J’ai tendance à éviter la photographie en couleurs, ça
ne marche pas ou très peu. La photographie est très présente dans ma vie, mais
non, moi je ne fais pas de photographies, ce n’est pas<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>mon truc, mon truc, c’est les mots. Dans le
privé, je suis mieux photographié par les femmes que par les hommes… Et, dans
la vie, ça se passe mieux avec les femmes qu’avec les hommes. Les photos de moi
les moins névrosées, inhibées, conflictuelles, sont des photos faites par des
femmes."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Une photo juste serait proche de ce que j’écris, je crois,
c’est-à-dire que je serais photographié en train de penser à ce que je vais
écrire, à ce que j’ai déjà écrit. Des photos de moi en train d’écrire, je n’en
ai pas, sauf des photos privées. Mais comme je peux faire Sollers sans
Sollers ! La mauvaise photo ne saisirait pas qu’après tout, la plupart du
temps, j’aligne des mots sur du papier. Quand j’écris, j’écris dans le plus
grand silence, une phrase puis une autre phrase. J’essaie de faire de la
musique avec des mots."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"J’ai toujours sur moi une photo de ma mère. Une petite photo
d’identité faite à Bordeaux, en quelle année hum hum ! ça doit être quand
elle pense à moi non encore né. Elle est là, sur moi… Comme un talisman ?
Oui, comme tout le monde, des centaines de photos de femmes, d’enfants, de
nièces, de sœurs, d’amis. Les photos de famille sont intéressantes, au cours du
temps, c’est une activité romanesque. Il n’y a rien à faire, c’est comme ça.
Les gens, hélas ! vous sortent leurs photographies sans se rendre compte
que ça ne regarde qu’eux."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<b>Denis Roche</b></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"J’ai longtemps pensé que j’adorerais pouvoir écrire un texte
sur le silence photographique. Je parle des photographies en noir et blanc que
l’on peut voir dans les expositions. Les gens regardent, et il n’y a pas de
contexte. Il y a un très grand silence dû à l’absence de contexte, même s’il y
a une légende. Je suis étonné que les spectateurs ne soient pas bousculés par
ce silence. En ce qui me concerne, j’inscris sous mes photographies la date et
l’endroit exacts : c’est un début de contexte. Il ne s’agit pas de donner
une explication de la photographie montrée. Les gens vivent ce qu’ils voient
dans une photographie comme une évidence. Or, l’absence de contexte me perturbe
beaucoup. Et puis aussi, l’idée d’un déplacement du photographe dans cet
endroit-là. Pourquoi était-il là ? Qu’est-ce qu’il faisait là ? Quand
vous peignez un tableau, quand vous écrivez un livre, vous n’êtes nulle part.
Quand il prend une photo, le photographe est à l’endroit même où la
photographie a lieu. On ne peut pas démentir ça, ça m’a toujours agité, et j’ai
dû y penser inconsciemment la première fois que j’ai pris une photographie."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"La plus ancienne photographie, je ne possédais même pas
d’appareil photo, j’ai dû en emprunter un. C’était le portrait de Giuseppe
Ungaretti, le grand poète italien, en 1965. Les regards dans les portraits ne
disent rien ; le portraitiste croit qu’il fait s’exprimer son modèle, mais
c’est de la mise en scène. Même Richard Avedon ou Irving Penn font de la mise
en scène, observez leurs modèles, leurs visages sont fermés et solitaires."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
La mélancolie vient du temps… Dans la fraction de seconde
qui suit la prise photographique, c’est déjà archivé. Vous photographiez
quelqu’un que vous aimez, vous avez le sentiment de le faire échapper à la mort,
mais vous le renvoyez d’un coup dans le passé : la mélancolie est là.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
C’est l’une des inventions magiques de l’humanité. On aime
quelqu’un, on découvre un paysage, on le prend en photographie, on le met dans
sa poche… La photographie est associée au geste initial, magique, que ça a été.
Les premiers photographes, c’étaient des bricoleurs, pris par le vertige de
l’invention, mais sensibles à l’acte chamanique… Pour les autoportraits, je ne
me lassais pas d’entrer dans l’image et de disparaître, d’y aller et d’en
revenir. Moi, je n’ai pas d’imagination, je suis toujours à droite sur la
photo. C’est le seul art où l’on puisse faire ça, entrer sortir, on peut au
cinéma, oui c’est vrai, mais pas dans l’écriture, vous êtes toujours du même
côté de la feuille de papier. Maintenant, j’ai une nette tendance à ne plus
figurer dans la photographie, je m’évanouis peu à peu.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
La photographie est un acte autobiographique, la littérature
beaucoup moins. Le rêve, c’est la musique, parce que la musique est un ailleurs
mental absolu. C’est un acte abstrait total, c’est l’ailleurs de tous les
ailleurs. Les écrivains sont fascinés par les musiciens. Ils sont débarrassés
du sens, il n’y a plus qu’à composer du vertige.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
J’aime bien regarder les photos dans les livres, je vais
très peu dans les expositions, j’ai besoin de les compulser réellement et, pour
ça, il est nécessaire de recourir au livre. Mais ce n’est pas le fait de
regarder qui déclenche la rêverie, c’est plutôt le passage à l’écriture. Si je
forme une phrase à propos d’une photographie, alors la mécanique se met en
route. C’est la combinaison des mots qui enclenche la rêverie.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Dans l’histoire de la photographie, que l’époque soit
considérée comme statique ou d’avant-garde le nu est tout le temps-là, très
présent. Les femmes photographes dans années 30, elles ne photographient pas
que des poutrelles et des ponts, elles font aussi du nu. Je parle du nu sans le
visage, je parle des surfaces, des courbes, et de la lumière. S’il y a le
visage, c’est une autre dimension, cela rejoint les études académiques chez les
peintres d’autrefois. Quand on retourne au nu, le regard est rincé, on se
retrouve devant quelque chose de difficile. Quoi faire ? Il y a une femme
tout à coup nue devant moi, je la connais. Je mets de la musique, la lumière
entre à flots et il faut arriver à ce qu’il y ait que courbes et lumière. C’est
une contrainte au sens Perec du terme. On s’invente le maximum de complications
pour faire l’image.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
J’aime bien faire des photos qui soient remplies, tout le
rectangle rempli en même temps. J’aime bien faire des photos où il y a trop de
choses, J’aime les reflets parce que ça remplit.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Je n’aime pas les photographes qui vous arnaquent, qui vous
prennent en otage, qui forcent leurs modèle. Je n’aime pas les Stallone de la
photographie, je n’aime pas la photographie à l’estomac. Je n’aime pas les
photos sensationnelles, la prouesse technique, les photos de professeurs.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Ce qui me touche dans une photographie ? Je ne sais
pas… Cela dépend tellement de choses, en tout cas, c’est au premier regard,
c’est là que je suis touché ou pas, après ça se dissout ou pas. Avant tout, la
photographie c’est un art. Il faut être touché ou émerveillé par quelque chose
qui appartient au registre de l’art. Cela peu être un caractère historique, un
flagrant délit, la composition, y compris quand c’est une photo d’amateur
inconscient de son pouvoir artistique.</div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<b>Jean Baudrillard</b></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Pendant très longtemps, j’ai été étranger à la photographie.
Accidentellement, en 1981, des Japonais m’ont offert un appareil photo. Au
début, il n’y avait aucun rapport avec l’écriture, les deux mondes restaient
parallèles. Ce n’est pas facile l’écriture, c’est une contrainte; la
photographie était une diversion de l’écriture, un plaisir pur, un
divertissement, avec, vous vous en doutez, des résultats variables ! Et
puis, tout en distinguant ces deux univers si singuliers, j’ai fini par trouver
une analogie entre certaines images et certains textes."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Il n’est aucunement question de maîtrise ou de volonté
esthétique, je laisse faire le hasard, parfois il est heureux, parfois,
insignifiant. C’est l’objet qui m’intéresse, son étrangeté plus que sa beauté…
La technique crée une certaine magie, c’est un jeu d’apparition de l’objet et
de disparition du sujet. Je suis un amateur sauvage…"</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Quand on me photographie, je ne suis pas de sang froid.
C’est une situation abstraite, je n’y suis littéralement pas. A mon tour, j’ai
essayé de faire des portraits de quelques amis : sans succès ! L’être
humain, le corps aussi m’apparaissent comme trop chargés de sens. Faire un
portrait est donc une activité dramatique. Et je n’en ai pas envie…. Quant à
l’autoportrait, j’ai eu un épisode, un été, dans ma maison de Midi, avec effet
de flashes et reflets de soleil…"</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Le noir et blanc, c’est trop fort, ça engage trop de choses,
il faut être un vrai photographe, un professionnel… La couleur correspondait au
monde un peu pop dans lequel j’évoluais à l’époque. A vrai dire, ça a été
immédiat, je ne me suis pas posé la question ! Mais ce n’est pas la
couleur pour la couleur, c’est plutôt la lumière qui est la dominante. Ou comme
l’a écrit Platon : « L’image est au confluent de la lumière venue de
l’objet et de celle qui vient du regard ». C’est la définition la plus
belle, idéale même, de ce que l’on peut faire en termes d’images. La
photographie serait pour moi une possibilité radicale pour l’image d’exister en
tant qu’image." </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"La couleur est une qualité, mais elle n’est pas réaliste. Ma
couleur préférée. Le bleu."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"J’ai d’abord photographié mon environnement proche, là vous
voyez ce fauteuil, tout ce qui était dans mon contexte immédiat… Et puis, au
gré de mes voyages, à Rio, à Sydney, à Vancouver ou ailleurs, j’ai photographié
des immeubles, des graffitis, des choses un peu destroy ou très cool, des
banalités… Je ne cherche pas à inventer une vision du monde, ni à composer de
belles photographies. Bien sûr, il y a des lieux privilégiés, mais aucun
style<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>imposé. Tout ça n’a pas de
dessein, je n’ai même jamais eu l’objectif d’en faire quelque chose, même si
mes photographies ont fini par être exposées ici ou là. Pour mon plus grand
plaisir !"</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Très souvent, on a l’impression de manquer les photographies
que l’on aurait pu faire. J’en rêve même parfois, je tombe sur une scène
incroyable et, mon dieu, j’ai oublié l’appareil ! Si je perds une idée
dans l’écriture, je finirai toujours par la retrouver. Dans le monde de la
photographie, elle est définitivement perdue. Mais, au fond, ce n’est pas si
grave une photo perdue... " </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Tout ce qui cherche à récupérer la photographie comme un art
me laisse, au mieux, indifférent ; au pire, je trouve que c’est un
contresens."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"J’aime marcher et la photographie est liée à une
déambulation du corps. D’un côté, il y a l’appareil photo, et de l’autre, le
corps qui est aussi un appareil technique complet avec l’œil, les muscles…
J’aime marcher dans les villes car tout y est surprenant, c’est un lieu propice
à la photographie. Non, je ne suis pas urbain, je suis même un fils de paysans,
je suis né dans les Ardennes, tout près de chez Rimbaud. Mais la ville me
séduit par son caractère de fiction. Et l’Amérique a joué un grand rôle dans
cette perspective de fiction, elle a été une déconnexion par rapport à la
culture européenne, un passage dans un autre monde, pas seulement le nouveau
monde."</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Moi, j’ai vécu en Amérique comme une sensation vertigineuse
de l’espace. L’Amérique, c’est une autre dimension, et le territoire de la
scène primitive puisque, là-bas, j’ai découvert le désert. L’Amérique est un
continent spacieux, où l’idée même de dimension n’existe pas: elle est
illimitée. J’étais content de passer dans cette zone franche où tout est
possible, où l’on peut se perdre, et même disparaître." </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"Disparaître est un fantasme, un jeu avec l’existence, avec
sa propre identité… L’art est un jeu avec la disparition, vous inventez une
autre scène où le réel s’efface. L’art ou la photographie, c’est autre chose
que de la représentation : c’est une vision. C’est un rapport transfiguré
au monde, aux autres." </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
"La photographie m’aide à traverser les villes, mais elle
crée aussi une sorte de vide. La photographie isole une scène, une rue, un
building, elle fait de l’air et agrandit l’espace général de la ville. C’est le
problème posé à l’architecture: est-ce que ça remplit les espaces ou
est-ce que ça crée des espaces? On circule de plus en plus, mais l’espace
est de plus en plus rempli, il est colonisé. L’architecture a au moins pour
fonction de se rendre invisible. C’est aussi valable pour l’écriture, et
peut-être même pour l’espace en général. Il n’existe pas en soi, il s’invente.
Et dans un univers plein, saturé, asphyxié, l’image peut tout à coup imposer un
arrêt sur le monde. Un suspense où les choses ont le temps de ne<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>pas avoir de sens. La photographie est un bon
opérateur pour ça… Aujourd’hui où ne se fabrique que du plein, le travail,
c’est de fabriquer du vide. Un vide où n’importe quel évènement est
possible." </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
in <i>Best regards</i>, conception et réalisation Elisabeth Nora et Brigitte Ollier, Collection NSM VIE / ABN AMRO, 2002.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-58802353549516021852015-09-23T03:09:00.000-07:002015-09-23T03:09:07.714-07:00"L'espace du désastre"<br />
Rubriques: <i>photo du XXième et contemporaine, société et photographie, paysage </i><br />
<br />
La pulvérisation de l'espace urbain est un motif prisé par les photographes.<i> La composition de l'image</i> se nourrit de la <i>décomposition spatiale</i>, comme si elle trouvait là un aliment particulièrement relevé pour la mastication visuelle. En même temps la photo révèle une dimension catastrophique endogène aux mégalopoles. L'ultime de la dévastation urbaine comme figure répulsive est simultané à une étrange attraction du regard. A travers la déconstruction du tissu social propre à l'urbanisme ravageur, toute une scène tragique surgit, possédant la fatale beauté du deuil de la ville.<br />
Une photo de William Klein intitulée <i>Minigang Brooklyn</i> prise en 1955 reste symptomatique de la pulvérisation extatique de la ville.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-rtLlTS4ccfo/VgJq3mdBIbI/AAAAAAAAA20/35BxvS-3l64/s1600/Klein%2B%252C%2BMinigang%2BBrooklyn%2B1955.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-rtLlTS4ccfo/VgJq3mdBIbI/AAAAAAAAA20/35BxvS-3l64/s1600/Klein%2B%252C%2BMinigang%2BBrooklyn%2B1955.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">William Klein, Minigang, Brooklyn, 1955.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Dans le terrain vague constitué d'immeubles détériorés et d'un sol juché de débris à New York, quatre enfants lèvent la tête comme pour humer un air rare, ou comme pour regarder un avion et pourquoi pas (cela vient immédiatement à l'esprit) guetter la bombe qui anéantira la cité. Une autre image de Klein (New York, 1955) présente un lieu démoli où se juxtaposent un pont, un immeuble gris et les débris d'un bâtiment englouti. Toutes les hypothèses sont permises, même les plus folles, car le cadre urbain est lui même hallucinant. En même temps désolé et étrange, massif et désertique, surchargé et vide, un tel espace est difficile à nommer. Le ton et le grain de l'image accentuent cet effet de grisaille et de lieu inqualifiable. L'artiste pratique ce qu'il appelle la "street photography", manière de faire consistant à détourner ironiquement les stéréotypes de la photo journalistique à tirage grossier, grains non épurés, gros plans... La brutalité calculée de l'image permet d'accéder à une certaine horreur du "quelconque" urbain intrinsèque à la banalité des sites, dont les enfants aux regards ravis tentent d'échapper. C'est l'Autre de la ville qui les habite. Car on remarque que les personnages n'occupent par le centre mais le bas gauche de l'image, ils sont déplacés dans l'espace, ils sont extra-territorialisés par une gravitation hors champ. Ce sont des survivants d'une apocalypse intégrée qui aurait anéantie la population, tout en laissant quelques éléments de la structure urbaine debout.<br />
<br />
Dans ce type d'images, la mort de la cité est virtuelle mais déjà là, et recoupe parfaitement l'aspect "sans avenir" de la photo (puisque celle-ci, contrairement au cinéma, est non mobile), ce que R. Barthes appelle "un point énigmatique d'inactivité, une stase étrange, l'essence même d'un arrêt". A travers ces images du paysage urbain dévasté, il n'y a guère d'avenir pour la ville, sinon sa destruction. A la rigueur, le temps est suspendu dans de telles photos; il se produit un "vertige du temps écrasé" (Barthes) notamment dans l'effritement des lieux urbains. Malgré une apparente ouverture ouverture spatiale, le lieu est néanmoins fermé parce que sans "légende". Car la dimension légendaire permet les issues, d'aller et de venir à sa guise. Or nous nous heurtons à une sorte de néant urbain, un "néantissement" (pour reprendre le mot d'Heidegger) résultant d'une spatialité délocalisée, disséminée, trouée, particulière aux villes extensibles à l'infini.<br />
<br />
Dans cette actualité perpétuelle il n'y a plus d'accumulation de valeurs (sociales, urbanistiques, esthétiques) mais de la simulation, ou plutôt déjà l'annonce d'une <i>dé-simulation</i> dans l'abandon, la décrépitude des signes. Ce que rendent les photos de Klein c'est la folie de New york, de toute ville mondiale (Les cités-monde). En effet, la photo signale parfaitement l'absence d'une totalité de l'urbain mais aussi instantanéise la consécration d'une énergie de la ville, d'une circulation triomphante des flux multiformes. Paradoxalement l'arrêt sur image de la photo renvoie au tourbillon de la ville, à l'agitation moléculaire journalière et imperceptible.<br />
<br />
On sait l'influence qu'aura Klein, avec R. Frank, sur les photographes contemporains après les années cinquate. "La photomatonographie de rue" constitue une démarche "anti-esthétique", anti-art", du moins dans le sens académique des domaines, où domine une volonté de briser les conventions, d'abolir la distance qu'implique l'appareil. A la rigueur comme le dit Klein lui-même "j'ai joué le paparezzo, traitant l'événement le plus anodin comme s'il s'agissait d'un "scoop"". Nous serons tous une star quelques minutes, prophétisait Andy Wharol. Mais cette attention à la banalité est remarquable par le cadrage qui est une véritable plongée physique dans la rue. N'oublions pas qu'après guerre la référence majeure est H. Cartier Bresson, c'est-à dire l'élégance, la distance, la mesure française. Evidemment Klein va dans un sens tout à fait opposé "je fonçais tête baissée dans tout ce qu'il ne fallait pas faire en photographie"...<br />
Ce qui passionne Klein est de cataloguer les désordres de la ville en photographiant rues, enseignes publicitaires et passants. Tout coexiste dans l'image: personnages, objets, lumières, architecture, mouvements, drame collectif et individuel comme cette image intitulée <i>Coppertone, Coney Island, New York, 1981. </i><br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-qo5ZlSW1YeE/VgJtLciqjLI/AAAAAAAAA3E/AQq8oaJ-oG4/s1600/W.%2BKlein%252C%2BCoppertone%252C%2BNY%2B1981.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="207" src="http://3.bp.blogspot.com/-qo5ZlSW1YeE/VgJtLciqjLI/AAAAAAAAA3E/AQq8oaJ-oG4/s320/W.%2BKlein%252C%2BCoppertone%252C%2BNY%2B1981.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">William Klein, Coppertone, Coney Island, NY, 1955.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Le photographe part de cette imbrication gigantesque, d'une enchevêtrement impossible, du chaos quotidien, pour agencer le tumulte de la ville. La nouveauté est qu'en libérant l'appareil Klein "libère" l'oeil, par exemple avec l'utilisation sans complexe du grand angle il a tendance à collectiviser sa vision. Mais sa photographie met subjectivement le doigt sur les connexions invisibles qui lient les objets, les êtres, les mouvements dans la ville.<br />
Il nous semble aussi que Klein par son travail oppose à la macro-structure du damier, une microscopie du quotidien chaotique, dans ses clichés comme <i>42ième avenue</i> (1955), <i>Gun 2</i> (1954)... Principe du damier on le sait, à la base de la société américaine avec les rues se coupant à angle droit selon un même modèle incontournable. Or la rue présentée par Klein est méandre et métissage de populations, de formes, d'espaces. Elle constitue la subversion effective, insidieuse, du système urbain rationalisé, elle est l'endroit d'un envers dans le bousculement d'une modélisation formelle de la ville par les corps de ceux qui la fréquentent et la parcourent.<br />
<br />
Ce détour par Klein est justifié par le fait qu'il est l'un de ceux qui influença (avec Frank) la nouvelle génération d'artistes du réel. Et surtout par ce qu'il encourage à sa suite une plongée photographique dans la ville, dans ses rues, ses joies, ses désolations. Il n'est certes pas le seul (Herry Callahan, Dorothea Lange, Weegee, auparavant) mais le systématisme de "l'anti-photo" par ses paroxysmes techniques ou plutôt l'outrepassement de la technicité, nous conduit à nous intéresser à l'espace maltraité, torturé, délaissé. Enfin, la laideur de nos villes (l'obscénité de ses signes détériorés) devient un <i>objet esthétique</i>. Ce à quoi, s'attache un photographe français comme Marc Gibert aujourd'hui, en restituant des chantiers, des friches urbaines, des murs tagués, des lieux écroulés, boueux, absurdes, dans toute leur inquiétante beauté. Une telle approche est rendue possible, un tel pathétique du "non lieu" se dégage, par et dans le contexte de la ville entropique.<br />
<br />
L'extension prévisible de la banlieue constitue, pour Henri Lefebvre, un espace paradoxal puisque "cet espace, en effet, est à la fois structuré et chaotique". Notamment la région parisienne est structurée du fait de l'opposition claire entre pavillons d'une part et grands ensembles d'autre part, mais chaotique du fait qu'on a mis tout cela n'importe où, n'importe comment, sans projet défini. D'où un "texte" peu lisible, qui semble indéchiffrable. A l'occasion on peut se souvenir d'une photo de Willy Ronis sur le bidonville de Nanterre qui voisinait avec les industries nouvelles (1958). L'espace urbain, avec le modèle expérimental de la banlieue, est "homogénéisé", c'est-à -dire que tout devient identique (Bâtiments, édifices, voies de circulation...), mais il est simultanément fragmenté, mis en pièces, parcellisé par les lois du marché immobilier. C'est l'<i>homogénéisation hétérogène</i>, modèle que H. Lefèbvre, en philosophe, voit se jouer dans la pensée elle même: soumission aux normes d'une logique uniforme, fragmentation ou morcellement du savoir.<br />
<br />
Cette contradiction peut aboutir à "l'anti-ville" comme la nomme l'anthropologue L.V. Thomas, une cité qui se consume par une absurde involution. En un sens le discours sur la ville rejoint celui sur la mort, parce que la ville est comme un corps vivant, elle a besoin de toutes les formes de vie, d'énergie, pour se réaliser dans la mort. La lente agonie de certaines cités, on le sait, on le sait, atteint au sublime (Venise, Kyoto), et produit un culte analogue à celui des fleurs fanées. Ce sont ces aspects que mettent en scène certains photographes, aujourd'hui Gibert, Plossu, Lambours... Tous repèrent l'existence d'une <i>para-ville</i> se constituant au sein même de la ville, proliférante ou mortifère. Cet espace de parachèvement se contracte dans sa propre destruction. Car on peut entendre dans la fascination de la démolition, ou de la décrépitude, un désir de meurtre de la ville. La ritualisation du processus destructif, l'affirmation opérationnelle d'une finalité, sont là pour conjurer cette pulsion obscure. Pourtant les images momifiées de la photo mettent à nu, en évidence, la <i>pulsion de mort </i>appliquée à l'espace.<br />
On peut se demander si les représentations de la désintégration spatiale n'impliquent pas l'anéantissement de la représentation même. A la para-ville correspond une "néo-photo" faite de flous, d'accélérés, de hors-cadres, de faux jours, de gros plans, de cut-up, etc. Mais il n'y a pas de mort de l'image en ce cas précis, car la photographie excède le concept de la représentation. Simplement elle participe d'un art mortuaire (Barthes), en ayant la virtuosité de tout figer sur place, tel le Vésuve pétrifiant la ville de Pompéï.<br />
<br />
Ce que semble nous faire comprendre le reportage formel sur la ville aujourd'hui, est qu'il paraît impossible de réunir tous les fragments du réel pour constituer une unité idéale urbaine, une "scène sociale" où tous les acteurs de la ville se rencontreraient et se légitimeraient par des présences. Une telle nostalgie d'une scène civique existe bel et bien dans la photographie française après guerre (Doisneau, Ronis...), bien que la dislocation historique soit déjà là. Georges Bataille se fera l'écho étincelant et sacrilège de la perte à travers ses écrits théoriques et érotiques. Mais le documentaire esthétique contemporain concentre le regard sur la désubstantialisation de l'espace, l'aspiration au vide social. Les personnages deviennent rares, les lieux et les bâtiments se fissurent, se décomposent, sont surchargés de signes incompréhensibles. Curieusement cette suffocation, cette respiration saccadée, spasmodique, de la ville, produit une nouvelle esthétique dont la photo rend compte et travaille en même temps.<br />
<br />
Il faudrait faire l'<i>Eloge de la faille</i>, ce que pratiquent à leur manière les artistes du réel en prélevant des morceaux de ville. Car la faille, comme fracture de l'écorce (terrestre, corporelle, matérielle, imaginaire...) met paradoxalement en contact des objets, des terrains, dissemblables ou ressemblants. Par fissure elle opère un glissement vertigineux des phénomènes entre eux, le long d'une ligne ténue, subtile, extrêmement fragile. Acte de la fente qui autorise à suggérer l'irreprésentable, car on sait qu'une faille est aussi un voile, une etoffe, un tissu de soie...<br />
Une telle cassure, un tel manque, un tel glissement, Marc Gibert les décèle avec les images sur les terrains vagues, les grands ensembles. Ayant appris la langue chinoise il photographie dès 1982 de bas en haut et de gauche à droite, comme imbibé par l'écriture. L'essentiel reste le vertige des images couleur, la dramaturgie nue des signes urbains. L'artiste s'intéresse au paysage de la petite couronne parisienne, située à une vingtaine de minutes de la Capitale. Il se produit une contamination de la matière et des formes présentes dans l'environnement chamboulé. Par exemple une magnifique image (1992) porte sur un lieu où s'associent la terre du chantier, la boue, une palissade rouge et blanche... Sans oublier les nuages noircis et les bâtiments sociaux alignés qui servent de toile de fond. C'est l'illustration d'un propos de John Cage, sur l'<i>immense collage</i> que constitue le quotidien des sociétés modernes. Sauf à considérer que les pièces sont disjointes dans le puzzle, comme si un interstice, un vide s'engouffrait entre les éléments de l'espace.<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-5VD1FJelcRU/VgJ1xSzJaQI/AAAAAAAAA3U/UF905vDpRRc/s1600/Marc%2BGibert%252C%2B1992.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-5VD1FJelcRU/VgJ1xSzJaQI/AAAAAAAAA3U/UF905vDpRRc/s1600/Marc%2BGibert%252C%2B1992.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Marc Gibert, Paris, 1992 (original en couleur)</td></tr>
</tbody></table>
<br />
A l'évidence, M. Gibert recherche et affirme un équilibre par une composition, un mode aspectuel, somme toute classiques. Néanmoins, "l'adhérence du réel", (l'immanence photographique), troue l'image, l'inquiète de par l'abîme ouvert avec le paysage charnellement fréquenté par le photographe. D'ailleurs le motif photographique n'exclut nullement cette déstabilisation symbolique inhérente à l'objet même, au contraire. C'est là, comme on le sait, que réside toute l'ambiguïté de l'art photographique.<br />
Je peux constater un même vertige, aplati, resserré, avec d'autres clichés de Gibert. Une photographie comme en <i>à plat</i> alors qu'elle propose une profondeur de champ, une composition figurale parfaite qui, néanmoins, provoque une sensation d'abandon irrémédiable. (...)<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-lEE0HvwFvD0/VgJ2q7mahPI/AAAAAAAAA3c/n2abLaSV8ec/s1600/Marc%2BGibert%2B1992.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-lEE0HvwFvD0/VgJ2q7mahPI/AAAAAAAAA3c/n2abLaSV8ec/s1600/Marc%2BGibert%2B1992.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Marc Gibert, Paris, 1992 (original en couleur).</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Cette puissance du bâti comme affirmation d'un pouvoir abstrait, à vrai dire indiscernable, est fissuré par l'élément liquide et l'ammassement désordonné des signes sur la paroi blanche. La conjonction d'un fait archétypal (eau stagnante) favorise une décomposition de l'hyperbole urbaine constituée par les buildings. C'est un fait que, où surgit l'érection architecturale comme prouesse technique, se répandent simultanément des déchets, de la désagrégation, de la détérioration, de la putréfaction. Cette altération de l'espace a lieu au pied des bâtiments, vers le bas donc, aux alentours, aux confins. La déchirure par le bas urbanisme (Ainsi Bataille parlait d'un "bas matérialisme") affirme une matière obsédante, "l'animalité" de toute ville, s'opposant ou côtoyant secrètement, la magnificence et la maîtrise architecturales.<br />
<br />
Ces images de M. Gibert instaurent les <i>figures renversantes</i> d'une ville qui s'étire vers ses bords, et par conséquence a tendance à chuter dans un espace vide. La cité actuelle par son mode expansif produit son <i>clinamen</i> avec l'atomisation et le mouvement illimité. On a cette sensation de figure renversée, de lieu tombé à la renverse, avec une autre photo nous entraînant à voir l'autre côté, le derrière de la création architecturale triomphante, style La Défense. En effet, un mur délabré sur lequel sont tombés les mots "grands remerciements - meilleurs voeux - Alain" en grands caractères couleur, contraste singulièrement avec la puissance abstraite des bâtiments de verre qui se trouvent derrière la palissade. Le photographe contourne ironiquement cette omnipotence architecturale pour passer concrètement de l'<i>autre côté</i>.<br />
A sa façon le créateur métaphorise l'espace en captant, et restituant un réel obsédant, expansif des matières encombrantes et impures. Ici la matière boueuse, une terre torturée par le machines, impose sa présence troublante. La couleur et les marques informes constituent un sol incertain, sables mouvants. Par ce déplacement de "terrain", par conséquent de l'angle de vue, ses fondements, ses sous-bassements, nébuleux et chancelants. Un doute s'installe insidieusement, comme si le ressort secret de la frénésie de construire et du gigantisme passé à l'acte se trouvait dans une pulsion de mort. Car toute figure humaine, même déshumanisée, est absente des images de Gibert: plate formes urbaines désertes s'étendant dans les banlieues universelles. Par son absence remarquable la figure humaine hante l'espace urbain, elle est <i>spectrale </i>dans tous les sens du terme c'est à dire fantomatique, claire-obscure élargie dans ses effets, ou bien poétique, esthétique, pathologique.<br />
<br />
Au lieu d'être une forme d'harmonie, où la diversité des parties se distribue de façon homogène, la grande ville devient entropique puisque les distributions des éléments signifiants et spatiaux semblent faiblement ordonnés. On le constate avec certains clichés de Xavier Lambours ou de Bernard Plossu, où l'espace est fendu par des travaux, par le mobilier signalétique ou un passant isolé. On voit l'écart, si l'on peut dire, avec un artiste comme E. Boubat qui , après guerre, effectue une sorte de "topoanalyse" sauvage des lieux parisiens, les personnages et les affects y sont en correspondance permanente dans l'image. La rue devient le lieu de l'enfance, d'une tendre nostalgie qui cependant constitue le présent de la scène captée. Boubat joue avec la réalité de l'environnement en découpant des bancs (1947) l'homme avec son chien à la terrasse de café.... (...)<br />
On peut voir une telle interrelation des humains et des lieux dans l'iconographie de R. Doisneau, où domine la mise en scène des situations, car apparemment s'engendre une approche directe et chaleureuse du photographe avec le théâtre des lieux, les gens et la rue. Aucune collision, ni agression, la violence est exclue des clichés des clichés (...). Ce sont des corps en jeu dans les combinatoires de la ville. Des "corps" qui déjouent l'ordre urbain en se fondant anonymement dans celui-ci, et les citadins utilisent des tactiques, des "astuces de chasseur" parmi les opérations hétérogènes de la mouvance urbaine. Encore faut-il apprécier le fait que ce proncipe de mise en sympathie avec les habitants, d'empathie avec les lieux, chez Doisneau est de l'ordre théâtral, d'un artifice de la "naturalité" du moment, explicite ou implicite dès que le photographe pointe son regard.<br />
On mesure l'écart entre la photographie contemporaine où les collisions, les irréductibles tensions, au sein des territoires sont nettement soulignées. Territoire et non plus territorrialité, car les espaces urbains apparaissent vidés de tout contenu social, de toute lieison de la communauté dans son effectuation spatio-temporelle. Certes quelques silhouettes peuvent se profiler dans la béance des villes, mais ce sont des individus errants, des passants sans interaction substantielle (personne ne se parle, ni ne se regarde véritablement). Les photos aujourd'hui nous indiquent le degré d'éloignement atteint, peut être irrémédiablement par rapport à l'être-ensemble.<br />
Un artiste "bohème" comme Ed Van der Elsken, avec son regard étranger avait pressenti la désintégration communautaire dans le Paris des années 50. Il vivait paradoxalement dans une sorte de tribu de jeunes à St Germain de Près à l'époque des caves et de la vogue "existentialiste". Or dans ce contexte communautaires les photos d'Elsken expriment une deshérence pathétique et la solitude des individus. La dégradation de l'espace physique fait écho à l'aspect nauséeux et angoissé des personnages 'marginaux, pauvres, alcooliques). Les territoires et les possibilités identitaires qui s'y rattachent supposent des espaces de fuite que permet la grande ville. D'où curieusement, dans la désespérance urbaine une forme de bonheur, de liberté individuelle que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Face à cet état des choses deux attitudes photographiques possibles s'offrent à nous. Soit tenter de colmater l'espace dans une image pleine, bordée, signifiée (Doisneau par exemple), ou soit ouvrir l'espace par une image trouée, débordée, signifiante (Klein par exemple). Il semble évident qu'avec la nucléarisation accélérée des villes, les nouveaux photographes ont suivi la deuxième voie. Car il paraît vain de s'acharner à présenter une image pleine de sens, fortement cadrée, dans un contexte post-moderne, a-signifiant, zébré par les lignes de fuite, où tout système s'effiloche. Ce serait manquer le réel "extra-moderne", où tous les signes sont révulsés, hors d'eux mêmes, et ne décolèrent pas.<br />
Ce courroux des signes blessés atteint les photographes dans leur subjectivité et leur pratique, et leurs images constituent des ecchymoses, des meurtrissures par rapport à la cité. La dimension traumatique est présente, comme l'écrit Maurice Blanchot "j'appelle désastre ce qui n'a pas l'ultime pour limite, et ce qui entraîne l'ultime dans le désastre". Au-delà de l'ultime, éthique et esthétique, il y a l'illimité de la ville, dont la photographie par sa faiblesse d'infiltration peut recueillir et reconstituer quelques fragments.<br />
Comme cette image de Xavier Lambours, panorama de chantier à la Défense, séparant deux boulevards. Les strates spatiales semblent se juxtaposer, et le contraste est saisissant entre la verticalité des tours longeant les périphériques et l'enfouissement dans les entrailles urbaines occasionnée par les travaux. Le paysage est dominé par une indifférence entre les trois parties de l'environnement pourtant structurellement imbriquées. La photo souligne des zones qui sont des écarts, fonctionnant de façon excessivement autonomes, tels que les endroits apparaissent visuellement. Zonage extrême de l'espace urbain. (...)<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-1_mIUTCvDtI/VgJ4pFAUdNI/AAAAAAAAA3o/ryhEeP-C5c4/s1600/X%2BLambours%2B%2BLa%2BDefense.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="130" src="http://4.bp.blogspot.com/-1_mIUTCvDtI/VgJ4pFAUdNI/AAAAAAAAA3o/ryhEeP-C5c4/s320/X%2BLambours%2B%2BLa%2BDefense.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Xavier Lambours, La Défense.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<br />
Ce "non-lieu" comme lieu de transit et transitoire (ainsi le définit Marc Augé) a sa propre force, son étrange attraction constituée par la désolation du site et la nudité infernale des signes plantés là, absurdes dans leur exposition froide, leur désaffection effective. Là encore je suis projeté dans un astre inconnu, car finalement inexploré, où l'ultime insignifiance ne constitue même pas une limite pensable.<br />
<br />
Alain Mons, <i>L'ombre de la ville</i>, Les éditions de la Vilette, 1994.<br />
<br />
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<br />
<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-87782800636207010702015-06-06T00:45:00.000-07:002015-06-06T00:45:03.405-07:00Fragmentation photographique<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<br />
Rubriques: <i>perception, vision et photographie; portrait photographique; montage photographique; photographie du XXième, photographie du XXième et contemporaine; art et photographie.</i><br />
<br />
<div class="MsoNormal">
« La vraie beauté
doit résister à tous les examens. Approchez-vous d’une femme qui de loin
paraît jolie : vous la verrez
s’écarter, chercher la pénombre propice à l’illusion ou raviver ses couleurs
artificielles (…). Heureuse celle qui ne redoute pas l’offensive d’un ennemi.
Tel est le cas de Miss France. La voici : son corps est souple, ses
membres fins. Elle est parfaite. Nous voici face à face. Ses traits sont purs.
L’opérateur tire sa loupe, arme terrible : Miss France sourit.
Approchez-vous encore, voici Miss France en détails. Oh ! la jolie
dissection. Cet œil n’est fait que pour contempler la génuflexion. Cette
oreille pour entendre chuchoter un madrigal; ce nez, dont l’imperfection
même est ravissante, n’est destiné qu’à respirer les pures essences des
fleurs; et ces lèvres, ah, ces lèvres… »</div>
<div class="MsoNormal">
Intitulé « Miss France vue à la loupe », ce texte
paraît en mars 1930 dans les colonnes du pricipal magazine français illustré de
l’époque, <i>Vu</i>, accompagné d’un étonnant montage de photographies : en
médaillon, deux vues face et profil de son visage : œil, bouche ouverte,
bouche fermée et une oreille, qu’entoure une main tenant une loupe. En accord
avec l’esprit du texte et le titre de la rubrique (« le Triomphe de la
femme), l’ensemble se présente comme un véritable blason photographique du
visage féminin, à la manière de ces poèmes médiévaux faisant l’éloge de parties
du corps aimé. Mais dans sa structuration éclatée, le photomontage propose dans
le même temps une expérience visuelle, en recomposant une surprenante
géographie faciale, surmontée d’un œil cyclopéen. Dans sa dimension tout à la
fois érotique et grotesque, la page n’a finalement rien à envier aux
photomontages surréalistes de la période.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
L’auteur de ces images signées n’est autre qu’André Kertész.
Ce dernier n’est toutefois probablement pas à l’origine du montage. Des
quelques clichés de commande réalisés pour l’occasion et qui alternent cadrages
classiques et point de vue plus rapprochés, un graphiste anonyme n’aura retenu
à la mise en page que des éléments de détail. Accentuant l’effet de
fragmentation, le résultat obtenu s’affirme dans le droit fil des jeux
graphiques de mise en page d’une certaine presse illustrée venue d’Allemagne,
qui, de la revue, <i>Uhu</i> à <st1:personname productid="la Berliner Illustrirte" w:st="on"><st1:personname productid="la Berliner" w:st="on">la<i> Berliner</i></st1:personname><i>
Illustrirte</i></st1:personname><i> Zeitung</i>, se fait abondamment l’écho à cette
période des audaces visuelles et formelles des avant-gardes photographiques
allemande et européenne. Dans leur volonté de rupture avec la grammaire
photographique du siècle précédent et de mise en place d’un langage visuel résolument contemporain, ces
dernières ont privilégié un vocabulaire et une syntaxe photographiques
nouveaux. Jouant sur tous les paramètres, optiques et chimiques, inhérents à
l’opération photographique, elles se sont efforcées de construire une<i> nouvelle
vision</i>, plus proche de la perception, heurtée, mécanique et constamment
mouvante, de l’individu moderne. Dans le domaine de la prise de vue, à l’instar notamment de la plongée et de la
contre-plongée, la fragmentation du motif photographié, par des jeux de découpe
liés au cadre ou par divers subterfuges optiques, constitue l’une des
principales figures de style de cette Nouvelle Vision.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le XXième siècle n’a toutefois pas inventé l’écriture
fragmentaire. Si celle-ci a fini par constituer un des traits distinctifs de
l’esthétique moderne, c’est tout au long du XIXième qu’elle s’est imposée,
en littérature comme dans les arts
plastiques, depuis l’esthétique littéraire romantique jusqu’au goût pour les
découvertes archéologiques. Méfiance ou lassitude grandissante à l’égard des
notions d’achèvement, d’harmonie ou d’équilibre ? Signe des temps, la fin
du XIXième voit éclore plusieurs systèmes d’analyse utilisant le détail
anatomique comme outil de connaissance du sujet. Le système d’identification
criminelle, le premier, fait appel à la méthode photographique et
anthropométrique mise au point par Alphonse Bertillon à <st1:personname productid="la Pr←f←cture" w:st="on">la Préfécture</st1:personname> de police de
Paris dans les années 1880. L’individu est envisagé comme une somme de signes
particuliers, de détails anatomiques caractéristiques, notamment l’oreille –
qui se révèle le facteur le plus important au point de vue de l’identification.
Presque au même moment, une méthode
analytique et scientifique d’attribution des œuvres est mise au point par
l’expert et historien d’art Giovanni Morelli,
à partir de tableaux de <st1:personname productid="la Renaissance. Indiff←rent" w:st="on"><st1:personname productid="la Renaissance." w:st="on">la Renaissance.</st1:personname>
Indifférent</st1:personname> à la
composition générale des tableaux qu’il étudiait, Morelli voyait, dans le
dessin de certains détails de l’anatomie des figures, notamment les mains et
les oreilles, la meilleure clé d’identification de leur auteur: la manière
dont le peintre peignait, le dessin des ongles, la position des doigts, le
contour des oreilles sont, à ses yeux, particulièrement caractéristiques du
style de l’artiste. A cet égard, ses ouvrages illustrés de dessins au trait de
lobes et de positions de mains, fragments de figures tirées principalement de
tableaux de <st1:personname productid="la Renaissance" w:st="on">la Renaissance</st1:personname>
italienne, évoquent tant les planches des traits anatomiques que les manuels
d’identification judiciaire de Bertillon de la même période.</div>
<div class="MsoNormal">
Cette prééminence désormais accordée au fragment secondaire
sur le tout organique retient fortement l’attention de Sigmund Freud, qui
emprunte à Morelli sa méthode lors de la rédaction, en 1914, de son étude du
<i>Moïse</i> de Michel Ange. A cette occasion, Freud souligne les analogies entre le
procédé de Morelli et la technique de la psychanalyse médicale. Dans un cas
comme dans l’autre, la forte « abstraction de l’effet d’ensemble »
est contrebalancée par une attention extrême désormais portée à l’accessoire – ce
que Freud nomme « la signification caractéristique de détails
secondaire ». Cet intérêt croissant pour les formes du fragment trahit un
scepticisme grandissant, au moment où le siècle prend fin, à l’égard d’un
certain positivisme totalisant.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Dans la construction d’un regard et d’une sensibilité
modernes, plus attentifs à l’esthétique fragmentaire, la photographie a bien
évidemment joué un rôle. La fragmentation du motif par la prise de vue
constitue une composante essentielle de l’acte photographique. Cette dimension
est évidente dès l’apparition du médium : pour l’un de ses premiers
critiques avisés, Eugène Delacroix, c’est bien cette opération de découpe du
réel qui distingue la vision du peintre du photographe – et, par voie de
conséquence, qui permet également de séparer ce qui est l’art de ce qui n’en
est pas. Le peintre crée par la composition, le photographe par le cadrage.
S’il y a bien, dans un cas comme dans l’autre, une sélection des objets
représentés, elle s’effectue de manière radicalement opposée: dans le
premier cas, par le rassemblement, sur la surface de la toile, d’éléments
divers, sélectionnés par l’imagination de l’artiste; dans le second, par l’exclusion
imposée par la nature de tout ce qui ne s’inscrit pas sur le verre dépoli de la
chambre photographique. En résulte ici un morceau extrait d’un tout, là une
totalité autonome. Dans l’un de ses albums, en date du 1<sup>er</sup> septembre
1889, Delacroix établit cette distinction et développe une réflexion sur la
photographie : « Le réaliste le plus obstiné est bien forcé
d’employer, pour rendre la nature, certaines conventions de composition ou
d’exécution. S’il est question de la composition, il ne peut prendre un morceau
isolé ou même une collection de morceaux pour en faire un tableau. Il faut bien circonscrire l’idée,
pour que l’esprit du spectacle ne flotte pas sur un tout préalablement découpé;
sans cela, il n’y aurait pas d’art. Quand un photographe prend une vue, vous ne
voyez jamais que la partie découpée d’un tout : le bord du tableau est
aussi intéressant que le centre ; vous ne pouvez que supposer un ensemble
dont vous ne voyez qu’une portion qui semble choisie au hasard. L’accessoire
est aussi capital que le principal ; le plus souvent, il se présente le
premier et offusque la vue ; Il faut faire plus de concessions à
l’infirmité de la reproduction dans un ouvrage photographié que dans un ouvrage
d’imagination. Les photographies qui saisissent davantage sont celles où
l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière absolue laisse
certaines lacunes, certain repos pour l’œil, qui lui permettent de ne se fixer
que sur un petit nombre d’objets. Si l’œil avait la perfection d’un verre
grossissant, la photographie serait insupportable. </div>
<div class="MsoNormal">
C’est cette « perfection du verre grossissant » que
les avant-gardes photographiques choisissent de mettre en avant à partir des
années 1920, en ouvrant l’une des voies les plus fécondes empruntées par la
technique. Dans une logique moderniste d’individualisation des techniques, il
importe de pleinement exploiter les
possibilités inhérentes au seul médium photographique : la capacité
de l’appareil à proposer une vision mécanique plus performante que l’organe
naturel devient vite, sous l’influence conjuguée des écrits de Dziga Vertov
pour le cinéma et Laszlo Moholy-Nagy pour la photographie, un lieu commun de la
littérature photographique d’avant-garde. La possibilité de focalisation sur
des points de détail, à la manière d’une lecture à la loupe ou même, au-delà au
microscope ou à la lunette, constitue, à leurs yeux, une des potentialités les
plus fécondes du médium.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Tout gros plan ne relève certes pas forcément d’une écriture
fragmentaire. A l’inverse, en photographie, l’écriture fragmentaire n’implique
pas nécessairement le recours au gros plan. Il existe d’autres modalités de
fragmentation : par des jeux optiques (à la prise de vue) et chimique (au
tirage), les surréalistes, de Raoul Ubac à Man Ray ou Brassaï, ont ainsi mis à
mal la figure humaine, redessinant du même coup une nouvelle cartographie anatomique,
tel un « sabotage de la réalité immédiate par les désirs » pour
reprendre les termes de Camille Bryen et Raoul Ubac en 1935. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-Fby9GwujtOQ/VXG-609CpSI/AAAAAAAAA0c/-mX9RFkY4cI/s1600/dia%2Bauch021.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-Fby9GwujtOQ/VXG-609CpSI/AAAAAAAAA0c/-mX9RFkY4cI/s1600/dia%2Bauch021.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Raoul Ubac, 1935.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-ghtLNaIOnqY/VXG_NIgVsmI/AAAAAAAAA0k/L3K2n-jRYrI/s1600/dia%2Bauch025.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-ghtLNaIOnqY/VXG_NIgVsmI/AAAAAAAAA0k/L3K2n-jRYrI/s1600/dia%2Bauch025.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Man Ray, Kiki de Montparnasse, 1924.</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-95A3x1HSFWc/VXG_dCFk6iI/AAAAAAAAA0s/Qx1BCaQiCLQ/s1600/une-c3a9preuve-argentique-du-nu-1934-de-brassa.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-95A3x1HSFWc/VXG_dCFk6iI/AAAAAAAAA0s/Qx1BCaQiCLQ/s1600/une-c3a9preuve-argentique-du-nu-1934-de-brassa.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Brassaï, Ciel postiche, 1932-1933.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-CvjJuTyJtRQ/VXHF0729B7I/AAAAAAAAA2c/XGlhqLzXq10/s1600/dia%2Bauch026.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-CvjJuTyJtRQ/VXHF0729B7I/AAAAAAAAA2c/XGlhqLzXq10/s1600/dia%2Bauch026.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Brassaï, Femme-mandoline, 1934.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le gros plan n’en
constitue cependant pas moins l’un des auxiliaires les plus fréquemment
employés et les plus féconds de l’écriture fragmentaire. Emprunté aux méthodes
scientifiques d’analyse et d’observation, de la médecine aux sciences
naturelles, il marque l’avènement d’un regard dénué d’affect sur les êtres et
les choses.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Transposé par les avant-gardes photographiques dans le
langage artistique, il modifie profondément les deux genres fondamentaux de la
saisie du modèle humain, le portrait et le nu. En 1931 en introduction à
l’ouvrage d’Helmar Lerski, Köpfe des Alltags, série de clichés de visages
d’anonymes photographiés de très près, le critique Curt Glaser relève la
neutralité de cette nouvelle approche : « Ces photographies ne
taisent ni n’ajoutent, non plus, qu’elles embellissent ni ne retouchent quoi
que ce soit. La lentille se rapproche tellement que les pores de la peau
apparaissent comme sou un verre grossissant, souvent la plus grande plaque ne
suffit pas à contenir toute la tête. Il faut sacrifier un bout du menton ou du
crâne. Mais si les yeux, la bouche et le nez, supports de l’expression, en
apparaissent alors plus fortement, ce renoncement, qui signifie en même temps
concentration, se justifie ». A la même époque, un autre critique allemand,
Willi Warstat, note à propos du nouveau portrait photographique que « la
capacité qu’a la photographie de représenter la surface des objets des ses moindres détails, d’enregistrer fidèlement
chaque pore de la peau, chaque ride, chaque poil était considérer autrefois
comme non artistique, de la mécanique. Aujourd’hui, cet effet de surface
apparaît comme un effet qui, purement photographique, est différent de notre
vision, et c’est justement à cause de cela qu’on le recherche et l’apprécie. »</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
A partir d’une expérience commune, celle de la loupe
grossissante, Glaser et Warstat tirent des conclusions diamétralement opposées
à elles de Delacroix. Pour les deux hommes, c’est bien la prodigieuse capacité
mécanique d’enregistrement de l’appareil qui fait de ce dernier un instrument
unique et contribue à renouveler l’art photographique. Dans la saisie du
visage, la focalisation sur tel ou tel détail implique donc le sacrifice de ce
qui caractérisait le portrait classique, à savoir l’expression. A celle-ci se
substitue, par l’opération de concentration du regard, une relation de l’ordre
symbolique plus que du descriptif : soit une métonymie photographique en
vertu de laquelle la partie vaut pour le tout. Cette écriture fragmentaire, qui
suppose la simplification symbolique du motif et de la composition, est très
utilisée dans la photographie d’illustration
et la publicité de l’entre-deux guerres,
commel’attestent les travaux de Laure Albin-Guillot. Une même pratique
métonymique anime la série <i>Particulars</i>, réalisées par David Goldblatt,
principalement dans les rues et les parcs de Johannesburg. Se souvenant de son
premier métier – tailleur - , le photographe y traque la signification des
vêtements (leur coupe, leur texture) comme des attitudes. Cette relation
métonymique peut également devenir inquiétante chez Lars Tunbjörk, voire
grotesque chez Andy Warhol. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-aIwT1Vrs3-A/VXG_9sgSDRI/AAAAAAAAA00/07rPCwsdcB8/s1600/dia%2Bauch027.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-aIwT1Vrs3-A/VXG_9sgSDRI/AAAAAAAAA00/07rPCwsdcB8/s1600/dia%2Bauch027.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">David Glodblatt, Woman on Bench, Johannesburg, 1972.<br />
<br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-qv7qtTEJtXk/VXHAcaOAgwI/AAAAAAAAA1A/fX-bIFsoyIA/s1600/dia%2Bauch034.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-qv7qtTEJtXk/VXHAcaOAgwI/AAAAAAAAA1A/fX-bIFsoyIA/s1600/dia%2Bauch034.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Andy Warhol, False Teeth, 1982-1983.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-nepGyoKFYx4/VXHA0DT_j3I/AAAAAAAAA1E/gTIlpntItjM/s1600/dia%2Bauch035.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-nepGyoKFYx4/VXHA0DT_j3I/AAAAAAAAA1E/gTIlpntItjM/s1600/dia%2Bauch035.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Lars Tunbjörk, Civic Administration, Tokyo, 1996.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le gros plan fragmentaire induit souvent une nouvelle
distance, d’extrême proximité, entre modèle et opérateur. Ce dernier se
rapproche de manière tout à fait inédite – curieuse, violente ou amoureuse,
jusqu’à la transgression – de l’espace intime de son sujet, rompant ainsi avec
les conventions du portrait, et même du nu, alors en vigueur. A cet égard, les
gos plans de Maurice Tabard, Roger Parry, André Steiner, Aurel Bauh, comme,
plus tard, ceux de Dieter Appelt, John Coplans ou Sophie Ristelhueber,
transcendent le genre du portrait :
les approches psychologique ou sociale en sont bannies au profit d’une
« étude de surface », pour reprendre les termes de Warstat. Le visage
y est saisi dans toute sa matérialité, aboutissant à une objectivation de
l’individu, finalement conforme au modèle scientifique qui sous-entend le gros plan.
Ainsi, le motif de l’œil isolé devient lieu commun de la photographie
d’avant-garde dans l’entre-deux guerres. La photographie d’œil s’inscrit en
rupture volontaire avec l’esthétique traditionnelle du portrait – qui insiste
sur le regard comme expression de l’humanité du modèle - , car elle renvoie à
la seule réalité biologique de l’organe de la vue.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-vqfkORe7cO4/VXHBNjk5CnI/AAAAAAAAA1M/keoYij9A4sQ/s1600/dia%2Bauch020.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-vqfkORe7cO4/VXHBNjk5CnI/AAAAAAAAA1M/keoYij9A4sQ/s1600/dia%2Bauch020.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">MauriceTabard, Portrait de Roger Parry, 1928.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<o:p> <table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-IRVGMZRQk8k/VXHBhCdrnVI/AAAAAAAAA1U/-WwkXZn_xWc/s1600/dia%2Bauch018.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-IRVGMZRQk8k/VXHBhCdrnVI/AAAAAAAAA1U/-WwkXZn_xWc/s1600/dia%2Bauch018.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Roger Parry, Agnès Capri, 1929.</td></tr>
</tbody></table>
</o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-aDZFkkNkmKs/VXHB3Q7sE-I/AAAAAAAAA1c/82mFs94uWC8/s1600/dia%2Bauch023.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-aDZFkkNkmKs/VXHB3Q7sE-I/AAAAAAAAA1c/82mFs94uWC8/s1600/dia%2Bauch023.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Aurel Bauh, Mains, 1929.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-FQHczkQV2Uc/VXHCMu8uEPI/AAAAAAAAA1k/QOKTJRwIf4A/s1600/dia%2Bauch030.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="194" src="http://1.bp.blogspot.com/-FQHczkQV2Uc/VXHCMu8uEPI/AAAAAAAAA1k/QOKTJRwIf4A/s320/dia%2Bauch030.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">John Coplans, Self Portrait, 1990.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-OOVAxo8viWw/VXHCrkgsDZI/AAAAAAAAA1s/-SWa28EFrtw/s1600/dia%2Bauch028.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-OOVAxo8viWw/VXHCrkgsDZI/AAAAAAAAA1s/-SWa28EFrtw/s1600/dia%2Bauch028.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sophie Ristelhueber, Every one, 1994.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
La célèbre « Gros orteil » de Jacques-André
Boiffard illustre mieux encore cette nouvelle approche. Le modèle médical et
anatomique y est clairement revendiqué, jusque dans le titre <i>(Gros orteil,
sujet masculin, 30 ans</i>) sous lequel
l’image est publiée en 1929 dans la
revue de Georges Bataille et Carl Einstein, <i>Documents</i>. La reproduction en
pleine page comme le dispositif du gros plan tendent à transcender la
représentation pour accentuer la présence du motif et, par delà la perception
visuelle, essayer de susciter chez le lecteur la mémoire d’autres sensations,
liées au toucher, voire à l’odorat – sens plus directement impliqués dans la
perception du dégoût. Ce faisant, le gros plan fragmentaire de la personne
humaine, dans sa double dimension d’isolement d’une totalité et d’insistance
sur la matérialité de l’objet photographié, semble dans bien des cas redoubler
une perception presque pathologique de la réalité : un fétichisme
photographique – que ce dernier s’applique à certaines parties du corps (pieds,
mains, cheveux) ou à certains vêtements ou étoffes. On retrouve une telle
approche, aujourd’hui, avec des sensibilités et des tonalités différentes, chez
Pierre Molinier, Andy Warhol, Agnès Bonnot, Tom Sandberg. Cette dimension pathologique est également présente chez Annette Messager pour laquelle la
photographie « implique un rapport voyeuriste et d’une certaine manière
sadique au modèle ». Comme dans nombre des travaux cités, les
photographies de<i> Mes Vœux</i>, simples détails anatomiques de corps masculins et
féminins, déjouent la notion d’exposition pour réintroduire une valeur presque
culturelle, à la manière de la pratique des ex-voto.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-R7m7Z31QFyk/VXHDrHHTPfI/AAAAAAAAA10/R6t4qmvot9A/s1600/dia%2Bauch022.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-R7m7Z31QFyk/VXHDrHHTPfI/AAAAAAAAA10/R6t4qmvot9A/s1600/dia%2Bauch022.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Jacques-André Boiffard, Gros orteil, sujet masculin, 30 ans, 1929.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-qNk3NWlAv54/VXHEFxlvA1I/AAAAAAAAA18/UO9MYIjtLIc/s1600/dia%2Bauch033.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-qNk3NWlAv54/VXHEFxlvA1I/AAAAAAAAA18/UO9MYIjtLIc/s1600/dia%2Bauch033.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Pierre Molinier, Mes jambes, 1967.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-vQ2qAtyLYWo/VXHEfZm6kXI/AAAAAAAAA2E/Lm79g8_j5PE/s1600/dia%2Bauch032.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-vQ2qAtyLYWo/VXHEfZm6kXI/AAAAAAAAA2E/Lm79g8_j5PE/s1600/dia%2Bauch032.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Agnès Bonnot, Sans titre, 1982.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-8OJPETxFwg8/VXHE2mZyEsI/AAAAAAAAA2M/Ob1XoxR2kAI/s1600/dia%2Bauch024.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-8OJPETxFwg8/VXHE2mZyEsI/AAAAAAAAA2M/Ob1XoxR2kAI/s1600/dia%2Bauch024.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Tom Sandberg, Sans titre, 1981.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-NtKQPgRY97c/VXHFb5Xd04I/AAAAAAAAA2U/Erm9C-9qONU/s1600/dia%2Bauch029.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-NtKQPgRY97c/VXHFb5Xd04I/AAAAAAAAA2U/Erm9C-9qONU/s1600/dia%2Bauch029.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Annette Messager, Mes voeux, 1989.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Mais la focalisation sur le fragment anatomique peut
également induire une profonde métamorphose du motif, à l’exemple de
l’expérience de la « paranoïa critique » chère à Dali, selon laquelle
le sujet s’empare de manière obsédante d’un objet du monde extérieur jusqu’à
parvenir, par ce biais, à une modification totale ou partielle de la réalité.
La relation métonymique du fragment – la partie signifiant le tout – se trouve
alors perturbée par une autre relation qui est de l’ordre de la métaphore, un
transfert de sens par substitution – la partie signifie alors autre chose que
le tout dont elle est issue. La perte d’échelle provoquée par la focalisation
induit pur le lecteur-spectateur une modification complète des repères
traditionnels. Le détail du corps s’y déshumanise jusqu’à atteindre un autre
état – minéra, végétal. Sous le titre <i>Das Gesicht als Landschaft </i>(le visage
comme paysage), la revue <i>Uhu</i> présente ainsi en févier 1929 des vues rapprochées
de visages : le nez y devient montagne, les cheveux, cours d’eau, la
bouche cratère. Cette idée du corps paysage se retrouve dans nombre de nus de
Brassaï au milieu des années 1930.</div>
<div class="MsoNormal">
L’opération de métamorphose du détail anatomique est rendue
encore plus efficace par l’agrandissement. Leplus grand que nature conduit
alors à une double perte de repères, comme celle àl ‘œuvre dans la série <i>Every
one</i> de Sophie Ristelhueber, photopraphies de grandes dimensions de détails de
corps suturés après opération : « J’avais choisi exprès cette grande
taille pour qu’on hésite à reconnaître là une matière humaine. Le visage qui
est dans la collection du Cente Pompidou est tellement grand qu’on le regarde
d’abord comme une montagne, un rocher, puis on se dit : « Mais non,
c’est une tête. (…) Pour moi, le corps et les territoires, c’était la même
chose. Je n’aii pars eu l’impression de faire des portraits quand je
photographiais les corps. »<br />
<br />
Quentin Bajac, <i>Le corps en éclats</i>,Editions du Centre Pompidou, 2011.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<br />
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-80342885486437908642015-05-12T12:15:00.003-07:002015-05-12T12:18:46.082-07:00Robert Mapplethorpe<!--[if gte mso 9]><xml>
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<br />
<div class="MsoNormal">
Rubriques: <i>art et photographie; photographie du XXième siècle et contemporaine; portrait photographique; psychologie du photographe</i></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Dans son entretien avec Janet Kardon en 1987, Robert
Mapplethorpe explique que la photographie dans les années 1970 était le
« médium parfait » pour un artiste plongé dans une « époque où
tout allait vite ». Mapplethorpe ne voulait pas être photographe ; c’est
la photographie qui l’a choisi. Dans le même entretien, il confirme :
« Si j’étais né il y a deux cent ans, j’aurais été sans doute sculpteur,
mais la photographie est une façon rapide de regarder, de créer une sculpture.
Lisa Lyon me rappelle les modèles de Michel Ange, qui a sculpté des femmes
musclées. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-SD8zWRrX2MY/VVID819cBjI/AAAAAAAAAwY/7s8xj1ESzCg/s1600/327035.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-SD8zWRrX2MY/VVID819cBjI/AAAAAAAAAwY/7s8xj1ESzCg/s1600/327035.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, portrait de Lisa Lyon, 1980.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Mapplethorpe se positionne dès<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>l’orée de sa carrière en Artiste avec un A capitale, héraut autoproclamé
d’un idéalisme classique revu et corrigé dans le New York libertaire les
seventies. A l’opposé d’un Helmut Newton qui voulait être photographe de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>mode dès son adolescence et a transcendé cet
art appliqué pour en faire un art à<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>part
entière en imposant sa vision du monde et de la<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>photographie, Mapplethorpe est d’abord sculpteur dans l’âme et dans l’imagination.
Voilà pourquoi il n’a de cesse de répéter : « Je veux que les gens
voient mes œuvres d’abord comme de l’art, ensuite comme de la
photographie ». Tout au long de son œuvre photographique, Mapplethorpe,
qui a commencé par produire des dessins et des collages, crée, comme une
scansion, plus de trois cents pièces uniques, sculptures de techniques variées,
compositions mixtes, installations (paravent, autel…), (…). Parallèlement à un
travail inégalé dans la photo argentique, le photographe explore dans ses images
les techniques de tirage photographique les plus raffinées, du tirage platine
au <i>dye transfe</i>r, sélectionne cent seize œuvres pour les agrandir en
« oversized » (80x80 ou 80x120), travaille des encadrements
particuliers, toujours à la recherche d’un objet plastique parfait. Robert
Mapplethorpe est d’abord un plasticien obsédé par une quête esthétique de la
perfection. « Je cherche la perfection dans la forme. Dans les portraits.
Avec les sexes. Avec les fleurs. »<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-mXwqKfnxAE4/VVIFD_mah6I/AAAAAAAAAwg/FyzxVcBtNRA/s1600/327039.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-mXwqKfnxAE4/VVIFD_mah6I/AAAAAAAAAwg/FyzxVcBtNRA/s1600/327039.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Calla Lily, 1988.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<div class="MsoNormal">
Le photographe persiste et signe dans
chaque entretien : « En fait je suis obsédé par la beauté. Je veux
que tout soit parfait ». Dans <i>la chambre claire</i>, Roland Barthes
caractérise le génie de Mapplethorpe par son don de saisir « le bon
moment ». <i>The perfect moment</i>, c’est le titre d’une de ses premières
rétrospectives muséales, en 1988,à l’Institute of Contemporary Art de
Philadelphie, exposition qui circule en 1989-1990 dans une dizaine de villes
américaines.</div>
<div class="MsoNormal">
(…)<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-LsrD0uVjJq4/VVIGiC2efGI/AAAAAAAAAws/k2dqJAFFijk/s1600/images.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-LsrD0uVjJq4/VVIGiC2efGI/AAAAAAAAAws/k2dqJAFFijk/s1600/images.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Self-Portrait, 1988.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
L’autoportrait fantomatique et royal « à la tête de
mort » de 1988 coïncide avec une période où la photographie de statuaire
est très présente dans son travail. On retrouve les images des statues des
divinités de son panthéon personnel : Eros, bien sûr, Lucifer,
inéluctablement, Hermès, Mercure… L’artiste l’a toujours dit, il a utilisé la
photographie pour faire de la sculpture, et il termine son œuvre par des
photographies de sculptures. Une statuaire qui en fait a commencé dès le début
de l’œuvre de Mapplethorpe, que l’on retrouve dans les polaroïds des années
1970, et dans la pièce unique <i style="mso-bidi-font-style: normal;">The Slave</i>
(1974), hommage à l’Esclave mourant de Michel-Ange sa référence ultime. Pour
signer cette filiation, le photographe inscrit le nom de Mapplethorpe sous la
photographie de la sculpture trouvée dans un livre ouvert qu’il encadre avec un
couteau – l’outil pour découper les pages et l’arme du mauvais garçon.
Michel-Ange magnifie la beauté masculine comme une ode à la création divine, se
souvenant des statues gréco-romaines comme les canons de la beauté
platonicienne.</div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-PrhCPTQVYhA/VVIG0h6iioI/AAAAAAAAAw0/oCKCngv77TI/s1600/327027.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-PrhCPTQVYhA/VVIG0h6iioI/AAAAAAAAAw0/oCKCngv77TI/s1600/327027.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, The Slave, 1974.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-ail4hl03kIo/VVIHEfy588I/AAAAAAAAAw8/qP4Q6uFgB6k/s1600/327028.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-ail4hl03kIo/VVIHEfy588I/AAAAAAAAAw8/qP4Q6uFgB6k/s1600/327028.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Michel-Ange, L'Escalve mourant, détail, 1513-1514.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
La première provocation de Mapplethorpe est de photographier ses
modèles nus et ses amants noirs avec l’idéalisme de Michel-Ange et de les
revendiquer ainsi comme les canons de la beauté 1980. Où Mapplethorpe rejoint
en photographie la démarche en littérature de Jean Genet, un de ses auteurs
d’élection, qui entendait décrire les réalités les plus viles avec les mots de
Ronsard.</div>
<div class="MsoNormal">
A l’instar des sculptures de Michel-Ange, et comme les
textes de Jean Genet, les photographies de Mapplethorpe sont habitées par la
question du corps. Du corps et de sa sexualité. Ses nus sont des sculptures
photographiques : les corps dansés des Afro-américains, ses modèles
d’élection, dont il loue la beauté plastique et compare le teint de peau à du
bronze ; les corps sculptés, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">bodybuildés,
</i>de Lisa Lyon ; les corps attachés, défoncés, châtiés de ses
partenaires de jeux sadomasochistes. (…)<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-9dXlpAdrkco/VVIHo9uBczI/AAAAAAAAAxE/fjwRkup8zOE/s1600/327041.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-9dXlpAdrkco/VVIHo9uBczI/AAAAAAAAAxE/fjwRkup8zOE/s1600/327041.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Thomas, 1987.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-ew6nwXa6CgE/VVIhE-c8OhI/AAAAAAAAAys/WkmTa9Mdd_w/s1600/048.-1729_Thomas_1987_300dpi-1005x1024.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="http://3.bp.blogspot.com/-ew6nwXa6CgE/VVIhE-c8OhI/AAAAAAAAAys/WkmTa9Mdd_w/s320/048.-1729_Thomas_1987_300dpi-1005x1024.jpg" width="314" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Thomas, 1987.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Ses portraits cherchent aussi la
sculpture, souvent découpés comme des bustes : « J’aime beaucoup
photographier les têtes des gens. Je les conçois comme mes torses. Je les considère
comme de vraies sculptures », explique-t-il. Comme dans la sculpture classique,
le photographe agit en anatomiste, explore tout le spectre des mouvements du
corps, décline des poses en série, à la recherche de ce « moment
parfait ». La série chorégraphique où l’on voit Milton Moore sur la plage
développer une succession de mouvements dans la même pose éclaire sur son
processus créatif. Tout est corps dans ces images, pas seulement les nus et les
portraits, les sexes et autres détails anatomiques, mais aussi les fleurs et
les natures mortes, explicitement organiques. </div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-V-ozm-J5VgI/VVILUSxUgGI/AAAAAAAAAxk/A0VAIyhVy_U/s1600/327042.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-V-ozm-J5VgI/VVILUSxUgGI/AAAAAAAAAxk/A0VAIyhVy_U/s1600/327042.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Milton Moore, 1981.</td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Aussi Mapplethorpe, dans ses
expositions de son vivant, accroche-t-il déjà ensemble les uns avec les autres.
« Quand j’ai exposé mes photographies, particulièrement à la galerie Robert
Miller, j’ai essayé de juxtaposer une fleur, puis une photo de bite, puis un
portrait, de façon qu’on puisse voir qu’il s’agit de la même
chose . » Car pour lui, le sexe est partout ; tout est sexuel
dans la vie et dans les choses. Un pénis ou une fleur, « c’est la même
chose ». (…)</div>
<div class="MsoNormal">
« Le sexe est magique. Si vous le canalisez bien, il y
a plus d’énergie dans le sexe que dans l’art » disait Mapplethorpe.
Profession de foi dionysiaque. Pour l’amoureux des paradis artificiels qu’il
est, le sexe est comme une drogue, une drogue de plus en plus dure pour faire
subsister au maximum l’effet de complétude initial chaque fois repoussé d’un
cran. Une drogue dont il tire énergie et inspiration. Le sexe comme mode de
vie. Mais aussi le sexe mortifère, marqué par les images récurrentes de sexes
comparés, associés à des révolvers ; le sexe qui tue R. Mapplethorpe, mort
du sida à l’âge de quarante-deux ans. « La photographie est la sexualité
sont comparables, explique-t-il. Elles sont toutes deux inconnues. Et c’est
cela qui m’excite le plus. » Le photographe est aussi célèbre pour ses
œuvres que pour ses frasques sexuelles qu’il a médiatisées en les utilisant
comme source de création. On peut même dire que son œuvre est en ce sens
l’exploration parallèle de deux domaines. « Je travaille dans une
tradition<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>artistique. Pour moi, le sexe
est une des plus nobles pratiques artistiques », ironise le photographe. A
propos de sa chérie légendaire sur les amours SM, il explique encore que « dans
le sadomasochisme, la plupart des hommes étaient fiers de ce qu’ils faisaient.
Il s’agissait de donner du plaisir à un autre. Il n’était pas question de faire
mal. C’était une sorte d’art. Les photos SM du portfolio X (1978), notamment,
exposent un corps tantôt comédien (panoplies de cuir), tantôt martyr (corps
humilié, violenté).<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-J6muTKfjlJ8/VVIMDdWUnCI/AAAAAAAAAxs/QyyupQokT78/s1600/327038.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-J6muTKfjlJ8/VVIMDdWUnCI/AAAAAAAAAxs/QyyupQokT78/s1600/327038.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Snakeman, 1981.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
Le Diable et le Bon Dieu. Dans cette œuvre parsemée de
crucifix et de vanités, comme l’était son appartement, on trouve de façon
récurrente un détournement de l’iconographie chrétienne, du Jack Walls en croix
(1983) aux autoportraits tantôt christiques, tantôt satanique.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
La photographie
de Mapplethorpe traite la question de la sexualité en croisant plusieurs
cultures et mythologies, dont la philosophie tantrique et de grands référents
de l’histoire de l’art en la matière. Ainsi retrouve-t-on <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le supplice de Marsyas</i> du Titien (1576) dans le supplice SM de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dominick and Elliot</i>, qui permet
d’éclairer la dimension sacrificielle qui l’intéresse dans les jeux
sadomasochistes ;<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-UQANPQOPznI/VVIM3aVY7mI/AAAAAAAAAx0/8hFanzeVHx4/s1600/327029.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-UQANPQOPznI/VVIM3aVY7mI/AAAAAAAAAx0/8hFanzeVHx4/s1600/327029.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Titien, Le supplice de Marsyas, 1576, huile sur toile.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-ufDUo7c8UJI/VVIOD9zQ7II/AAAAAAAAAyA/lt7NET7DO7k/s1600/327043.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-ufDUo7c8UJI/VVIOD9zQ7II/AAAAAAAAAyA/lt7NET7DO7k/s1600/327043.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Dominick and Elliot, 1979.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
ou dans ses fleurs ambigües, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le Grand Masturbateur</i> (1929) de Dali que l’on peut retrouver dans
la série des Ajitto, vient sans doute via l’influence de deux autres
photographies qui ont pu inspirer Mapplethorpe : le Male Nude Seated
(1900) du baron Wilhelm Von Gloeden (…) et le portrait de Clarence William
(1978) de George Dureau, qui reprend le thème à son tour. (…) L’œuvre de
Dureau, photographe contemporain de Mapplethorpe (…) est une référence plus
prégnante. Les nus noirs de Dureau précèdent et annoncent ceux de
Mapplethorpe ; le portrait de Clarence William (1978) devance de trois ans
celui d’Ajitto (1981). Pourtant les styles des deux artistes sont
antinomiques ; « Vos photos sont érotiques, celle de Robert ne le
sont pas » disait Sam Wagstaff à Dureau. (…) « Il y avait une froideur
dans son travail, peut-être par ce que Robert était froid, ou parce que son
public l’était.» Plastiquement parlant la photographie de Mapplethorpe
puise en effet davantage dans l’imaginaire très esthétisant de George Platte
Lynes, sans doute le photographe le plus influent dans la conception de son
style. Le portrait que fait Lynes de Jose Martinez (1937) dans l’encadrement de
la fenêtre appelle plusieurs images similaires chez Mapplethorpe, en termes
esthétiques – lumière perfectionniste, jeu de la géométrie, l’humour camp.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-oHC1eKlb-7M/VVJOC4Fca4I/AAAAAAAAAzk/2UHA4A0lTtg/s1600/327044.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-oHC1eKlb-7M/VVJOC4Fca4I/AAAAAAAAAzk/2UHA4A0lTtg/s1600/327044.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Baron Wilhelm von Gloeden, Caïn, vers 1900.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-HKY7F-uHAR8/VVIPL1_hPoI/AAAAAAAAAyI/w5kO4Pn8c0g/s1600/327032.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-HKY7F-uHAR8/VVIPL1_hPoI/AAAAAAAAAyI/w5kO4Pn8c0g/s1600/327032.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">George Dureau, Clarence William, 1978.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-GEYxo8vsx1A/VVIP30P1E_I/AAAAAAAAAyQ/PD6qtLFR7G0/s1600/327030.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-GEYxo8vsx1A/VVIP30P1E_I/AAAAAAAAAyQ/PD6qtLFR7G0/s1600/327030.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">George Platt-Lynes, Jose Martinez, 1937.<br />
<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-rv5VUckU4L4/VVJObX4Bm2I/AAAAAAAAAzs/9-M4F1CUYf4/s1600/327046.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-rv5VUckU4L4/VVJObX4Bm2I/AAAAAAAAAzs/9-M4F1CUYf4/s1600/327046.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Ajitto, 1981.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-cbQJHbUrx20/VVJO5z1BWNI/AAAAAAAAAz0/ozYM7vaCEJ0/s1600/327045.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="http://4.bp.blogspot.com/-cbQJHbUrx20/VVJO5z1BWNI/AAAAAAAAAz0/ozYM7vaCEJ0/s320/327045.jpg" width="258" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Ajitto, 1981.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
L’œuvre
de Mapplethorpe s’inscrit nécessairement dans une histoire de l’esthétique
homo-érotique où l’on retrouve en photographie Herbert List, qui lui aussi a
revisité l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Esclave mourant</i> de Michel
Ange, et en peinture classique le Caravage. Caravage, peintre de madones (comme
les portraits de Patti Smith en 1987-88) et de martyrs, de flagellation…. Le
<i>bad boy</i> de Milan, qui gardait son poignard même au lit, était aussi ambitieux
que celui de New York. Violence et passion ; décadence et beauté ; parfum
de scandale ; Mapplethorpe meurt exactement au même âge que le Caravage.
Dans les derniers autoportraits de Mapplethorpe, on croit voir <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le Jeune Bacchus malade</i> (1593). (…)</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-tRCVpARiiB0/VVIeESDr_xI/AAAAAAAAAyg/jwqwR7-tg9Q/s1600/327031.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-tRCVpARiiB0/VVIeESDr_xI/AAAAAAAAAyg/jwqwR7-tg9Q/s1600/327031.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Caravage, Le Jeune Bacchus malade, 1593.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Enfin, c’est avec Man Ray que Mapplethorpe partage
l’exploration du corps. Leurs correspondances ont été beaucoup étudiées et ont
notamment fait l’objet d’une exposition<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>à la
Fondazione Marconi en 2010. Similarité entre nombre
d’exemples, des images des cops sanglés de Lisa Lyon (1984) et de la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Woman</i><i style="mso-bidi-font-style: normal;"> in bondage</i> de Ray (1928) ; des
anneaux qui auréolent les corps de Dennis Speight (1983) ou d’Ady nus aux
cerceaux (1937). (…) Dans le sillage de Man Ray, Mapplethorpe veut être
« créateur d’images » plus que photographe, « poète » plus
que documentariste. (…)<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Bruno Cora
rappelle le parallélisme des vies qui croise celui de leurs œuvres :
« Avant de devenir des maîtres de la photographie, Man Ray et
Mapplethorpe ont tous les deux été peintres et sculpteurs, créateurs d’objets.
Ils ont tous deux vécu à Brooklyn et New York ; ils ont tous deux réalisé
des portraits d’intellectuels de leur temps ; et ils ont été des
explorateurs incisifs de la forme nue, de ses qualités sculpturales et de
l’énergie qui en ressortait. »<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-6zdNT9Ho9ss/VVIiwryS6JI/AAAAAAAAAy8/CdkNfr_3Yio/s1600/man%2Bray%2Bwoman%2Bin%2Bbondage%2B1928%2BA48.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="http://1.bp.blogspot.com/-6zdNT9Ho9ss/VVIiwryS6JI/AAAAAAAAAy8/CdkNfr_3Yio/s320/man%2Bray%2Bwoman%2Bin%2Bbondage%2B1928%2BA48.jpg" width="183" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Man Ray, woman in bondage, 1928- 1929.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-LVjDlCZWV18/VVIi_glJyUI/AAAAAAAAAzE/8v07SYbzj70/s1600/3man%2Bray%2Bwoman%2Bin%2Bbondage%2B1930.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="http://1.bp.blogspot.com/-LVjDlCZWV18/VVIi_glJyUI/AAAAAAAAAzE/8v07SYbzj70/s320/3man%2Bray%2Bwoman%2Bin%2Bbondage%2B1930.jpg" width="198" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Man Ray, woman in bondage, 1930.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-C0q0bywQL6E/VVIjKGtuidI/AAAAAAAAAzM/Kv8Kiorbr78/s1600/618_LisaLyon_1981_300dpi%2B%2B1981.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="http://1.bp.blogspot.com/-C0q0bywQL6E/VVIjKGtuidI/AAAAAAAAAzM/Kv8Kiorbr78/s320/618_LisaLyon_1981_300dpi%2B%2B1981.jpg" width="315" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, Lysa Lyon, 1981.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Si l’on retient les critères d’analyse de Roland Barthes
dans la Chambre
claire, on doit dire que la photographie de Mapplethorpe se joue souvent à la
frontière entre l’érotisme (le sexe hors cadre pour mieux le deviner) et la
pornographie (le sexe plein cadre). Barthes adore une photo sublimement érotique
comme l’autoportrait au bras étendu où « l’image lance le désir au-delà de
ce qu’elle donne à voir » et « incarne une sorte d’érotisme
allègre », et Mapplethorpe lui offre par ses images de sexe une œuvre qui
lui permet de reconnaître et de typologiser le désir. « La photo m’induit
à distinguer le désir lourd, celui de la pornographie, du désir bon, celui de
l’érotisme », écrit Barthes. Pourtant, aux yeux de Barthes même dans
ses<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>images hard, Mapplethorpe échappe a
piège de platitude homogène de l’image pornographique :
« Mapplethorpe fait passer ses gros plans de sexe du pornographique à
l’érotique, en photographiant de très près les mailles du slip : la photo
n’est plus unaire, puisque je m’intéresse au grain du tissu. » Il n’en
reste pas moins que l’œuvre de Mapplethorpe est d’avoir exploré, jusque dans
ses limites les plus extrêmes, la photographie du corps et du désir du corps,
comme peut-être aucun artiste avant lui. Qu’est-ce qu’un corps désire ?
Sans doute d’abord, pour reprendre les mots de Roland Barthes, les images de
Mapplethorpe, c’est certainement souvent celui du photographe, mais c’est aussi
plus largement, le désir dans un certain New York des années 1970-1980.
« Je suis venu à la photographie car cela semblait le médium idéal pour
raconter la folie d’aujourd’hui. J’essaie d’enregistrer le moment dans lequel
je vis, qui s’avère être à NY. J’essaie de capter cette folie et d’y mettre u
peu d’ordre. Ces images n’auraient pas pu être faites à une autre époque. On ne
crée pas n’importe quelle œuvre n’importe où et n’importe quand. Pour apprécier
justement son art, il faut aussi le replacer dans le contexte socioculturel du
New York <i style="mso-bidi-font-style: normal;">arty</i> des années 1970-80,
d’une part, et de la culture de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">l’underground
gay</i> de ce même espace-temps. Deux univers perméables, en plein
bouillonnement, et aussi radicaux l’un que l’autre. (…)<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-ag3PToi9vvY/VVIjhZUGXNI/AAAAAAAAAzU/m5Ng-NRLyHc/s1600/327036.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-ag3PToi9vvY/VVIjhZUGXNI/AAAAAAAAAzU/m5Ng-NRLyHc/s1600/327036.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, autoportrait, 1975.</td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
Mapplethorpe est aussi l’enfant torturé d’une société ultra
puritaine qui bouscule les totems et les tabous aux prix d’une profonde
culpabilité. Agent provocateur, dans la lignée de Sade, il interpelle délibérément
la Loi dans le
choc de certaines<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de ses images. Le
photographe assume cette<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>position
socialement diabolique, se mettant lui-même en scène avec des cornes
luciférienne. L’exploration – et la libération- du corps et de la sexualité
dans cette Amérique pudibonde ne peut passer que par une violence faite à
soi-même. « L’amour des jouissances brutales, les préoccupations d’argent,
les intérêts mesquins, ont collé sur la plupart des faces de nos contemporains
un masque sinistre où l’instinct de la perversité, dont parle Edgar Poe, se
lit en lettres majuscules; tout cela me semble amusant et assez
caractérisé pour que les artistes de bonne volonté tâchent de rendre la
physionomie de leur temps. » Cette déclaration de Félicien Rops, maître du
satanisme au XIX siècle, dont l’atmosphère des œuvres plane souvent chez
Mapplethorpe – qui n’hésite pas à s’enfoncer un fouet dans l’anus - , pourrait
aussi caractériser l’œuvre du photographe qui a rendu compte de son temps en en
dévoilant le véritable corps. Dans son <i>Eloge du sujet</i>, le philosophe Bernard
Sichère rappelle « l’évidence philosophique selon laquelle toute pensée se
produit à partir et dans la mesure d’un corps » ; que cette évidence
a pour corollaire le fait que « c’est du jeu des corps qu’il convient de partir,
un jeu d’emblée social et commandé par les codes d’une culture ». Avant
d’être face à une subjectivité, on est confronté à un corps. Ou comme le dit
encore Bernard Sichère ; « Non pas un représenter de la conscience <span style="mso-spacerun: yes;"> </span>mais un habiter du corps en lequel se jouent,
si l’on y songe, le rapport aux autres et le rapport à la nature
entière. » La photographie de Mapplethorpe parle de son monde et de son
imaginaire à partir des corps, en habitant des corps.</div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-hOqRpcmhWis/VVJPhNlMBlI/AAAAAAAAAz8/pFgborBIf2I/s1600/327033.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-hOqRpcmhWis/VVJPhNlMBlI/AAAAAAAAAz8/pFgborBIf2I/s1600/327033.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Félicien Rops, Le calvaire, aquarelle, 1882.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-CcU7Ln1tD6w/VVJPxiBfv6I/AAAAAAAAA0E/OVx9zu_2Kok/s1600/327034.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-CcU7Ln1tD6w/VVJPxiBfv6I/AAAAAAAAA0E/OVx9zu_2Kok/s1600/327034.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, autoportrait, 1985.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Jérôme Neutres, in <i>Robert Mapplethorpe</i>, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2014.</div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-3427004906393302422015-04-24T00:29:00.000-07:002015-04-24T00:29:09.407-07:00Usages sans usure<br />
Rubriques: <i>photographie analogique et numérique; société et photographie</i>, <i>économie et photographie</i><br />
<br />
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<br />
<div class="MsoNormal">
Les mutations des pratiques et des usages culturels
affectent évidemment l’ensemble des activités humaines. En particulier, les
images ont non seulement envahi les espaces publics comme privés, mais elles
les ont transformés en même temps qu’elles se sont transformées. Nouvelles
symboliques, nouvelles représentations, les enjeux de pouvoir semblent
dépassés, car il n’est plus question de crédibilité ou bien de limitation
d’accès et, en même temps, il n’y a plus prééminence de l’image comme il y eut
celle du verbe. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
L’image est omniprésente dans une économie nouvelle de la
connaissance, elle n’est plus support d’information, car elle est information.
Le pixel détruit le miroir et permet les transformations, des créations, des
inventions. Et surtout, les images photographiques ne sont plus crédibles. Les
photos sont « chopées » explique Claire Guillot,</div>
<div class="MsoNormal">
« la toile regorge ainsi de fausses photos que les
internautes font circuler comme des blagues (…) dans cette atmosphère de doute
généralisé, les médias traditionnels ont du mal à convaincre de leur
probité ».</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le lecteur ne s’y retrouverait donc plus, d’autant plus
qu’il est désormais capable de retoucher les images et que « l’explosion
de la photo amateur et des<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>sites de
partage d’images a offert aux médias de nouvelles sources d’information (…),
mais elle a aussi mis à leur disposition des millions d’images à l’origine
douteuse ».</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Les photojournalistes se défendent de truquer, comme les
reporters se défendent d’inventer des interviews… La problématique serait donc
la même : L’image comme le texte sont susceptibles de manipulations, de
trucages ? Sans aucun doute, et depuis très longtemps pour le texte alors
pourquoi en serait-il autrement pour l’image.</div>
<div class="MsoNormal">
La question est certainement mal posée. La double omniprésence
du texte et de l’image impose une requalification du problème. Il en est
peut-être des statistiques, des chiffres, comme de l’image, le chiffre n’est
utilisable qu’avec l’explication de ses modalités de création. Il en est de
même<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>pour l’image : truquée,
retouchée ou non, l’image reste une représentation, comme un chiffre qui
catégorise pour dénombrer et qui a même, dans certaines cultures, un statut de
vérité. Ce statut n’est plus tenable pour l’image : l’usager ordinaire ne
sait pas fabriquer des statistiques, il a du mal à discerner le sens exact
d’une statistique de l’audimat, par exemple, qui mesure en part de marché
l’audience télévisuelle sur laquelle s’appuient les opérateurs pour définir le
prix des<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>publicités. Considère-t-il ce
type d’indicateur précis en tant que tendance ou bien croit-il en la vérité du
chiffre ?</div>
<div class="MsoNormal">
Mais on apprend davantage désormais à lire l’image que le
chiffre, car l’image bénéficie de l’apprentissage de la rue, du quotidien.</div>
<div class="MsoNormal">
Ainsi, le culte du chiffre semble demeurer tandis que
l’image a changé de statut. On connaît bien l’archéologie de cette évolution
sociale, il est établi que l’apparition puis l’installation de la photographie,
son immersion banale dans les quotidiens du social, ont eu des effets
économiques, mais aussi symboliques et cognitifs.</div>
<div class="MsoNormal">
Alors que nous nous interrogeons désormais sur les conséquences
des nouveaux usages de l’Internet sur l’attention, l’apprentissage ou sur les
modes de lecture, de semblables interrogations ont animé les colloques durant
des décennies, au sujet, justement, des conséquences de la démocratisation de
la photographie argentique. Déjà « tous photographes », mais pas
encore « tous créateurs » avec la photographie, car la
conscience<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>sociale des possibilités de
création par la photographie est relativement récente, en fait. Elle s’impose
encore en supposé miroir du réel, au point où des autocensures limitent encore,
parfois, la présentation de photographies jugées amorales, incitatrices à la
pédophilie par exemple. Il en était bien ainsi pour les peintures ou des
sculptures du temps des Salons des refusés. Rappelons-nous d’Edgar Degas et de
sa sculpture de danseuse de 14 ans qui a été jugée tendancieuse.</div>
<div class="MsoNormal">
A partir du siècle dernier, l’image photographique reproduit,
fixe les souvenirs familiaux, ces mises en scène d’extraits de vies
quotidiennes s’insèrent dans des albums rangés sur des étagères. La
photographie accompagne les évènements ordinaires, devient partie des rituels,
devient rituelle elle-même. Un mariage sans photographie ? Des premiers
pas sans photographie ? Ces usages perdurent, et non seulement du fait de
l’accessibilité technologique. On ne peut que constater qu’un marché de la
photo-papier se redéveloppe à partir du numérique. (…) Pourtant si les procédés
techniques sont différents, les usages ne sont-ils pas identiques ?
Cependant les albums sont désormais moins sur les étagères que sur <i>Facebook</i>.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
L’invention du procédé photographique a ainsi bien
évidemment eu des conséquences majeures sur les usages comme sur les
représentations, sur les modes de construction des représentations.
L’engouement récent pour les photos de classe ancienne, par exemple, montre
bien que les usages résistent et que les changements technologiques n’en
transforment pas la nature. De plus, les faibles enjeux collectifs ou
politiques de ces images photographiques, de ces mises en scène de quotidiens
ou d’évènements rituels ou ritualisés incitent leurs spectateurs à ne pas
remettre en cause leur véracité. Cette problématique de la vérité de l’image
photographique n’est pas en soi, mais bien une contingence. Encore une fois,
pour le chiffre, c’est la même chose ou presque : une information chargée
d’enjeux est toujours plus sujette non pas à la caution, mais à discussion, au
doute, quelles que soient d’ailleurs les modalités de construction de
l’indicateur. Derrière toute information statistique, et nul ne l’ignore, se
tient le producteur de l’information comme derrière l’image, le producteur de
l’image, celui qui appuie sur le déclencheur, qu’il vise et regarde la scène ou
non, qu’il choisisse ou non la scène ou se contente de distinguer <i style="mso-bidi-font-style: normal;">a posteriori</i> la meilleure production
d’une « rafale ».</div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
Les systèmes d’information ont évolué et la sphère de
l’écrit s’est imbriquée dans celle de l’image. Puis le digital s’est installé
dans un social nourri d’analogique et ainsi « ces nouvelles
technologies » ont fourni cadres, arguments et pratiques des modèles
économiques comme des fonctionnements sociaux.</div>
<div class="MsoNormal">
Mais la photographie a été ou est encore à la fois image,
miroir, signe, pratique, dispositif technique, outil de création, médium :
il est important de distinguer l’image photographique de l’analyse des
pratiques photographiques et de ses usages sociaux et culturels, ce qui permet
d’ailleurs de préciser ce caractère mythique de miroir de la réalité, déformant
ou non d’ailleurs. Où est en effet ce réel ?</div>
<div class="MsoNormal">
Pierre Bourdieu publie en 1967 une analyse innovante sur les
enjeux sociaux de la photographie, un « art moyen »
annonce-t-il. Il s’agit alors de rompre avec une présentation historique (des
résultats essentiellement) ou technique (des modalités) et d’interroger les
attitudes et les croyances liées à la photographie et à ses usages. Il dénonce
alors le mythe d’une photographie transparente, supérieure au miroir qui peut déformer
et surtout inverse<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>les scènes, un mythe
qui perdure pourtant dans le global.</div>
<div class="MsoNormal">
Pour lui, l’image photographique possède une fonction
structurante pour le social. Ainsi, les pratiques des amateurs obéissent bien à
des codes sociaux et l’image s’inscrit dans le domestique d’une esthétique
populaire.</div>
<div class="MsoNormal">
« L’image photographique où l’on reconnaît communément
la reproduction la plus fidèle du réel remplit parfaitement les attentes du
naturalisme populaire, qui repose sur une adhésion fondamentale à la chose crée
(…) C’est pourquoi la pratique photographique, rituel de solennisation et de
consécration du groupe et du monde, accomplit parfaitement les intentions
profondes de l’esthétique populaire, esthétique de la fête, c’est-à-dire de la
communication avec les autres hommes et de la communication avec le
monde. »</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
La photographie peut être considérée comme une réponse à un
besoin social, réponse rendue possible avec la domestication de la technique,
une photographie qui serait donc déterminée par des fonctions sociales. Cela
est acceptable dans un cadre structuraliste, mais pour autant cette analyse ne
permet pas d’envisager la généalogie du besoin lui-même, ni la relation entre
la photographie et l’évolution culturelle et des usages.</div>
<div class="MsoNormal">
Il faut relever que cette analyse qui tente de combattre le
mythe de la photographie en tant que transparence du réel participe, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">de facto</i>, à la justification des sources
mêmes de cette mythification puisqu’elle reconnaît, entérine, une distinction
fondamentale entre l’image et le réel.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Les théorisations renouvelées de l’indicialité
photographique tentent de maintenir cette idée (cet idéal) d’une image
photographique résultat d’une empreinte physique, par transfert, ce qui induit
une continuité physique, donc indiscutable, entre le réel et sa représentation,
ce qui confirme la différenciation, par exemple, entre la peinture et la
photographie et atténue, voire annihile toute tentative de compréhension des
démarches photographiques comme créatives.</div>
<div class="MsoNormal">
Certainement l’image photographique est aussi indicielle,
mais pas exclusivement, pas facilement, car plus que jamais, néanmoins, et plus
facilement que jamais, la photographie est un outil de médiation, un médium
accessible à tous, à qui en maîtrise les usages et qui sait désormais lui trouver
un sens.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
D’autres auteurs vont plus loin, notamment Susan Sontag qui
étudie les distorsions que l’image produit sur le réel, poursuivant ainsi les
travaux de Walter Benjamin. L’usage photographique, envisagé non plus comme
besoin social, mais comme source de plaisir individuel, produirait un
« nivellement » des réalités sociales.</div>
<div class="MsoNormal">
Désormais, l’étanchéité théorisée entre l’image et le réel
est très largement remise en cause et, peut-être surtout, le désir, le plaisir
et le regard s’impliquent dans les transformations du réel qui n’est plus conçu
comme disjoint de l’image. Par exemple, pour Paul Virilio, toutes les images,
virtuelles, optiques, oculaires, graphiques, picturales, photographiques, etc,
sont en correspondances et en confrontation. Le lieu de la création artistique
est justement celui des interactions. Dans une telle analyse du « bloc-image »,
le numérique ne peut pas être séparé de l’analogique, car c’est l’imaginaire
qui les réunit, ce qui ne remet pas en cause le lien historico-technique entre les
deux procédés. Cette conceptualisation permet ainsi de sortir de l’impasse du
lien organique et organisé entre technologie et représentations, et la démarche
renverse l’analyse puisque l’acteur est désormais maître de son expérience et
non plus dans une situations de soumission à la technologie, une technologie
intégrée au contexte. Entre la commutation des images et l’utopie de l’œil nu,
Virilio efface donc les ruptures qu’il s’efforce lui-même de déceler. S’il
refuse d’assumer jusqu’au bout l’idée d’une efficacité spécifique de chaque
technologie sur les représentations mentales, ses analyses incitent toutefois à
prêter une attention vigilante aux effets culturels des appareillages de
transmission et d’inscription.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Désormais, la pixellisation des images et l’accès à
l’Internet constituent de nouveaux terrains d’expériences sociales et n’ont pas
comme seules conséquences la création de nouvelles catégories d’images,
toujours, peut-être, hantées par une mythification ancienne, mais certainement
insérées dans des usages locaux nouveaux. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Google</i>,
par exemple, a mis en ligne plus d’un millier de reproductions de tableaux en
très haute définition. Il est ainsi permis d’observer « avec une haute
résolution à 7 milliards de pixels qui permet de zoomer sur la toile et de
percevoir des détails invisibles » invisibles pour qui, pour l’œil
ordinaire ? Mais désormais l’internaute voit quoi au juste ? et
comment ? Chez lui devant l’écran, une reproduction sans format, un zoom
qui semble sans limite ?</div>
<div class="MsoNormal">
(…)</div>
<div class="MsoNormal">
Pour un amateur non-spécialiste, cette quête du détail
pixellisé illustre bien l’évolution des usages, des modalités de perception et
de réception des images qui deviennent ainsi des codes à découvrir. Un mode de
code s’installe dans un utilitarisme numérique global. Ainsi, c’est bien le
réel de ces tableaux qui se transforme avec ces usages des reproductions. Le
format est pourtant essentiel et détermine la réception. Et quid de la
l’expérience de la confrontation physique avec le format de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">la Joconde</i>.
Une expérience qui complète cette éventuelle recherche
d’indices ou de détails cachés, mais surtout qui conditionne la réception.</div>
<div class="MsoNormal">
Ce mythe de la séparation d’un réel et de sa représentation
est donc bien toujours présent puisque c’est une vérité qu’il s’agit de
chercher à la loupe. Approcher ainsi une reproduction d’un tableau permettrait
d’approfondir une quête. Cette vérité photographique, comme toutes les autres
vérités d’ailleurs, dépend des contextes culturels, idéologiques, sociaux.</div>
<div class="MsoNormal">
Mais les manipulations photographiques sont révélatrices de
vérité, de vérité du réel de l’image, des multiples perceptions du monde.
L’authenticité réside dans cette perception, dans cette structure pixellisée du
témoignage visuel.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Le numérique et l’Internet modifient le contexte, les usages
et les représentations, même si le mythe de la fidélité et de l’objectivité
perdure.</div>
<div class="MsoNormal">
Le contexte économique s’est transformé avec la reconversion
obligée de la chimie de l’argentique, comme celle du papier de la presse écrite
qui n’en finit pas de chercher un modèle économique plus ou moins stable.
Economique aussi cette quasi-disparition des « photographes de
quartier » qui assuraient encore il y a peu en France, une partie de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>leurs chiffres d’affaire avec les
photographies d’identité avant l’avènement des nouveaux passeports et
l’installation de dispositifs photographiques au sein des administrations. Ces
photographes disparaissent ou bien parfois deviennent<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>reporters de mariage ou d’évènements,
vendeurs<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>de matériels. Ils disparaissent
ou évoluent. Autre évolution, celle du métier de photojournaliste : les
médias d’information utilisent des images amateurs faciles à obtenir,
rapidement, à moindre coût.</div>
<div class="MsoNormal">
L’appareil photo lui-même est devenu un objet courant, mais,
depuis les Instamatics Kodak des années 1960, ce phénomène n’est pas nouveau…
ce qui change, c’est bien que la fonction photo n’est plus liée à un seul type
d’appareil, est désormais intégrée dans d’autres objets, téléphones portables,
ordinateurs, tablettes… La prise d’images n’est plus liée à un type d’appareil
précis et donc, le rapport à la photographie, en tant qu’action, est très
différent, car la fonction de prise de photo est désormais partout.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
L’Internet, ou plutôt la connexion organisée, permet de
diffuser, de partager comme de conserver, y compris contre son gré. La
profusion des images n’explique pas, seule, le déplacement des frontières entre
professionnels et amateurs, ou bien entre<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>public et privé, mais c’est plutôt l’usage des images qui entraîne la
confusion es statuts, des amateurs devenant de facto photojournalistes.</div>
<div class="MsoNormal">
La question de la saturation en images est à l’évidence
intéressante : la situation est-elle pire sur l’Internet que dans la rue,
dans les espaces publics urbains ? Les images sont partout, mais en même
temps intégrées aux décors, des décors qu’in convient d’interroger.</div>
<div class="MsoNormal">
Les anciens appareils de télévisions des années 1930 – 1950
étaient des meubles massifs, en bois, (…) décorés de napperons. (…) Un appareil
qui existait par lui-même, qui avait une autre utilité – réduite- que
télévisuelle. Désormais, les appareils plats…(…) L’image animée est devenue
élément de décor, comme la musique dans les ascenceurs ou les supermarchés.
Alors de quelle saturation s’agirait-il ? Celle du décor, de
l’environnement quotidien, du banal, de l’ordinaire ?</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Eléments des décors domestiques, professionnels, urbains,
les images, animées ou non, sont intégrées et banalisées. Cet aspect devrait
justement nous inciter à penser la fin du mythe de la vérité des images
photographiques, des images qui seront de plus en plus difficilement
instrumentalisables, peu persuasives. La banalisation de la manipulation des
images transforme leur réception. Alors que des services proposent désormais
aux jeunes filles en surpoids de leur dresser un profil photographique gommant
embonpoint et double menton, l’image photographique, produit commercial
construit, peut bien être un objet d’un désir évident de paraître, au moins à
soi-même.</div>
<div class="MsoNormal">
Les trois caractéristiques souvent mises an avant pour
décrire la situation actuelle de cette image banalisée et de l’Internet sont
l’accumulation, la circulation et l’instantanéité.</div>
<div class="MsoNormal">
Accumulation, car il n’est plus possible de mesurer
l’activité photographique avec le développement des nouveaux supports et l’intégration
de la fonction photo dans différents type d’appareils. La prose de vue est
généralisée et peut-être que le temps passé à prendre les photos dépasse celui
à les regarder ensuite : c’est la prise d’image ainsi qui devient
l’activité principale.</div>
<div class="MsoNormal">
La diffusion est transformée, par son niveau, la
« circulation », comme par sa rapidité, ce qui entraîne d’ailleurs
une généralisation progressive de la construction d’identités numériques
intégrant images (taguées sur Facebook, désormais un des « pays » les
plus peuplés de la planète, textes, vidéos…</div>
<div class="MsoNormal">
L’instantanéité est la dernière caractéristique essentielle,
car la diffusion est en temps réel, installant pour de courts moments une
simultanéité planétaire en général pour des évènements mobilisateurs, mais pas
seulement. Déjà la télévision avec l’Eurovision, les coupes du monde ou les
Jeux olympiques avant installé cette logique, mais il s’agissait alors de
professionnels fournissant un service à des téléspectateurs. La simultanéité
d’aujourd’hui n’est plus de cette nature, mais organisée collectivement dans
une sorte de communion qui ne distingue plus le producteur du consommateur,
l’amateur du professionnel, l’indigné du résigné.</div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Gilles Rouet, <i>Photographie et réalité, robustesse du mythe et transformations des usages</i> in La photographie, mythe global et usage local, sous la direction de Ivaylo Ditchev et Gilles Rouet, L'Harmattan, 2012. </div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-63540490496527974802015-03-27T02:39:00.004-07:002015-03-27T02:44:32.628-07:00Les clés de Frank Horvat (la suite)<br />
Rubriques: <i>lecture de photographies; psychologie du photographe</i>, <i>société et photographie.</i><br />
<br />
<b>- Métaphore</b><br />
Une métaphore est une idée qu'on a mise à la place d'une autre - ou de plusieurs idées à la fois, selon la manière dont elle est comprise.<br />
Un symbole est presque la même chose - mais pas tout à fait. La tortue, par exemple, est un symbole de lenteur, comme dans le célèbre paradoxe de sa compétition avec Achille, et dans d'innombrables anecdotes, emblèmes, icônes ou proverbes. Mais les trois tortues de ma photo sont des métaphores: parce qu'elles ne suggèrent pas que la lenteur.<br />
Métaphore de quoi? Je me garderai bien de vous le dire, cela gâcherait le jeu et vous priverait du plaisir de deviner. Je dirai seulement que je connais plusieurs réponses, et que j'espère que vous en trouverez d'autres auxquelles je n'ai pas pensé. Même si elles s'excluent réciproquement, ou si elles vous semblent tirées par les cheveux. Les métaphores sont les briques dont est faite la poésie. "La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien - qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène - et qu'ensuite on n'entend plus; c'est une histoire - dite par un idiot, pleine de fracas et de furie - et qui ne signifie rien..." Toute la moelle de Macbeth est dans ces lignes. Mais les métaphores sont aussi la moelle de la Publicité, fille mercenaire de la Poésie. Et de la photographie - au moins de celle que je pratique et qui (contrairement à une méprise générale) n'est que cousine très éloignée de la Peinture et plutôt une progéniture quelque peu schizophrène du Témoignage et de la Mystification.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-sSB8cQ0_9Hk/VRURjfhq7lI/AAAAAAAAAso/8clW_f188qE/s1600/80015.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-sSB8cQ0_9Hk/VRURjfhq7lI/AAAAAAAAAso/8clW_f188qE/s1600/80015.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1993, France, tortues dans un zoo.</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-a0F8mlMr0HU/VRURKI5VU9I/AAAAAAAAAsg/FzdBoJGufEw/s1600/horvat%2B10.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-a0F8mlMr0HU/VRURKI5VU9I/AAAAAAAAAsg/FzdBoJGufEw/s1600/horvat%2B10.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1983, NYC, paon blanc dans un studio photo.</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-HPbX4g579HA/VRURy3IZz0I/AAAAAAAAAsw/cSiEqNloBnI/s1600/horvat%2B11.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-HPbX4g579HA/VRURy3IZz0I/AAAAAAAAAsw/cSiEqNloBnI/s1600/horvat%2B11.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 2003, Cotignac, double chaise longue.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<b>- Fait penser à...</b><br />
En 1981, j'ai fait le tour de la Sicile, pour illustrer l'itinéraire que Goethe avait suivi et décrit, plus de deux siècles auparavant. Une de ses premières étapes avait été Monreale, une bourgade proche de Palerme, où l'illustre voyageur s'était entretenu avec un vieux prêtre, collectionneur de minéraux. Passionné comme il est de sciences naturelles, Goethe dédie plusieurs pages à cet ecclésiastique et à ces spécimens - mais n'a pas un mot sur la basilique byzantine pour laquelle cette ville est célèbre et dont la magnificence ne peut se comparer qu'à celle de Saint-Marc, à Venise. Comme si cette splendeur ne pouvait être perçue par un homme des Lumières, pour qui les douze siècles entre le crépuscule de Rome et l'aube de la Renaissance restaient un intervalle des ténèbres.<br />
Un Goethe de nos jours n'aurait pas un tel angle mort: il aurait <i>googlé</i> "Monreale" avant de s'embarquer pour Palerme, et laissé sa philosophie devant le portail de la basilique, comme on laisse ses sandales devant une mosquée. Sauf qu'un tel personnage est difficile à imaginer: depuis le 18ème siècle, les connaissances et les moyens d'en acquérir se sont infiniment accrus - mais quelques certitudes ont été ébranlées. Je ne le ressens pas comme une perte, puisque l'élargissement des connaissances nous permet de voir ce qui restait caché à l'un des plus grands esprits de tous les temps! Mais je me rends compte que cet horizon élargi est aussi un peu moins net...<br />
Cet amalgame de progrès et de régression des connaissances me semble caractéristique de ce qu'on a appelé le post-modernisme. Sur nos écrans, toutes les routes et tous les cul-de-sacs de l'histoire de l'art, de Lascaux à la Biennale de Venise, paraissent synchrones et comparables. Tout peut être chargé, imprimé, classé et commenté - dans les limites (hélas étroites) de nos curiosités, de nos ouvertures d'esprit et de nos capacités d'attention.<br />
C'est ce que j'essaie d'expliquer, quand on me demande ce que j'entends par "fait penser à ..."<br />
Qui par ailleurs n'est qu'une parmi les clefs de mon trousseau. La première impulsion qui me fait appuyer sur le déclencheur vient de la lumière que je vois tomber sur un objet. Mes associations d'idées, d'émotions, de souvenirs et d'attentes ne seront, en fin de compte, que des arrière-pensées (ou des après-pensées) conscientes ou subconscientes. Et mon musée imaginaire, pour reprendre la formule de Malraux, n'est que l'un des outils de cette boîte.<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-cO30Cf85bBU/VRUSR8WPYbI/AAAAAAAAAs4/274V9ZRRlsM/s1600/horvat%2B12.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-cO30Cf85bBU/VRUSR8WPYbI/AAAAAAAAAs4/274V9ZRRlsM/s1600/horvat%2B12.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1984, Paris, Jacqueline.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-I4KTueDEzA0/VRUSiil54mI/AAAAAAAAAtA/gY1R96PMbYk/s1600/horvat%2B13.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-I4KTueDEzA0/VRUSiil54mI/AAAAAAAAAtA/gY1R96PMbYk/s1600/horvat%2B13.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1996, Niobé.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<b>- Un</b><br />
Un, c'est comme la première personne du singulier.<br />
Comme <i>seul, particulier, isolé, séparé, unique</i>.<br />
Comme l'étranger dans la foule, le loup solitaire, la dernière cigarette,<br />
l'arbre sur la colline, le coq dans le poulailler, le capitaine du navire qui coule, le premier baiser. <br />
(...)<br />
Comme ma mère, comme mon père, comme moi.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-38ELNeeSyp4/VRUS56-c_TI/AAAAAAAAAtI/uIJIoVjLD4w/s1600/horvat%2B14.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-38ELNeeSyp4/VRUS56-c_TI/AAAAAAAAAtI/uIJIoVjLD4w/s1600/horvat%2B14.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1958, Beaune, Alberto Fratellini.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-eKb9MrLBpT4/VRUTIu4ID0I/AAAAAAAAAtQ/xwg4xFUY960/s1600/horvat%2B15.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-eKb9MrLBpT4/VRUTIu4ID0I/AAAAAAAAAtQ/xwg4xFUY960/s1600/horvat%2B15.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1977, Derbyshire (Angleterre), vieux chêne.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<b>- Deux</b><br />
Deux va avec la deuxième personne du singulier.<br />
Deux sont vos yeux, vos oreilles, vos seins, vos fesses, vos mains et vos pieds.<br />
Deux sont le mari et la femme, le maître et le chien, le jour et la nuit,<br />
le Bien et le Mal, la Gauche et la Droite, le Yin et le Yang.<br />
Deux, c'est ce qu'il faut pour le dialogue, le jeu d'échecs, l'égalité, la ressemblance, la différence, le contraste, la compétition, l'amitié, la guerre - et bien sûr l'amour.<br />
Pour dire "deux" il faut prendre conscience de l'Autre. De ce qui se passe entre l'Un et l'Autre.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-IZIjjBSMM5U/VRUTtjvW6KI/AAAAAAAAAtc/MbPKw7Z2GIQ/s1600/horvat%2B16.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-IZIjjBSMM5U/VRUTtjvW6KI/AAAAAAAAAtc/MbPKw7Z2GIQ/s1600/horvat%2B16.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1955, Londres, quartier de Lambeth, petits boxeurs.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-Jdhs3u3suQY/VRUUFou1WGI/AAAAAAAAAtk/2xyHO-2n1kk/s1600/horvat%2B17.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-Jdhs3u3suQY/VRUUFou1WGI/AAAAAAAAAtk/2xyHO-2n1kk/s1600/horvat%2B17.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1999, Rambouillet, casoars dans un parc.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-YPcOvUw_f9k/VRUUa-bLdSI/AAAAAAAAAts/NasP1qVI_v4/s1600/horvat.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-YPcOvUw_f9k/VRUUa-bLdSI/AAAAAAAAAts/NasP1qVI_v4/s1600/horvat.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 2012, Boulogne, Melissande, Flammetta.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<b>- Beaucoup</b><br />
<i>Beaucoup</i> va avec la troisième personne du pluriel.<br />
J'avoue que j'ai des problèmes avec cette personne. A l'école<i> ils</i> me harcelaient. Eux. Les gens. La foule. La masse. Regarde-les et passe.<br />
Les photographier pour moi est peut-être une sorte de revanche. Comme de leur dire: "c'est moi qui est le doigt sur le bouton!" Cependant je ne serais pas un photographe acceptable, si je n'arrivais pas à ressentir pour eux une certaine chaleur. Du moins <i>en tant qu'individus</i>. Et du moins pour certains.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-tkRNQFuD4LI/VRUVqraFIqI/AAAAAAAAAt4/-26qtzk7uM4/s1600/horvat%2B1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-tkRNQFuD4LI/VRUVqraFIqI/AAAAAAAAAt4/-26qtzk7uM4/s1600/horvat%2B1.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1956, Paris, bus et piétons.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-zvC1vz1goRk/VRUWFvFtNUI/AAAAAAAAAuA/vRxBaaiUbd4/s1600/horvat%2B2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-zvC1vz1goRk/VRUWFvFtNUI/AAAAAAAAAuA/vRxBaaiUbd4/s1600/horvat%2B2.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1963, NYC, Rockfeller center.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<b>- La <i>vraie</i> femme</b><br />
Ce n'est pas une clef pour toutes les portes de ma maison. Seulement pour certaines, et durant quelques années. Au temps de mon adolescence et de ma première jeunesse, la femme de mes rêves était longiligne, voyante et surtout pas intellectuelle - en fait l'exact opposé de ma mère.<br />
De sorte que l'univers de la mode fut pour moi une Terre promise, où toutes celles qui se présentaient devant mon appareil semblaient sorties de ce moule. Mais hélas encombrées de scories, dont je ne pouvais les débarrasser: comme les robes, les tailleurs, les manteaux, les chapeaux et les autres accessoires qu'elles devaient porter et qui étaient rarement à mon goût. Cependant elles étaient payées pour cela et je l'étais pour photographier ce qu'elles avaient sur le dos.<br />
Moins incontournables me semblaient les béquilles dont elles se servaient (et trop souvent abusaient) pour valoriser les dons qu'elles avaient reçus de la nature: rouge à lèvres, rouge à ongles, fond de teint, mascara, faux cils et surtout perruques, alors très en vogue parce qu'interchangeables et remplaçant des heures de coiffure: les top en avaient des valises entières, qu'elles traînaient de studio en studio.<br />
Tout cela cadrait mal avec mes rêves. Mais le pire était leurs stéréotypes: le regard ardent, le sourire mécanique, le rire toutes dents, l'oeil rêveur, la démarche triomphante, le feint abandon du cou, le déhanchement séducteur, les lèvres entrouvertes comme au seuil de l'orgasme. Comment y croire - et comment en tomber amoureux?<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-shaeHVUWx70/VRUWzV315JI/AAAAAAAAAuQ/Mqw7kPaQfCU/s1600/horvat%2B4.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-shaeHVUWx70/VRUWzV315JI/AAAAAAAAAuQ/Mqw7kPaQfCU/s1600/horvat%2B4.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1976, Paris, pour Vogue France, avec Chris O'connor.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-6tMsbtUm0BQ/VRUWbs4cZRI/AAAAAAAAAuI/TqN2O5u5IIY/s1600/horvat%2B3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-6tMsbtUm0BQ/VRUWbs4cZRI/AAAAAAAAAuI/TqN2O5u5IIY/s1600/horvat%2B3.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1961, Yorkshire (Angleterre), pour Vogue avec July Dent.<br />
<br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-XILEq_4sDWU/VRUYJJzVyZI/AAAAAAAAAuY/eDoesvbodE8/s1600/hovat%2B32.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-XILEq_4sDWU/VRUYJJzVyZI/AAAAAAAAAuY/eDoesvbodE8/s1600/hovat%2B32.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1961, Yorkshire, pour Vogue UK, avec Rosalind.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
A partir de ce désenchantement, mes séances de mode devinrent des combats. Pour récupérer et remettre en lumière - malgré les scories, les béquilles et les stéréotypes - ces créatures dont je m'entêtais à retrouver une trace de ce qu'elles pouvaient avoir été, peut-être seulement quelques heures plus tôt, au moment de sortir de leur douche. Des combats - en somme- contre des moulins à vent.<br />
"Estompe ce rouge à lèvres, enlève ces faux cils (...). Arrête de sourire s'il te plaît! Et surtout: ne regarde pas l'appareil!"<br />
Tous finirent par me détester. Les top parce que je démolissais leur répertoire et dédaignais ces perruques qui leur avaient côté cher. Mais aussi les coiffeurs et les maquilleuses, que j'empêchais de démontrer leurs talents, et les rédactrices dont je transgressais les tabous.<br />
Mais les magazines publiaient mes photos, parce que le prêt-à-porter exigeait des images plus crédibles et parce que leurs directeurs l'avaient compris.<br />
<br />
<br />
<b>- Pas à sa place </b><br />
Qu'est-ce qui n'est pas à sa place?<br />
(...) Est-ce que le photographe les a placés là? Les légendes pourraient nous renseigner - mais avez-vous besoin de savoir? La vérité est que tout n'est pas toujours et nécessairement à sa place.<br />
C'est peut-être cela qui m'a fait déclencher à cet instant. Et qui maintenant vous intrigue.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-qkXpCPUmgJU/VRUY4ZhfO7I/AAAAAAAAAug/c92l0qNfyQA/s1600/horvat%2B5.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-qkXpCPUmgJU/VRUY4ZhfO7I/AAAAAAAAAug/c92l0qNfyQA/s1600/horvat%2B5.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1962, Paris, Alain Bernardin, propriétaire du Crazy Horse Saloon, avec une strip-teaseuse.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-jGSv6qdPASM/VRUZnpSWdVI/AAAAAAAAAus/zuFxp-CC1p8/s1600/horvat%2B6.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-jGSv6qdPASM/VRUZnpSWdVI/AAAAAAAAAus/zuFxp-CC1p8/s1600/horvat%2B6.jpg" height="213" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 2003, Catalogne, chien et baignoires.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-_GoZqV8BIkA/VRUaMwQlH3I/AAAAAAAAAu8/4_Ey8RMDjAA/s1600/horvat%2B7.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-_GoZqV8BIkA/VRUaMwQlH3I/AAAAAAAAAu8/4_Ey8RMDjAA/s1600/horvat%2B7.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 2011, de la série Trip to Carrara.</td></tr>
</tbody></table>
<b><br /></b>
<b>- Choses</b><br />
Comme mon ami Marc Riboud le disait<b>: </b>"Si je préfère photographier ce qui bouge, c'est parce que essentiellement, la photographie est le fait de saisir un instant plutôt qu'un autre, de tomber juste, d'arrêter le mouvement au moment où il faut. Comme la note juste en musique, l'équilibre en architecture. Le plaisir est d'autant plus grand que l'exercice est plus difficile, que les éléments à assembler sont variés, mobiles et imprévisibles".<br />
Je pense comme lui. C'est quand votre sujet bouge que vous prenez le taureau de la photographie par les cornes. Ou, comme je le dis à des jeunes photographes qui ne me montrent que des natures mortes: "Si vous ne photographiez que ce qui vous laisse le temps de changer d'avis, vous perdez le bénéfice du risque".<br />
Et pourtant, certaines de mes photos paraissent prouver le contraire: face à ces chaussures, en 1949, à Milan, je ne risquais pas qu'elles m'échappent! (je ne me souviens pas de cette séance, mais on dirait que j'ai eu le temps de les réarranger plusieurs fois...)<br />
D'autre part ce contrejour me laisse penser que cette photo n'était pas préconçue: j'ai probablement été frappé par cet éclairage et par cette disposition des objets, comme quand nous croyons reconnaître un déjà-vu, sans trop savoir s'il fait partie de notre expérience ou de nos rêves.<br />
Ce fut donc, malgré tout, un instant décisif: moins dans les rapports physiques entre les objets que dans le flux de mes associations mentales.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-Ls05IvCs1gM/VRUZ_WwJKTI/AAAAAAAAAu0/uOfX03uA7s0/s1600/horvat%2B8.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-Ls05IvCs1gM/VRUZ_WwJKTI/AAAAAAAAAu0/uOfX03uA7s0/s1600/horvat%2B8.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1949, Milan, chaussures.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-706-VDY2wqs/VRUatE7uT5I/AAAAAAAAAvE/ZScGurQodMA/s1600/horvat%2B9.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-706-VDY2wqs/VRUatE7uT5I/AAAAAAAAAvE/ZScGurQodMA/s1600/horvat%2B9.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1999, Paris, chez Véronique Leyrit.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-VfjdAvcUfk4/VRUbPigjivI/AAAAAAAAAvM/eegksl5CMA8/s1600/horvat%2B18.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-VfjdAvcUfk4/VRUbPigjivI/AAAAAAAAAvM/eegksl5CMA8/s1600/horvat%2B18.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 2002, Cotignac, mouchoir sale.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<b>- Photos<i> con</i></b><br />
Cet attribut trivial, appliqué à des photographies, exigerait une explication. Mais j'aimerais que vous la trouviez par vous-même. Je vous dirai seulement que si certaines ce celles-ci vous font sourire, vous êtes sur la bonne voie, et que vous arriverez vite à reconnaître une photo "con" quand vous la rencontrez.<br />
Si je ne les présente qu'à la fin, c'est parce que je les aime particulièrement. Et si l'attribut paraît grossier, c'est seulement comme quand une maman appelle son bébé "ma petite crotte". Prenez "Venise 1950". (...) J'avais 22ans, je photographiais un défile de haute couture avec un flash et je faisais de mon mieux pour satisfaire la couturière qui me payait. Quand j'ai vu cette image sur la feuille de contact, je n'en ai pas pensé grand chose et je n'en aurais même pas gardé le négatif, si je n'avais pas décidé d'en tirer une autre, sur la même bande. (C'était ainsi qu'au temps de l'argentique certaines photos échappaient à la poubelle.)<br />
Puis un jour, en feuilletant mes contacts, je la vis d'un autre oeil. Ce qui avait semblé banal me parut révélateur de quelque chose, dont au moment de la prise de vue je ne m'étais pas rendu compte. Ou l'avais-je perçu sans le savoir? Etait-ce la série de ces cinq expressions - du mannequin et des quatre spectateurs - au moment où elles sont éclairées par le flash? Mais à ce moment-là je n'aurais pu les distinguer, elles étaient nouées dans le contrejour! Voilà, en raccourci, le miracle d'une photo "con": elle révèle quelque chose,<i> mais il n'y a aucune raison de penser que le photographe en ait eu conscience!</i><br />
Edouard Boubat aimait citer Borges: Un écrivain ne peut être un grand écrivain, s'il écrit seulement ce qu'il croit écrire." D'après le même principe, vous ne pouvez décider de faire une photo "con": <i>elle vous sera peut-être donnée. </i>Tout à fait comme, selon Saint Augustin, le salut éternel.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-XRJXKVV2M2A/VRUcB_5Uj5I/AAAAAAAAAvU/wmPt8eGhR4Y/s1600/horvat%2B19.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-XRJXKVV2M2A/VRUcB_5Uj5I/AAAAAAAAAvU/wmPt8eGhR4Y/s1600/horvat%2B19.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1950, Venise, défilé de mode.<br />
<br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-5eYzHW6csEs/VRUcOgFvFDI/AAAAAAAAAvc/dHKZVyNnbDs/s1600/horvat%2B20.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-5eYzHW6csEs/VRUcOgFvFDI/AAAAAAAAAvc/dHKZVyNnbDs/s1600/horvat%2B20.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1962, Le Caire, visite médicale à l'académie militaire.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-NJFMoNs-kG4/VRUcgT4utgI/AAAAAAAAAvk/KLTjHIUCoLQ/s1600/horvat%2B21.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-NJFMoNs-kG4/VRUcgT4utgI/AAAAAAAAAvk/KLTjHIUCoLQ/s1600/horvat%2B21.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1999, Paris, Champs- Elysées, magasin en travaux.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<b>- Autoportrait</b><br />
L'autoportrait est un acte aussi légitime que la masturbation, avec l'avantage additionnel d'être irréprochable.<br />
Pensez à Dürer, à Raphaël, à Léonard de Vinci, à Rubens, à Rembrandt, à Velasquez, à Chardin, à Goya, à Delacroix, à Van Gogh, à Cézanne, à Picasso, à Francis Bacon.<br />
Et bien sûr à Montaigne: "Et puis me trouvant entièrement dépourvu et vide de toute autre matière, je me suis présenté moi-même à moi pour argument et pour sujet. C'est le seul livre au monde de son espèce, et d'un dessein farouche et extravagant".<br />
Curieusement, je me souviens de peu d'autoportraits de photographes (en dehors de ceux qui en ont fait une spécialité). Peut-être par ce que les photographes sont plus attentif à ce qui les entoure... D'ailleurs j'ai fait la plupart des miens sur le tard: peut être simplement parce que cela me permettait de disposer d'un modèle docile, et sans avoir à chercher plus loin.<br />
Les problèmes étaient surtout techniques: l'impossibilité de contrôler l'image dans le viseur (en dirigeant l'appareil sur moi); l'inversion de la droite et de la gauche (quand je me photographiais dans une glace), la présence de l'appareil dans l'image (même cas); le manque d'une troisième main pour déclencher (quand je photographiais mes mains).<br />
Le plus éprouvant était que, faute d'être un Montaigne, le face-à-face avec moi-même pouvait devenir monotone. C'est pourquoi cette série comprend moins d'images que les autres.<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-RxfL9TLsMYY/VRUc1gs6ygI/AAAAAAAAAvs/gZAJbvEVObQ/s1600/horvat%2B22.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-RxfL9TLsMYY/VRUc1gs6ygI/AAAAAAAAAvs/gZAJbvEVObQ/s1600/horvat%2B22.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1945, Lugano, autoportrait.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-cLHUq4J1PQ0/VRUdCur9pWI/AAAAAAAAAv0/Kmb2QFdDsOA/s1600/horvat%2B23.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-cLHUq4J1PQ0/VRUdCur9pWI/AAAAAAAAAv0/Kmb2QFdDsOA/s1600/horvat%2B23.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1999, Pantano Borghèse (Italie), autoportrait avec cheval.</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody></tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-IzgdIpXy9bE/VRUdWj5qCgI/AAAAAAAAAv8/qikhoaRMov4/s1600/horvat%2B24.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-IzgdIpXy9bE/VRUdWj5qCgI/AAAAAAAAAv8/qikhoaRMov4/s1600/horvat%2B24.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, 1999, Boulogne-Billancourt, autoportrait chez le pédicure.<br />
<br />
<br />
<div align="left">
</div>
</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Frank Horvat,<i> La maison aux quinze clefs</i>, éditions terre bleue, 2013.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-86442886090633519902015-03-09T01:46:00.001-07:002015-03-09T01:46:32.659-07:00Les clés de Frank Horvat<br />
Rubriques: <em>lecture de photographies; art et photographies, psychologie du photographe</em>.<br />
<br />
D'abord l'allégresse! Il est tant de regards moroses posés sur notre époque, entre chagrin, dénonciation et remords que ce livre (La maison aux quinze clés de Frank Horvat) semble porté par une force d'autant plus précieuse, par comparaison: un appétit vigoureux pour le monde tel qu'il s'est donné à voir et à éprouver, durant près de sept décennies. Non pas qu'en soient absentes les souffrances d'une planète que hantent autant que jamais la misère, la guerre et l'injustice. Mais je gage que chacun éprouvera, devant cette oeuvre d'une vie, la gratitude qu'inspire une offre multiforme, où les malheurs de l'humanité, aussi profondes que soient leurs traces, laissent place à un bonheur de vivre, un goût ardent des rencontres inopinées et de la tendresse partagée. L'esthétique, ici, se nourrit de l'obsession de n'être pas dupe, ni de soi-même, ni des autosatisfactions convenues; elle se renforce d'une volonté obstinée de recul, sans complaisance, par rapport à la création elle-même. Garder sa distance: souci paradoxal pour un photographe, dans l'immédiateté d'une rencontre entre l'objectif et son sujet, et qui pourtant trouve sans peine, constamment, les moyens de sa liberté. Une liberté dont l'entrelacs avec la beauté demeure sans cesse primordial.<br />
<br />
Elle s'affiche d'entrée de jeu dans l'organisation de cette anthologie personnelle; l'auteur gyrovague, échappant à toute contrainte, a choisi de rebattre ses cartes à partir d'un triple refus: nul principe de classement thématique, chronologique ou géographique. Par quoi il rappelle que chaque photographie s'enrichit de la proximité des autres, comme il advient sur les cimaises d'une exposition,et qu'elle retrouve, par ce voisinage faussement aléatoire, une vitalité neuve. On se surprend quelquefois à juger que telle ou telle image auraît dû figurer ailleurs, dans cette répartition - mais, en regimbant de la sorte, on rend hommage, au fond, à l'indépendance même de l'artiste. Celle qui s'affirme si vivement d'autre part dans la diversité des propos dont il a voulu, en écrivain, scander son ouvrage.<br />
Rien chez ceux-ci, au demeurant, d'un didactisme pesant: une façon plutôt de nous rappeler qu'une pareille autobiographie peut revêtir toutes les couleurs de la surprise, en bousculant les conventions du linéaire, en échappant aux classifications ordinaires, et qu'elle y puise une force singulière. Frank Horvat semble parfois rire sous cape devant un désarroi possible de son public et se réjouir que la variété de son oeuvre ne permette pas aisément aux amateurs d'en identifier aussitôt les éléments. Liberté chérie, là encore... Certains photographes se targuent, -et pourquoi pas? - de n'avoir jamais fait fond, toute leur vie, que sur un seul appareil, sur une seule technique de prise de vue; notre auteur a voulu, au contraire, tout explorer dans ce champ - jusqu'aux bienfaits ambivalents d'Internet. Surtout, il a été curieux de tous les genres qui fleurissent dans le monde de la photographie. On connaît de ces peintres qui, une fois trouvée leur façon de faire, leur manière, ont choisi la facilité d'en décliner à l'infini les similitudes, s'enfermant de la sorte dans le piège d'une répétition à soi-même imposée: facilité pour les galeristes, mais corset pour l'efflorescence des oeuvres. Il existe sûrement un prix à payer pour la décision, inverse, de déconcerter en changeant souvent de pied, - mais au bout du chemin, l'éventail s'élargissant, l'avantage en est patent. Il n'est pas jusqu'au flash impie, qui ne puisse, en telle ou telle occurence, dont il est donné ici un exemple, permettre une réussite imprévue: coquetterie chez un artiste qui laisse ainsi le hasard déjouer la maîtrise qu'il démontre continûment des jeux infinis de la lumière. La première notoriété de Frank Horvat fut conquise du côté de la mode - avant qu'il ne se sentit à l'étroit dans cette spécialité et s'en allât exceller dans l'art du portrait ou du paysage. Alors, déjà, tout commença par le refus des procédés ordinaires qui enveloppaient les mannequins de multiples appareillages artificiels et les figeaient dans des poses répétitives. On jubilera à considérer ce que le talent de Frank Horvat a su cristalliser à partir du rejet de ces conventions, si efficace qu'il sut persuader les responsables des revues spécialisées de secouer la paresse de leurs habitudes et d'accepter ce qu'un retour à plus de naturel pouvait proposer de séduction inédite.<br />
Les résultats sont là, en hommage à un corps féminin libéré de ces conventions et de ces adjuvants qui perpétuaient un charme automatique. Plus tard dans l'oeuvre, et même sur les rivages de prostitution, dont tant d'autres photographes ont fixé sombrement la hideur, a subsisté quelque chose de cette sympathie primordiale.<br />
Liberté, tout autant, devant les attitudes des humains et des animaux - qui s'effacent, parfois devant de savoureuses natures mortes. Un, deux, beaucoup, l'unicité, le duo, la multitude... Voilà encore un critère de classement qui, élu par l'auteur, laisse chez les hommes, une large latitude à tous les sentiments: faut-il entendre respectivement solitude douloureuse, incompréhension inévitable, anonymat pénible, ou au contraire individualisme revendiqué, partage chaleureux, autonomie conquise? Devant ces alternatives, l'oeil hésite - non sans motifs...<br />
<br />
Liberté encore, décisive, que celle de l'humour. Les autoportraits en sont enrichis. Mais sa force est plus large. Vous croyez, nous dit l'artiste, vous qui regardez ce cliché, à l'immédiateté d'une signification! Soyez plus attentif: si vous savez ne pas confondre le sérieux avec la prétentieuse gravité, si vous consentez à ne pas prendre l'image au premier degré et à vous apercevoir, comme on vous y invite malicieusement aux douxième et quatorzième chapitres, que "quelque chose ne va pas", alors vous verrez bouger son interprétation du côté du plus précieux farfelu; recul encore qui ajoutera, parce que nulle réponse ne sera imposée, à votre émancipation - à même, du coup, de rebondir sur celle, irréductible, de l'artiste.<br />
Notre satisfaction de lecteur est ainsi nourrie à son tour de cette totale impunité, jusqu'au plaisirs, menus et grands, d'une complicité ludique avec l'artiste: celle qui surgit aux chapitres six et sept et qui nous rappelle que l'on peut se féliciter aussi de découvrir des correspondances, au sens où Baudelaire employait ce terme, qui mettent en lumière des rapprochements inattendus. Lorsque l'auteur nous propose de faire dialoguer, à notre gré, ses photographies avec la peinture, il contribue gaiement à des réflexions aussi anciennes que Nièpce ou que Daguerre. Et quand il en fait des métaphores, il aiguise des curiosités neuves: comme on ferait bouger le trait d'un calque sur celui d'un dessin, l'attention se déplace, sans rien sacrifier, au demeurant, du plaisir esthétique. Rien là d'irrespectueux: tout au contraire une complicité dans la différence qui me paraît répondre exactement au souhait de Frank Horvat. (...)<br />
<br />
Jean-Noël Jeanneney, <i>Contraintes éclatées</i> in Frank Horvat, La maison aux quinze clés, éditions terre bleue, 2013.<br />
<br />
<br />
<strong>Les quinze clés de Frank Horvat</strong> <br />
<br />
- <strong>Lumière</strong>: <br />
(...) Ce qui dans mon cas (...) est un peu différent, est que je suis presque plus sensible à la lumière qu'à ce qu'elle éclaire. Au point que j'évite de me servir du flash (...) et que je renonce à déclencher face à une personne intéressante si l'éclairage ne met pas en évidence cet intérêt. (...)<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-PoYi9Jt4H94/VP1YE7yvNMI/AAAAAAAAArM/ydo5Snlsdqc/s1600/horvat.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-PoYi9Jt4H94/VP1YE7yvNMI/AAAAAAAAArM/ydo5Snlsdqc/s1600/horvat.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Paris, Mate enceinte, 1956.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-uGmSI3yjTes/VP1YMIlmZMI/AAAAAAAAArU/mfDnpP7_lAY/s1600/horvat%2B2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-uGmSI3yjTes/VP1YMIlmZMI/AAAAAAAAArU/mfDnpP7_lAY/s1600/horvat%2B2.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Paris, strip-teaseuse au Crazy Horse, 1962.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
- <strong>Condition humaine</strong>: <br />
Quand on me demande ce que j'entends par condition humaine, la meilleure réponse que je peux donner est que c'est une condition qui comporte des problèmes. Et que les gens qui ont des problèmes paraissent plus intéressants que ceux qui n'ont pas l'air d'en avoir.(...)<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-qgXAfHmlXIg/VP1YZ86uIYI/AAAAAAAAArc/IWHNzNdctq0/s1600/horvat%2B3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-qgXAfHmlXIg/VP1YZ86uIYI/AAAAAAAAArc/IWHNzNdctq0/s1600/horvat%2B3.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Exeter (Angleterre), 1955.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-Uf3-kpKU5-w/VP1YgXtKFvI/AAAAAAAAArk/hvyiabwGx_A/s1600/horvat%2B4.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-Uf3-kpKU5-w/VP1YgXtKFvI/AAAAAAAAArk/hvyiabwGx_A/s1600/horvat%2B4.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Vienne, Alexandra de Leal, mon ex-femme, 2007.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
- <strong>Temps suspendu</strong>: <br />
Toute photographie est une suspension du temps; mais dans certaines le temps paraît plus suspendu qu'en d'autres. Ou inversement: la suspension est possible à tout moment; mais dans certains la sollicitation est plus forte.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-G0YnccNWuBI/VP1Yl1LNicI/AAAAAAAAArs/IBDbp5D59Cg/s1600/horvat%2B5.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-G0YnccNWuBI/VP1Yl1LNicI/AAAAAAAAArs/IBDbp5D59Cg/s1600/horvat%2B5.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Espagne, sur la ligne de chemin defer Cuenca-Madrid, 1999.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
- <strong>Voyeur</strong>: <br />
Dans un sens étroit, le voyeur est celui qui cherche une satisfaction sexuelle par les yeux, au lieu de la chercher "normalement" par un organe plus approprié. Dans un sens large c'est celui qui aime pénétrer, saisir, posséder par le regard - et pas nécessairement en vue d'un acte sexuel.<br />
Dans un sens, tout photographe est voyeur. Je me considère du nombre et je reconnais le voyeurisme comme l'une des clefs de ma maison. Cependant (...) je me suis rendu compte que ces photos avaient moins à voir avec la pulsion sexuelle qu'avec un petit sentiment de culpabilité que j'associais aux moments où je les avais faites ou aux pensées qui me traversaient l'esprit en les voyant. (...)<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-rWCk2XtCQYU/VP1Y0IcMJpI/AAAAAAAAAr0/v1IDe9Uc31o/s1600/horvat%2B6.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-rWCk2XtCQYU/VP1Y0IcMJpI/AAAAAAAAAr0/v1IDe9Uc31o/s1600/horvat%2B6.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Paris, quai du Louvre, 1955.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-ZttaPEaiaV4/VP1Y5T2LvZI/AAAAAAAAAr8/rku5oiDyklk/s1600/horvat%2B7.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-ZttaPEaiaV4/VP1Y5T2LvZI/AAAAAAAAAr8/rku5oiDyklk/s1600/horvat%2B7.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, New York, métro, 1984.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
- <strong>D'oeil à oeil</strong>: <br />
Contrairement à l'opinion - très répandue- d'après laquelle les yeux seraient "une fenêtre sur l'âme", je préfère déclencher quand la personne en face ne regarde pas l'appareil.<br />
Au début, c'était par fidélité à Cartier-Bresson et à son idéal du "photographe invisible" - c'est-à-dire à un certain souci d'objectivité par rapport au "réel" (un peu comme la chose en soi de Kant...). Une chimère, bien sûr, qui a fini par devenir une convention comme une autre. Jusqu'à ce que William Klein la conteste, en incluant, dans ses scènes de rue à NY, un ou deux passants regardant droit dans l'objectif: ce qui, loin de nuire à ses témoignages, les rendait d'autant plus crédibles.<br />
Cela ne m'empêcha pas de continuer à suivre le précepte de Cartier-Bresson, peut-être parce qu'une illusion d'invisibilité convenait mieux à mon tempérament qu'une preuve de ma présence. Même dans les séances de mode. D'autant plus que me rendis compte que les regards passionnés de ces dames, loin d'être des "fenêtres de leurs âmes" étaient la plus facile et la plus paresseuse de leurs routines.<br />
Cependant il arrive parfois que la personne en face - que ce soit par surprise, par crainte, par colère ou même par amour - me lance soudainement un vrai regard, à moi et pas à l'appareil. Si je parviens à la saisir, j'aurai "pris" une vraie photo, qui aura mérité d'être prise.<br />
(...) mais un regard ne se capte pas tous les jours. C'est pourquoi j'évite, en général, de photographier des personnes qui fixent l'appareil. Je les trouve plus présentes quand je les vois attentives à autre chose, et alors même leur profil ou leur dos peut me paraître révélateur. <br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-vG8BEKE6R-s/VP1ZFQfdvEI/AAAAAAAAAsE/E035t6uFiYM/s1600/horvat%2B8.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-vG8BEKE6R-s/VP1ZFQfdvEI/AAAAAAAAAsE/E035t6uFiYM/s1600/horvat%2B8.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat, Paris, Mate, 1959.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-oqLYrId3T_Q/VP1ZKaXcnfI/AAAAAAAAAsM/5q0_tsd0Qco/s1600/orvat%2B9.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-oqLYrId3T_Q/VP1ZKaXcnfI/AAAAAAAAAsM/5q0_tsd0Qco/s1600/orvat%2B9.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Frank Horvat,, Calcutta, groupe de mendiants, 1962.<br />
</td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<br />
La suite des clés dans le prochain article....<br />
<br />
<br />
Frank Horvat, <em>La maison aux quinze clés</em>, éditions terre bleue, 2013.<br />
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-36948415627882411952015-03-04T07:51:00.002-08:002015-03-04T07:51:26.750-08:00Le "selfie" portraitisé<br />
Rubriques: <i>photographie du XXième et contemporaine; portrait photographique; société et photographie; photographie analogique et numérique; </i><br />
<br />
Quoi, en apparence, de plus semblable aux «selfies», exécutés à l'aide
de smartphones, que les traditionnels autoportraits auxquels se sont
amplement adonnés les photographes après les peintres? Selon l'Oxford
English Dictionary, qui a élevé le terme «selfie» au rang de «mot de
l'année 2013», il s'agit d'«une photographie qu'une personne a prise
d'elle-même, généralement au moyen d'un smartphone ou d'une webcam et
téléchargée sur un média social». Et cela grâce à deux fonctionnalités
des smartphones : la connexion à internet et l'existence d'une caméra
frontale qui permet de se voir et se photographier soi-même regardant
l'écran.<br />
<br />
Les similitudes sont évidentes: le selfie et l'autoportrait sont l'un et
l'autre des représentations de soi par soi. Pourtant l'autoportrait,
ancré dans la tradition argentique, s'oppose au selfie qui, lui, est
apparu avec le numérique. Les selfies qui sont destinés à être
«téléchargés sur un média social» planétaire et instantané, se
distinguent encore des autoportraits de la photo-argentique qui, eux,
ressortissent à l'ordre matériel de la chimie et du papier, qui reposent
dans des archives privées telles que les albums, ou qui circulent dans
les circuits lents et courts de la librairie, des galeries et musées.
Tandis que les autoportraits sont arrimés à l'ici de leur production, ou
très modestement nomades, les selfies sont au contraire aspirés vers
l'ailleurs: aussitôt pris, aussitôt diffusés.<br />
En somme, l'autoportrait est fait par soi et pour soi, ou presque,
tandis que le selfie est destiné à un autre et à tous ces autres qui
composent la communauté plus ou moins étendue des «amis» réels ou
virtuels des réseaux sociaux. Les matériaux, les surfaces d'inscription
(le papier, l'écran), les vitesses et les audiences, ainsi que les
protocoles de dialogues et d'échanges sont autant de points de
différences par lesquels s'opposent en nature les autoportraits et les
selfies, et se distinguent d'autant leurs esthétiques respectives.<br />
<br />
L'autoportrait s'inscrit dans un dialogue de soi à soi qu'institue le
photographe en quête d'une autre face de lui que l'image vise à
atteindre et à exprimer. En tant qu'image de soi, par soi et pour soi
(ou presque), l'autoportrait est circonscrit dans l'étroit périmètre
d'une solitude ou d'une communauté restreinte. C'est une image à usage
privé et intime. Une image dont le destin est l'archive éventuellement
entre ouverte sur les circuits lents de l'édition et des expositions.<br />
Cette expression refermée sur un soi, à circulation restreinte et lente,
sans véritablement d'ailleurs ni d'autre, passe par des mises en scène
de soi parfois très élaborées, avec décors, poses et audaces esthétiques
nourries de solides références artistiques. L'autoportrait se situe
ainsi hors de l'état présent du monde, dans un monde fictif construit
par le modèle-opérateur-destinataire sans plus d'intention que de
révéler ou de découvrir quelque chose de lui. De se connaître
esthétiquement lui-même, ou de s'inventer un autre de lui-même.<br />
<br />
Il en va tout différemment du selfie, de ses usages et de son
esthétique. Alors que l'esthétique de l'autoportrait est en quelque
sorte réflexive, immanente, agrégée au sujet et référée à une tradition,
celle du selfie est totalement dialogique et transcendante. L'une est
arrimée à l'ici du modèle-opérateur-destinataire; l'autre est aspirée et
véritablement dynamisée par la présence virtuelle et réellement active
des destinataires-«amis» possiblement nombreux, à la fois éloignés dans
l'espace et présents synchroniquement.<br />
Contrairement à l'autoportrait qui s'élabore à l'écart du monde dans
l'espace fictif d'une mise en scène, le selfie se pratique dans le
monde, dans le cours et le flux du monde à l'ère du numérique. Au pesant
protocole de la photo-argentique qui exige un long détour par le
laboratoire, et à l'immobilité congénitale de l'image sur papier, la
photo-numérique mobile alliée aux réseaux sociaux oppose des images
immédiatement et simultanément disponibles sur le lieu de leur
production et en tous les points connectés de la planète.<br />
Et c'est précisément à tous les «amis» de réseau qui sont ailleurs —
hors-là mais virtuellement présents — que s'adressent les selfies
réalisés pour être partagés et établir des échanges. Cette haute
puissance dialogique soumet les selfies à l'action de forces centrifuges
qui font exploser les pratiques et les esthétiques photographiques
traditionnelles.<br />
<br />
la mobilité des smartphones et la capacité de diffusion vertigineuse des
réseaux ont constitué un alliage inédit sur lequel a vite prospéré la
pratique du selfie: une image de soi totalement nouvelle traversée par
la vitesse, l'immédiateté, le partage, la diffusion instantanée. Une
image toujours faite à toute vitesse, inscrite dans les impromptus de la
vie et de l'action, et captée au moyen de ce dispositif banal constitué
d'un smartphone tenu à bout de bras, plus ou moins stable, ne
permettant que des cadrages approximatifs, pointé sur le visage mais
trop proche de lui pour ne pas le déformer. <br />
<br />
Ce dispositif paradoxal qui associe la technologie la plus sophistiquée à
un mode opératoire assez grossier met à mal les règles les plus
élémentaires de l'esthétique classique que la photo-argentique
documentaire, en l'occurrence le portrait, ont peu ou prou
scrupuleusement appliquées. Désormais, la composition géométrique et les
lois de la perspective qui charpentaient les œuvres, la netteté et
l'équilibre des proportions qui concouraient à la ressemblance, sont
mangées par l'action déstructurante de la vitesse ? En vérité, les jeux
savants de la géométrie et des proportions, la netteté, la ressemblance,
et même la représentation, ne sont plus vraiment nécessaires pour des
images-écrans qui ne sont pas faites pour être regardées mais pour faire
signe. Pour communiquer.<br />
Peu importe que je sois déformé par la trop grande proximité de
l'appareil, que mon bras s'inscrive dans l'image, que le décor soit
médiocre, que la lumière défigure, car le cliché n'est guère qu'un signe
fugace, une trace fugitive, pour affirmer à d'autres — mes «amis» réels
et virtuels — ma présence-là au moment présent, et pour engager avec
eux des conversations qui se poursuivront peut-être de différentes
manières (textes, sons, images et vidéos) sur les réseaux. <br />
<br />
Le selfie dynamise et chamboule les éléments, les propriétés et les
notions canoniques de la photo-argentique, ainsi que l'espace
illusionniste qui a été le sien. D'abord en faisant (souvent) apparaître
l'appareil, ou en suggérant sa présence; également en superposant dans
les figures de l'opérateur, du sujet voyant et de l'objet vu que la
conception euclidienne de l'espace illusionniste a toujours
soigneusement distingués et ordonnés. Plus fondamentalement enfin, les
photographes sont invisibles sur leurs clichés parce qu'ils sont situés
derrière leur appareil et face au monde qu'ils scrutent au travers de
leur viseur, alors que les réalisateurs de selfies sont, eux, bien
visibles, situés dans le monde et devant leur appareil.<br />
Le dispositif séculaire de la fenêtre ouverte sur le monde est aboli, le
cadre-viseur de l'appareil photo a fait place à l'écran du smartphone.
On est passé d'un espace illusionniste à un espace d'énonciation. D'un
monde à un autre.<br />
<br />
André Rouillé, PARIS art, éditorial, <i>Selfie et autoportrait, d'un monde à un autre</i>, 2014.<br />
<br />
http://www.paris-art.com/art-culture-France/selfie-et-autoportrait-d'un-monde-a-un-autre/rouille-andre/438.html#hautDe la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-78945128248442401342015-02-03T03:25:00.002-08:002015-02-03T03:25:33.849-08:00Au delà des voyages extraordinaires<br />
Rubriques: <i>fiction, récit et photographie; photographie du XXième et contemporaine; photographie objective et subjective; paysage.</i><br />
<br />
Les Voyages de photographes incluent des vues qui montrent des sites habituellement fréquentés par les voyageurs et, à ce titre déjà, ils renvoient à l'itinérance. Mais ils figurent aussi des portions de territoire, qui ne sont pas dévolues au déplacement, mais qui, telles qu'elles sont données à voir, se présentent sous l'espèce du "provisoire". Appliquer aux sites mis en images le qualificatif de "provisoire", c'est relier la représentation des lieux à l'expérience particulière qui en est faite, c'est les rapporter à un "usage du monde" auquel ils paraissent liés; c'est avancer que les photographies tout à la fois livrent un simulacre du réel et le rattachent à une perception itinérante. Cette relation vagabonde au territoire, l'observateur des vues l'impute à l'opérateur - comme le dispositif livresque et le texte, éventuellement présent, l'y invitent. Les traits matériels qui font que les paysages représentés paraissent "provisoires" peuvent découler des circonstances effectives de la prise de vue, des conditions concrètes du déplacement; mais ils relèvent aussi de choix du praticien: la relation nomade au territoire que suggèrent les photographies est aussi affaire de construction. La notion de "paysages provisoires" présuppose une forme de "mise en intrigue" du monde; les vues sont assimilées à des perceptions de l'opérateur itinérant, tel qu'il se trouve suggéré par les mots et les images, et non à celles du praticien en chair et en os qui a effectué le déplacement - ce qui n'empêche pas bien sûr que le livre (texte et clichés) prenne les allures de la sincérité, de l'authenticité. La fiction est d'autant plus convaincante qu'elle se dissimule et affiche l'absence d'apprêt et d'artifice. Il convient de se demander comment dans les Voyages de photographes, certains paysages peuvent apparaître sous les traits du "provisoire": qu'est-ce qui fait qu'ils se présentent au lecteur comme des endroits où l'on ne demeure pas, des lieux à travers lesquels on passe?<br />
<br />
La banalité, le peu de pittoresque ou d'attrait des sites photographiés est une propriété susceptible d'alimenter une impression: les lieux, inaptes à légitimer par eux-mêmes une attention prolongée, semblent enregistrés car ils se situent, de manière contingente, sur la trajectoire de l'opérateur voyageur. Georges Perec emploie le terme d'"infra-ordinaire" pour désigner ce qui est tellement commun que, d'habitude, on ne le perçoit pas. Combiné à d'autres traits, la banalité du lieu présenté peut contribuer à en faire - aux yeux du lecteur- un espace qui paraît plus ou moins "subi" par l'être itinérant, sur le chemin duquel il se trouve. Certains photographes contemporains ont fait de sites ordinaires l'objet d'une enquête minutieuse, voire d'un archivage systématique; la banalité des paysages ne participe donc à l'évocation du "provisoire" qu'associé à un certain nombre de choix formels, ou encore mis en relation, dans l'espace du livre, avec d'autres images et un texte, si restreint soit-il.<br />
A rebours, il est patent que l'aspect "extra-ordinaire" du site tend à s'opposer au sentiment du "provisoire". Paysages pittoresques ou sublimes, lieux d'art ou de mémoire requièrent l'arrêt ou la contemplation; ils impliquent une durée. Dans les circuits organisés par les opérateurs, les sites exceptionnels constituent des étapes, souvent expéditives certes, compte tenu de la lourde liste du programme, mais des étapes quand même. Avant leur mise en images par les touristes, les lieux se présentent sous forme de "clichés"...<br />
Si ces ouvrages invitent à aller y voir, ils ne renvoient pas à une expérience voyageuse singulière: ils s'inscrivent dans une logique d'inventaire, ou encore d'injonction à la visite. (...) Les sites exceptionnels - que leurs qualités intrinsèques suffisent à constituer en objets d'attention - semblent se montrer moins que d'autres favorables à la suggestion du "provisoire".<br />
On ne peut en tout cas que constater que les paysages "qui valent le voyage" (ou le détour) n'attirent que peu les photographes voyageurs qui font l'objet de cette étude. S'ils sont enclins à s'en détourner, c'est sans doute qu'ils tendent à se démarquer des stéréotypes, mais c'est aussi que ce type d'endroits - par leur notoriété, leur plénitude, leur autosuffisance - ne favorisent pas l'évocation de l'expérience singulière d'un parcours. De l'évitement même du cliché, Raymond Depardon a pu faire le sujet de certaines de ses photographies. (...) Cet évitement revient chez d'autres photographes voyageurs comme chez Bernard Plossu (Passages par Athènes).<br />
(...)<br />
Raymond Depardon s'écarte des normes du photojournalisme, comme il s'écarte de celles de la vue touristique. Les scènes élues dans <i>Correspondance New-yorkaise</i> sont à l'opposé du sensationnel ainsi que du pittoresque; elles appartiennent pour la plupart au registre du banal. Cela tient, dans ce cas précis, au protocole qui a été suivi. Le livre émane en effet d'une expérience menée avec le quotidien<i> Libération</i>. Du 6 juillet au 12 août 1981, Raymond Depardon séjourne à New York et convient d'envoyer chaque jour au journal une photographie accompagnée d'un commentaire. Le texte renvoie à la subjectivité du photographe: " j'erre dans les rues. Plus seul que jamais. Je suis comme un touriste.", consigne-t-il par exemple. Le contrat établi écarte R. Depardon de la scène exceptionnelle, et le rapproche de la photographie de rue anti-anecdotique des reporters américains des années cinquante. Si la contrainte amène à un déplacement vers "l'infra-ordinaire", c'est d'abord parce que - la cadence étant fixée - "l'extraordinaire" n'est pas toujours au rendez-vous; mais c'est aussi parce que le contrat scelle une relation neuve entre l'opérateur et le monde, où la démarche prend le pas sur ce qui est proposé par les apparences. Le photographe a tendance à laisser affleurer cette condition, qui est la sienne, de devoir faire des images à partir de ce qui ne le mérite pas nécessairement. Or la contrainte de R. Depardon n'est, à certains égards, pas étrangère à celle que se donne le photographe voyageur. La plupart du temps, ce dernier entreprend son déplacement dans la perspective d'effectuer des prises de vue, voire de faire un livre; il se trouve donc plus ou moins dans l'obligation de rapporter des images, quels que soient les lieux qu'il travers. De surcroît, la démarche qu'il s'est fixée constitue pour une partie la matière de son livre; cela l'amène à rendre sensible sa conduite et à ne pas élire des sites qui, par leur caractère exceptionnel, viendraient obnubiler l'attention et occulter l'entreprise.<br />
Par ailleurs, celui qui suit les axes de circulation, passe nécessairement par des sites intermédiaires qu'il n'élit pas pour leurs caractères propres, mais qu'il traverse. Voyager, c'est parcourir des zones "infra-ordinaires" qui sont sur le chemin allant d'un point à un autre. Si l'opérateur itinérant ne retient que les endroits dignes d'intérêt, il occulte la dimension du passage; il laisse de côté le voyage qu'il est en train de suivre pour recueillir des images. Mais le praticien peut choisir aussi de donner à voir des paysages, liés à son expérience nomade, à savoir des paysages fades qui ne paraissent pas choisis, mais perçus en passant. Bords de route désertés, banlieues ou bourgades ternes, bâtiments mornes reviennent chez Robert Frank, Bernard Plossu, Klavidj Sluban, Brigitta Lund, Patrick Bard et bien d'autres... Les espaces "infra-ordinaires" sont les" lieux communs" du voyageur, dans les deux sens du terme: parce qu'ils se trouvent sur son chemin, mais aussi parce qu'ils permettent, dans l'espace du livre, de suggérer une progression qui, fendant le territoire, ne trie pas les contrées traversées. L'oubli apparent des "appâts" objectifs du pays réel se fait au profit de l'évocation d'une relation vagabonde et subjective au territoire. Le prosaïsme des paysages proposés favorise l'évocation du rapport au monde de l'homme itinérant (sans y suffire évidemment).<br />
La présence, au sein des Voyages de photographe, de paysages mornes et plats peut également contribuer à suggérer un "art du voyage" - manière de voyager comme manière de rendre compte, grâce aux mots et aux images, de cette expérience. Ils témoignent de l'importance accordée au trajet - qui semble davantage retenir l'attention qu'un but quelconque. Ils participent à l'évocation d'un parcours<i> in progress</i>, "chemin faisant" pour reprendre le titre de Jacques Lacarrière (et ce, quelles que soient les modalités et la vitesse du déplacement). C'est cette priorité donnée à l'exercice même du voyage que manifeste Robert Louis Stevenson, quand il note: "je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher." L'écrivain suivait les sentiers, Patrick Bard prend le transsibérien, Michael Becotte voyage en automobile, Bruno Lasnier à bord d'un bac. Mais, dans chaque cas, il s'agit de privilégier le déroulement du voyage, de refuser la subordination du déplacement à un terme géographique. L'attention portée aux paysages "infra-ordinaires" manifeste une disponibilité, une présence au réel tel qu'il est - et peut-être même parfois l'acceptation que des éléments, si anodins qu'ils soient, puissent interpeller le voyageur et l'incliner à la dérive. La trajectoire ainsi évoquée fait également écho au processus même de la façon du livre.<br />
Nombreuses sont, à la fin du vingtième siècle, les démarches artistiques qui font du franchissement physique d'une distance spatiale leur manière première. Richard Long ou Hamish Fulton élisent généralement des territoires qui paraissent vierges de toute présence humaine; des artistes comme Dennis Adams et Laurent Malone, Francic Alÿs ou encore le collectif Stalker se tournent davantage vers des milieux urbains. ces travaux - pour différents qu'ils sont des voyages de photographes - témoignent d'un intérêt comparable pour le parcours en tant que praxis. Chez certains, cette démarche s'accompagne d'ailleurs d'une attention portée à des espaces désaffectés que le déplacement paraît à même de réinventer: ce sont les terrains vagues proches des grandes villes que les membres du Laboratoire Stalker choisissent d'arpenter.<br />
(...) C'est la traversée du pays, la progression à travers le territoire qui est mise à l'honneur.<br />
<br />
Aux choix d'espaces "infra-ordinaires", les photographes voyageurs associent souvent l'élection de moments "infra-ordinaires". En une formule désormais célèbre, Robert Frank déclare privilégier les instants "in between". A propos de American Surfaces, Stephen Shore affirme: "C'était le journal visuel d'un voyage à travers le pays. Quand j'ai commencé ce périple, j'avais beaucoup d'idées sur ce que j'allais faire. Je ne voulais pas capter des "instants décisifs". Cartier-Bresson avait forgé cette expression pour désigner certaines rencontres visuelles exceptionnelles, mais j'étais plus intéressé par la banalité."<br />
<br />
R. Depardon dit s'intéresser aux "temps faibles". Pour Bernard Plossu, "La photographie parle de tous les moments apparemment sans importance qui ont en fait tant d'importance." Dans les voyages de photographe, se trouvent le plus souvent retenus des instants où ils ne se passent rien. De fait, une bonne partie de la durée d'un voyage est généralement occupée par les trajets, les attentes ou encore la gestion de questions très matérielles; les "moments gris" choisis par les photographes itinérants font l'écho à toutes ces images creuses. Mais, de surcroît, l'élection de ce type de moments - qui se situe à l'opposé d'une conception de la photographie privilégiant "les temps forts" - signale la valeur accordée à l'expérience individuelle: les prises de vue semblent découler de l'investissement du praticien davantage que de données extérieures. La qualité de présence au monde de l'opérateur paraît croître dans la mesure même où le caractère exceptionnel des sites et des moments s'absente; le défaut de sollicitations émanant du monde peut donner l'impression qu'affleure une intériorité.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-XmTYN5DKnZY/VNCt5Iv_Y2I/AAAAAAAAAp8/Im_rUR7YcEI/s1600/Raymond%2BDepardon.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-XmTYN5DKnZY/VNCt5Iv_Y2I/AAAAAAAAAp8/Im_rUR7YcEI/s1600/Raymond%2BDepardon.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Raymond Depardon, Errance.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-hD9NqMGTgkU/VNCuO87aexI/AAAAAAAAAqE/Vky-PJ1B1N4/s1600/R%2BDepardon.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-hD9NqMGTgkU/VNCuO87aexI/AAAAAAAAAqE/Vky-PJ1B1N4/s1600/R%2BDepardon.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Raymond Depardon, Errance.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-VSmtlnIWmeU/VNCuhfwtNkI/AAAAAAAAAqM/4XyRjwIJ6qA/s1600/Depardon%2B2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-VSmtlnIWmeU/VNCuhfwtNkI/AAAAAAAAAqM/4XyRjwIJ6qA/s1600/Depardon%2B2.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Raymond Depardon, Le désert américain.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-ciz_8c3hrRU/VNCuy0qNPYI/AAAAAAAAAqU/yHY7ggaKbtQ/s1600/bernard%2BPlossu%2B1987.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-ciz_8c3hrRU/VNCuy0qNPYI/AAAAAAAAAqU/yHY7ggaKbtQ/s1600/bernard%2BPlossu%2B1987.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bernard Plossu, Routes, 55: "Nord, France, 1987"</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-xMV1srYrLrM/VNCvHXuiJsI/AAAAAAAAAqc/hRCMEELCmAM/s1600/bernard%2BPlossu.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-xMV1srYrLrM/VNCvHXuiJsI/AAAAAAAAAqc/hRCMEELCmAM/s1600/bernard%2BPlossu.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bernard Plossu, Passages par Athènes.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-naUAISYDayY/VNCvbPqMoPI/AAAAAAAAAqk/NhsrPVuAm_U/s1600/Plossu%2B2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-naUAISYDayY/VNCvbPqMoPI/AAAAAAAAAqk/NhsrPVuAm_U/s1600/Plossu%2B2.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bernard Plossu, Bêtes humaines.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<br />
Daniele Méaux, <i>Voyages de photographes</i>, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2009.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-47239807108807598242015-01-19T07:50:00.000-08:002015-01-20T03:14:42.292-08:00"Interrogation"<br />
Rubriques: <i>langage et photographie; texte et photographie; perception, vision et photographie; photographie objective et subjective</i>;<i> fiction, récit et photographie</i>.<br />
<br />
"Toute interrogation est liée au regard." Comprenons, au bout du regard, il y a l'écriture de la question,<i> le livre des questions </i>(Edmond Jabès).<br />
<br />
Pourquoi suis-je comme obligé de regarder, comme à chaque fois commandé par le regard? Le mot voir est roi. C'est le mot roi. L'écriture est son sujet. Le mot voir est la nature de la langue. Nous ne pouvons nous empêcher de le voir. Partout. Et la photographie, c'est le voir qui se donne à voir, n'en finissant plus d'être vu et de donner à voir. Les grands yeux de la photographie.<br />
<br />
L'image n'est pas normale, elle est une grave anomalie, une monstruosité. Elle est la présence portée à son point le plus haut. Elle est l'exception de l'exceptionnel. Elle nous sort de la normalité. En tant qu'expérience visuelle sans précédent, elle ne peut se montrer que supérieure à tout ce qui est, dans tout ce qu'elle est, dans tout ce qu'elle rapporte - le "<i>ça a été</i>", le "ce qui a été fait". Chaque fois qu'une image présente la présence, elle la marque de son sceau. La photographie est un monstre de réel. Elle est pire que l'image, toujours plus réelle que l'image (même si, nous parlons, par déformation, d'images, à son sujet). Voir <i>certifie</i> le réel, la photographie "atteste" que ce que j'ai vu, vécu, était bien réel, c'est bien là quelque chose d'atroce. Ce n'est pas une image peinte, mais une image pleine. Elle a le pouvoir de faire entrer du réel <i>dans</i> le réel. L'image me dispute, en quelque sorte, ma vie. Son autorité est assise sur sa violence. Elle crie plus fort que moi. Comme si elle exerçait son autorité par un fâcheux effet de martèlement, en répétant continuellement "ça a été", "ça a été". C'est pourquoi, elle ne restitue pas, nous dit Barthes, elle "atteste". Elle a toujours raison, et elle se permet encore de nous prendre à témoin, "c'est là un effet proprement scandaleux". Elle est entêtée dans sa preuve d'existence, et comme pétrie de religiosité. Barthes poursuit dans son état d'affairement: "Peut-être cet étonnement, cet entêtement, plonge-t-il dans la substance religieuse dont je suis pétri; rien à faire: La Photographie a quelque chose à voir avec la résurrection: ne peut-on dire d'elle ce que disaient les Bysantins de l'image du Christ dont le Suaire de Turin est imprégné, à savoir qu'elle n'était pas faite de main d'homme, <i>acheïropoïétos</i>?" "Rien à faire", disons, la photographie aura toujours le dernier mot. Elle est <i>la dernière à parler.</i><br />
<br />
"Pourquoi la vie? " nous dit Barthes, de façon innocente, modeste, et presque minimale, depuis ce qui se voulait une réflexion, et ce dès son titre, son sous-titre, une "note sur la photographie". Une note sur la photographie et l'épuisement du <i>photographier</i>: "je m'épuise à constater que<i> ça a été</i>; pour quiconque tient une photo dans la main, c'est là "une croyance fondamentale", une "Urdoxa", que rien ne peut défaire, sauf si l'on me prouve que cette image <i>n'est pas</i> une photographie." Cet emploi du "fondamental" revient, non pas comme base argumentaire d'un système de pensée, mais plutôt comme une "croyance", une question "vitale". Une croyance que Barthes lie à "une certitude souveraine" et à "une force d"évidence". Ce n'est pas "discutable" la photographie, à la différence de l'image (picturale entre autres) que l'on peut remettre en cause ou en doute. Avec la photographie, il n'y a pas de doute possible. Elle tient son pouvoir par le fait même qu'elle nous tient, que nous n'avons rien à redire ou à objecter. Comme si le visible venait éclipser le théorique.<br />
<br />
La fascination, c'est l'enchantement de ce qui ne finit pas. C'est l'attrait pour ce qui ne cesse de commencer, l'émerveillement devant ce qui recommence. Mais la fascination, c'est aussi la certitude et ce qui déborde immédiatement toute certitude, ce qui fait voie, chemin. Comme si la fascination, loin de n'être qu'un rapport irrépressible au visible et comme venue enrayer l'explicable, survenait comme ce à quoi l'on ne peut échapper. La fascination, c'est ce qui appelle sans dire pourquoi. L'envoûtement nous tient au regard. Le visible nous colle à la peau. La vue nous consigne à voir. "Dans la fascination, nous sommes peut-être déjà hors du visible-invisible." L'être fasciné est accaparé, mais ne voit pas, c'est le voir qui s'empare de l'être. Avec la fascination, il y va donc d'un règne, d'un moment ou d'un régime: nous sommes sous l'occupation du voir, forcés à voir. Et pendant ce temps-là, ça gagne du terrain. L'indétermination se propage: milieu pour ainsi dire absolu. Non pas systématiquement, mais dépassant toute mesure ou toute proportion, rendant tout système scandaleux, inacceptable, comme régi par une extravagance, non crédible en quelque sorte. Et en cela, absolu et absolument seul.<br />
<br />
Le photographe croit parfois, par ses photographies, être utile symboliquement, rendre compte, aider, apporter, témoigner. "On avait fini par le croire, écrit Alain Bergala, alors que tant d'images, de celles qui importent vraiment, avec lesquelles on vit dans sa tête, nous criaient le contraire: que l'on rencontre au coeur même de l'acte photographique une dimension d'absence dont l'image, souvent, porte la trace et qui en fait, parfois tout le prix." Ce qui est donné relève de l'absence.<br />
<br />
Ce sont des photographies qui s'annulent, qui restent (dans le temps) parce qu'elles s'annulent. Une bonne photographie détient le pouvoir de ne pas rendre l'autre reconnaissant de ce qu'elle lui apporte. Elle le désengage, en quelque sorte, et par là elle le tient. Pour qu'il y ait photographie, il ne faut pas de dette: instaurer un "jeu" et non un cercle.<br />
<br />
Se donner le temps d'une photographie, c'est savoir que rien ou presque ne nous appartient, c'est photographier en connaissance de cause, c'est-à-dire aussi en étant légèrement inquiet, légèrement agité. Se laisser atteindre. Lorsque ce qu'il y a à donner se perd. Lorsque le réel se fragilise. Le regard traduit parfois ce désarroi face à un réel qui se fragilise. " Qu'est-ce qui t'appartient?"<br />
<br />
La prise de vue photographique coïncide avec un certain épuisement du réel. Si bien qu'une photographie n'est jamais <i>prise</i> sans que quelque chose du réel vienne s'y accumuler. Que signifiions-nous d'autre lorsque nous disons communément d'une photographie qu'elle est <i>saturée</i>, si ce n'est saturée de réel?<br />
<br />
Blanchot écrit: l'image "sort constamment d'elle-même". Précisons: elle est alternativement elle-même et une autre, elle est régulièrement autre. Son identité se décide dans un mouvement ondulatoire, en instance de se positionner, en définition perpétuelle. L'image s'entend à partir du concept d'oscillation, c'est à dire à partir d'un déplacement régulier s'effectuant <i>de part et d'autre</i> d'une position d'équilibre. Autant dire, dans l'équilibre, ça tremble encore. Ca tremble au dehors, comme le dedans du dehors. - Limage ouvrant l'accès à un <i>réel-dedans-dehors</i>.<br />
<br />
L'image, l'écriture, le regard, partout et à chaque fois, <i>se fragmentent</i>. Devant la fragmentation du visible et dans le tremblement du réel, le regard perd ses référents ordinaires. Non pas que la vue se brouille. Non pas qu'il y ait là une confusion des formes et des apparences. Ou bien si la vue se brouille, c'est à entendre depuis la perte d'un certain horizon, depuis la faille d'une certaine perspective. Perte du référent, c'est-à-dire de ce qui fait réalité ou plutôt de ce à quoi nous devrions être <i>ordinairement</i> renvoyés dans la réalité.<br />
<br />
La fragmentation du visible s'étend jusqu'à sa perte de regard, à savoir jusqu'à n'être plus visible. Seule la fascination appelle encore un voir perpétuellement voyant. Fasciné, le regard voit ce que personne ne peut voir à sa place, il est attiré par un réel non déterminé et non déterminable, possédé par une vision non circonscrite historiquement.<br />
<br />
Ne serait-ce pas l'écriture et la photographie qui témoigneraient déjà, et cela bien au-delà de la maîtrise critique du médium, de ses codes et de son langage, d'une autre approche de la marge, du cadre et du cadrage, de la bordure, impliquant un brouillage des frontières entre les médiums eux-mêmes?<br />
<br />
A partir de l'écriture et de la photographie pourrait s'entamer une certaine déconstruction du regard depuis laquelle le jour ne ressemble plus au jour. Il n'y aurait alors plus ni chemin tracé, ni méthode, mais plutôt des décalages, décadrages voire dérouillages des angles de vues et de visées. Pourquoi? D'abord, parce que dans la déconstruction, il y a une mise en crise du jour et de la lumière du jour. Le regard-artiste (celui de l'écrivain et/ou du photographe) vient déconstruire les bases de la perception visuelle commune et immédiatement recevable. Le regard n'est plus un porte-parole du jour et de la vérité décriante du jour. Le jour n'éclaire que le jour. Il vient malheureusement de la position toute relative d'une lumière. La fragmentation du visible ne permet plus d'authentifier une source lumineuse, relative à - . Il n'y a plus d'enfermement dans la relation. C'est un regard de l'image et de l'imaginaire, venu s'immiscer dans les failles du visible.<br />
<br />
La fragmentation du visible raconte l'histoire d'un détournement de fonds, d'une place laissée à l'absence, au hors champ, à un travail, non plus de signification, mais de t<i>ranspertion</i>. La déconstruction n'est autre qu'une entreprise de <i>transpertion</i>. Lorsque nous usons du mot "transpercement", il faut aussi entendre le <i>traversement</i> de l'encre dans le papier imprimé - ce que pointe l'"insistance" photographique. L'image et le papier demeurent des surfaces sensibles. Et si nous retenons ce mot de <i>transpertion</i>, c'est afin de marquer la déconstruction comme un mouvement allant de l'extérieur vers l'intérieur ressortant vers l'extérieur, un mouvement de sortie <i>par derrière</i> révélant une lecture possiblement inversée, depuis un autre angle de vue, depuis un renversement de la signification et depuis une accentuation venant mettre à mal le mot et l'image. Cette<i> transpertion</i> diffère de la rature telle qu'elle fut pensée par Heidegger puis par Derrida en ce qu'elle ne démantèlerait pas la signification <i>de face</i> ou depuis sa surface mais <i>en son enver</i>s - lui portant pour ainsi dire et au final "un coup dans le dos" - en la traversant et en la donnant à lire <i>de l 'autre côté</i>, en la retournant en quelque sorte. Si le regard déconstruit le visible - se déconstruit en déconstruisant - , c'est toujours pour dire et signifier que le voir ne peut s'en tenir à la surface du voir. Le voir transperce le jour.<br />
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"On serait bien en peine de désigner exactement où ça consiste dans l'image". (Bergala). Il est impossible, avec l'image, de déterminer où ça se joue, où ça se situe<i> précisément</i>. L'image échappe à toute indexation et à toute catégorisation. Elle est la dénonciation du faux supplément, de tout ce qui viendrait plaquer le sens sur le sens. Ce qui est important, c'est ce qui est retiré du sens, ce qui manque, ce qui a disparu dans l'image. Ce que l'image évoque n'est pas visible. Il y a quelque chose qui est arrivé au regard et depuis, ce n'est plus visible. Et depuis, le jour ne ressemble plus au jour. Qu'est-ce qui est arrivé? Et qu'arrivera-t-il si le jour n'a plus rien à voir avec le jour, si écrire et photographier c'est témoigner <i>pour</i> ce qui n'a plus rien à voir, pour <i>celui ou celle qui n'a plus rien à voir</i>?<br />
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Anne-Lise Large, <i>La brûlure du visible</i>, photographie et écriture, L'Harmattan, 2012.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-56291799232031185932014-12-02T07:20:00.001-08:002014-12-02T07:27:38.443-08:00Mise à nu<br />
Rubriques:<i> art et photographie, photographie du XIXe, Société et photographie</i><br />
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Au début du XIXième siècle, la représentation du corps humain nu s'inscrivait dans la continuité d'une longue tradition picturale et sculptée où se mêlaient, au-delà de la seule reproduction naturaliste, enjeux philosophiques - la confusion entre beauté et vérité - , sacrés - le choix d'une figuration idéale de la divinité - et moraux- la transmission d'un modèle juste aux jeunes artistes. L'enseignement académique, depuis la fin du XVIIe siècle en France, avait encadré étroitement la conception du nu dessiné, sculpté ou peint, en contraignant le jeune artiste à un lent apprentissage où son oeil et sa main, mais aussi son esprit, étaient progressivement entraînés à copier d'après l'art antique et renaissant par l'entremise des dessins, des gravures et des moulages. L'accès à la classe "modèle" n'était permis qu'à ceux des jeunes artistes qui avaient donné des gages d'habileté et de savoir, mais aussi de compréhension et de soumission aux canons antiques. Le modèle vivant, lui même, calquait ses poses sur celles des oeuvres antiques et renaissantes; la vie, ainsi, était inféodée à sa représentation. La justesse des proportions du corps, le rendu de la symétrie, l'attache des muscles et des tendons au squelette s'apprenaient au regard d'une représentation antérieure, faisant référence, comme le prônait Sébastien Bourdon au milieu du XVII ième siècle: "Il seroit à souhaiter, qu'après avoir dessiné une figure d'après nature et y avoir mis tout ce qu'il savoit faire, le même étudiant fit un autre trait de cette figure (le Doryohire de Polyclète) sur un papier à part. (...). Qu'il vérifiât ensuite, le compas à la main, si ce qu'il avoit dessiné d'après nature étoit dans les mesures que donnoit l'antique." Par extension, en rappel aux règles d'enseignement promulguées par l'institution, une "académie" désignait, depuis le XVIIIe siècle, "l'imitation d'un modèle vivant, dessiné, peint ou modelé".<br />
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Cette nature idéale, copiée sur les modèles antérieurs, était révélation. La beauté du corps était celle de l'âme. L'allégorie de la "vérité" possédait, depuis la Renaissance les attributs codifiés par Cesare Ripa: "La vérité une beauté toute nue qui tient dans la main droite un soleil qu'elle regarde (...). Elle est peinte toute nue pour montrer que la naïveté lui est naturelle et qu'elle n'a pas besoin d'explication pour se faire entendre. (...) Etant cette Sapience immortelle à qui rien ne peut résister, elle est plus forte par conséquent que toutes les choses au monde." Le dessin, épure de la peinture selon Giorgoi Vasari, visait au dévoilement de cette beauté cachée. La démarche artistique était, par essence, épiphanique.<br />
La beauté était d'essence divine et sacrée; elle s'élevait, comme le rappelle Pline, au-delà de la nature singulière. Pour peindre Hélène dans le temple de Junon Lacinienne, à Crotone, le peintre Zeuxis "examina leurs jeunes filles nues et en choisit cinq, pour peindre d'après elles ce que chacune avait de plus beau". Le nu idéal, bien qu'image de la vérité, en semblait ainsi moins le reflet que l'assemblage. C'est au regard de cette recomposition d'une beauté factice que se comprenait l'anecdote de Phryné, célèbre depuis l'Antiquité et qui prit, dès le début du XIXe siècle, une importance nouvelle, liée étroitement aux enjeux de représentation de la nudité. Phryné, courtisane athénienne du IVe siècle avant Jesus-Christ, était célèbre pour sa beauté si éclatante que le sculpteur Praxitèle l'avait élue pour seul modèle de la Vénus que lui avaient commandé les habitants de Cos; ceux-ci, choqués par la nudité de la déesse, la refusèrent. L'oeuvre fut acquise par la ville de Cnide, où elle devint selon Pline, l'une des sculptures les plus admirés du monde. Conduite devant l'aéropage d'Athènes, pour répondre d'une accusation d'impiété, Phryné fut, au seul vu de sa beauté dévoilée, libérée par les juges. La perfection de sa plastique répondait ainsi de celle de son âme et de sa foi. Beauté physique et morale étaient ainsi indissociables.<br />
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Fondement de l'enseignement artistique, le nu était au service du genre pictural le plus noble, celui de la peinture d'histoire. La représentation de la nudité féminine visait, de puis la Renaissance, à l'illustration des divinités mythologiques -Vénus, Danaé - ou de scènes issues de l'Ancien Testament - Suzanne au bain observée par des vieillards, Bethsabée à sa toilette. Les peintres du XVIIIe siècle français donnèrent à leurs amours des dieux des allures légères et vaporeuses, non dénuées d'érotisme. L'élévation morale avait fait place à une séduction libertine, reflet des goûts de la cour de Louis XV. Le renouveau de la peinture d'histoire dans la seconde moitié du XVIIIe siècle tendit à moraliser les représentations en exaltant l'exemple de la vertu. Aux amours des dieux se substituèrent des scènes puisées dans l'histoire de la République romaine. La référence à l'Antique se teinta aussi, à la suite de Johann Joachim Winckelmann, auteur d'une première histoire de l'art de l'Antiquité, parue en 1763, d'une grâce suave et délicate. Les représentations du couple que formaient Psyché et l'Amour, Apollon et Hyacinthe, Endymion, mollement allongé dans l'attente de Séléné, s'en nourrirent.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-AxpsvX3s96o/VH3TcRRoAPI/AAAAAAAAApQ/qAWkH9jZfkk/s1600/34045.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-AxpsvX3s96o/VH3TcRRoAPI/AAAAAAAAApQ/qAWkH9jZfkk/s1600/34045.jpg" height="261" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">François Boucher, L'Odalisque, vers 1845. Huile sur toile.</td></tr>
</tbody></table>
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La présentation de<i> La Grande Odalisque</i> de Jean-Auguste Dominique Ingres au salon de 1819 marqua une rupture. Peint en 1814 pour Caroline Murat, la soeur de Napoléon Bonaparte, alors reine de Naples, le tableau ne fut pas livré à sa commanditaire, à cause des évènements politiques qui avaient conduit à la destitution de son époux. La pose rappelait celle des nus allongés de la Renaissance et du XVIIe siècle, la souplesse des lignes de son corps celles des nus d'Antonio Canova; aucun sujet précis, néanmoins, n'avait présidé à sa conception. Cette femme étendue n'évoquait aucune divinité. Le chatoiement des tissus sur lesquels elle était lovée, le turban enserrant ses chevaux, l'éventail de plumes dans ses mains renvoyaient à un Orient imaginaire qui magnifiait sa sensualité. Bien que détaché de références mythologiques, le nu ingresque avait été admis au Salon et adoubé par une critique académique - malgré les reproches faits au peintre pour la déformation anatomique du dos.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-jqnvLdXy--8/VH3R2PflSdI/AAAAAAAAAo8/RBmwM84lTFQ/s1600/34043.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-jqnvLdXy--8/VH3R2PflSdI/AAAAAAAAAo8/RBmwM84lTFQ/s1600/34043.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Jean-Auguste Dominique Ingres, <i>La Grande Odalisque</i>, 1814. Huile sur toile.</td></tr>
</tbody></table>
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Le modèle d'Ingres inspira de nombreux artistes à sa suite, tout au long du XIX siècle. La représentation du nu féminin devint ainsi un genre pictural en soi. Moins que la conformité du sujet, souvent à peine mentionné par le titre des oeuvres, comptait celle de la manière, soumise à la ligne du dessin et à l'aspect lisse du marbre, bannissant ainsi accidents, aspérités, poils et ombres. La référence antique était passée du sens à l'intention; l'apparence, seule, continuait à faire parangon. La chair était gommée; la femme s'effaçait derrière le modèle.<br />
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L'invention de la photographie, en 1839, et son essor au cours des années 1840 jouèrent un rôle essentiel dans la perception du nu peint, sur le plan esthétique comme sur le plan moral. Assujetti à la présence du modèle devant l'objectif, le nouveau procédé ramenait la femme réelle au sein de la représentation. Cette intrusion fut d'autant plus forte que les photographes puisèrent au répertoire des poses dictée par l'antique et par la peinture académique.<br />
L'histoire de la photographie de nu est relativement récente. Longtemps, les historiens de l'art ont ignoré ces images, trop séduisantes ou trop scabreuses pour avoir droit de cité. Ils donnaient ainsi raison à Emile Bernard, inspecteur d'académie, qui, à la fin de XIXe siècle, soulignait:" Le nu, qui est le fond nécessaire des arts du dessin, de la sculpture et de la peinture, serait, en photographies, inavouable." Plusieurs études sont venues, au cours des vingt dernières années, corriger ce retard et tenter de rendre au nu photographique sa juste place entre création artistique et délectation érotique. La question demeure troublante: la reproduction photographique d'un corps nu, féminin, ne se donne pas à voir, à contempler ou à étudier comme une image quelconque. La frontière entre académie - une étude destinée à la peinture, par analogie aux études d'après nature, devant modèle, réalisées par les élèves de l'Ecole des beaux arts - et objet érotique est imprécise et hasardeuse. En 1882 encore, Champfleury distinguait dans son Introduction à l'Exposition des Beaux-Arts de 1882 ce qu'il appelait des "nudités élégantes à la parisienne"- les images érotiques ou du moins coquines - des académies.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-GqDSi0pJ7qk/VH3UNXL0hgI/AAAAAAAAApY/RXyBJu6NNjg/s1600/34042.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-GqDSi0pJ7qk/VH3UNXL0hgI/AAAAAAAAApY/RXyBJu6NNjg/s1600/34042.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Anonyme.<i> Femme nue vue de dos</i>, vers 1850, daguerréotype.</td></tr>
</tbody></table>
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La question du genre est, comme l'a montré Sylvie Aubenas, particulièrement délicate à aborder pour le daguerréotype. Voire dangereuse. Pour l'avoir négligée, le photographe Felix-Jacques Moulin fut, en 1881, condamné à un mois de prison et à 100 francs d'amande, après avoir réalisé des images licencieuses - sans doute des daguerréotypes stéréoscopiques. Il est à noter que le vendeur - l'opticien Malacrida - fut plus lourdement condamné que le photographe. Plus que la création, c'est la circulation et la publicité de ces photographies qui étaient alors stigmatisées par la loi et les tribunaux. La publicité que Moulin avait fait paraître dans la Lumière le 11 mai 1845 entretenait une ambiguïté de fait entre sujets d'étude pour artistes et images érotiques; elle indiquait en effet, confondant les deux destinations en une seule phrase: "Daguerréotype. Portraits de jolies femmes et sujets de fantaisie pour montre. Etudes d'après nature pour artistes. Moulin, 31 bis rue du Faubourd Montmartre. Expédie en province et à l'étranger."<br />
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La nature du daguerréotype - image unique, non reproductible, assez coûteuse - ne facilitait pas sa diffusion vers les artistes en recherche d'un modèle ou souhaitant conserver la pose des modèles dans l'atelier. L'objet daguerréotype, précieux, enfermé, enchâssé dans un écrin était lui-même l'évocation de cabinets secrets, de lieux de plaisir où le spectateur se faisait voyeur. Voyeurisme encore décuplé avec l'apparition, vers 1850, du daguerréotype stéréoscopique, mis au point par David Brewster puis perfectionné et diffusé en France par le photographe Jules Duboscq, son beau-père l'opticien Soleil et l'abbé Moignot.<br />
A travers les lunettes du stéréoscope, la vision se fit plus intime, plus solitaire. Créant l'illusion du relief, l'appareil, simple d'utilisation, rendait le corps dans toute sa réalité, dans ses lignes et ses courbes, ses rondeurs et ses creux. La colorisation de ces images renforçait, non seulement le désir de réalité, mais aussi l'aspect précieux de la photographie. Grâce au coloriste - une femme le plus souvent, du fait de la minutie que nécessite la pose des pigments sur la plaque -, bijoux et diadèmes se paraient d'or et de gemmes, les carnations se firent chair et rose. La richesse des intérieurs, l'abondance des étoffes et des voiles, la multiplication des accessoires, la complexité de la mise en scène laissent peu de doute sur la nature de la plupart des daguerréotypes de nu. Plus qu'aux artistes, c'est aux amateurs qu'ils était destinés, pour le plaisir du regard et la beauté de la chair. Leur référence, cependant, était picturale, évoquant les fantasmagories d'un Orient ingresque, éveillant le souvenir sensuel d'une toile de François Boucher. L'accord entre médium et sujet, mode de vision et objet, était parfait, garantissant aux daguerréotypes stéréoscopiques un franc succès, qui ne se démentit pas tout au long des années 1850, malgré l'avènement de la photographie sur papier, qui avait alors supplanté le procédé de Daguerre.<br />
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Il y eut aussi, au-delà de ces images, friponnes et coquines, une réalisation assez large de daguerréotypes plus franchement érotiques, voire pornographiques, où la délectation sensuelle laissait le pas à la représentation de l 'acte sexuel, le dévoilement à la crudité. Ces daguerréotypes pornographiques étaient les héritiers, dans leur genre et leur nature, des gravures licencieuses du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Pourtant, la représentation photographique transgressait celle de la gravure; même affirmée, la pornographie de l'estampe était mise à distance par le burin ou l'acide. L'objectif et la plaque sensible du photographe rendaient la scène dans sa crudité même: ce qui était montré <i>avait été</i>, au-delà de tout fantasme de peintre ou de graveur. La nouveauté de ces images bouleversait les codes de la représentation de la nudité. Elles constituaient, désormais, un arrière-plan sulfureux de toute reproduction du corps nu.<br />
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Le nu artistique, académique, fut l'un des premiers sujets abordés par les daguerréotypistes en France. Dès 1843, Nicolas-Paymal Lerebours, opticien et photographe, indiqua dans son <i>Traité de photographie</i> qu'il avait, en 1841, réalisé plusieurs photographies de nu à destination des artistes: "Les premières académies que nous fîmes il y a deux ans eurent quelque succès, , et le plus grand nombre se trouve entre les mains des premiers artistes (...)." L'idée de substituer au dessin et à la gravure le modèle photographique fut ainsi presque contemporaine de l'invention. En 1850, Eugène Delacroix notait dans son Journal: "Laurens m'apprend que Ziegler fait une grande quantité de daguerréotypes, et entre autres des hommes nus. J'irai le voir pour lui demander de m'en prêter." Ni les uns, ni les autres n'ont apparemment été conservés, ou du moins retrouvés, hélas. Cependant, si la majorité des daguerréotypes de nu relevaient du genre érotique, plusieurs images s'apparentaient aux études d'après nature destinées aux artistes. ces oeuvres obéissaient à une économie de détails et de mise en scène; ni drapés, ni bijoux, ni vases ou parfums évoquant la promesse d'un gynécée. L'effort du photographe avait porté sur l a composition de l'image, l'étude des lignes, le choix des ombres afin de magnifier la pose du modèle.<br />
Le trouble devant ces premières photographies de nu, quelque soit le genre dont elles relevaient, naissait de la présence du modèle devant l'objectif, de la réalité d'une femme vivante alors. La photographie, en figeant un instant avéré et disparu, liait érotisme et mort, dans le double mouvement que souligne Georges Bataille: "Tel est le propre à la fois de la mort et de l'érotisme. L'une et l'autre en effet se dérobent: Ils se dérobent dans l'instant où ils se révèlent..." L'émoi naissait aussi du hiatus entre la nature de ces images, objets de délectation, et leur iconographie, qui obéissait aux canons de la peinture académique de leur temps. Cette double fidélité à la réalité et à l'idéal dérangeait en éludant la distance entre la représentation de la chair. Les daguerréotypes de nu inventaient un oxymore esthétique, celui d'une chair réelle et vraie, image d'un corps vivant mais aussi le reflet d'un fantasme chimérique, reproduction d'un corps existant soumis aux canons académiques.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-xTpooMoQRlI/VH3WPtrFtCI/AAAAAAAAApk/5ctcIx0bgsE/s1600/Copie%2Bde%2B34044.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-xTpooMoQRlI/VH3WPtrFtCI/AAAAAAAAApk/5ctcIx0bgsE/s1600/Copie%2Bde%2B34044.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bruno Braquehais,<i> Nu féminin allongé de dos</i> (détail), vers 1856, daguerréotype.</td></tr>
</tbody></table>
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-Ep3_1Nvsw1I/VH3WxO4q3aI/AAAAAAAAAps/TjZ74if85Uc/s1600/34044.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-Ep3_1Nvsw1I/VH3WxO4q3aI/AAAAAAAAAps/TjZ74if85Uc/s1600/34044.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bruno Braquehais, <i>Nu féminin à la coiffure de perles</i> (détail), vers 1858.</td></tr>
</tbody></table>
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Ce fut la photographie sur papier, qui grâce à la diffusion des épreuves, donna au nu photographique sa place esthétique, mais aussi morale et juridique. Le modèle, personnage familier du monde artistique, sortait des murs de l'atelier. L'ambiguïté entre images académiques et érotiques semblait d'autant plus grande que le nouveau procédé se plaçait, depuis son invention, comme reflet exact du réel. La femme ainsi représentée par le photographe, quelles que fussent sa pose - inspirée de l'antique ou de la peinture renaissante - , la qualité de la lumière ou l'intention du photographe, s'était déshabillée avant de passer devant l'objectif du photographe. La photographie révélait combien la femme pointait sous le modèle, ce que la peinture pouvait, grâce au recours de l'artifice, dissimuler. En 1889, Paul Dolfuss dans un ouvrage dédié aux<i> Modèles d'artistes</i> remarquait: "Les belles filles qui posent l'ensemble (le nu) (...) gâtent souvent la beauté de leur corps par une déplorable laideur de leur tête. Elles ne sont guère tentantes malgré la pureté de leurs lignes....<br />
Le décret sur la presse du 17 février 1852, qui reprenait des textes règlementant depuis 1819 la vente des peintures, gravures et dessins "contraires aux bonnes moeurs", fut utilisé par les autorités pour tenter de régler la création, l'exposition à l'étalage et la vente des images photographiques licencieuses. Un registre conservé à la préfecture de police de Paris, rassemblant les différents procès-verbaux dressés par la maréchaussée parisienne jusqu'en 1869, met en évidence la difficulté qu'eurent les agents de police à déterminer clairement la frontière entre images licencieuses et bienséantes. L'ambiguïté tenait autant à l'intention première du photographe - le choix de la pose, celui du modèle, la conception du décor et de la lumière - qu'à sa perception par les contemporains. En 1852, la démarche volontariste de Félix-Jacques Moulin dit combien l'intention de l'auteur comme la référence à des poses proches de celle de la peinture ne garantissaient pas d'échapper aux poursuites éventuelles. Afin de se prémunir contre une condamnation, il anticipa l'obligation de dépôt légal - qui ne fut promulguée formellement que dans les années trente pour les photographies -, en déposant à la Bibliothèque nationale deux épreuves, dont l'une représentait une jeune femme nue debout, ses vêtements épars autour d'elle. Leur enregistrement comme <i>Etudes d'après nature</i> - mention indiquée aussi en légende des images - formalisait leur destination artistique.<br />
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Dominique de Font-Réaulx, <i>Peinture et photographie</i>, les enjeux d'une rencontre,, 1839-1914, Flammarion, 2012.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-10516079345481102922014-11-17T08:41:00.000-08:002014-11-17T08:41:09.368-08:00"Qu'est-ce qu'un critique?"<br />
Rubriques: <i>art et photographie; société et photographie.</i><br />
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Un critique d'art est celui qui s'est placé dans la pensée par les formes, comme le mathématicien s'est placé dans les concepts de grandeurs calculables, ou comme le moraliste réfléchit sur les conduites à tenir, ou comme le philosophe médite sur les conditions de possibilité du réel. Chacun son domaine: la marque de l'art réside dans la démarcation.<br />
Il faut commencer par là. Car "il faut savoir de quoi l'on parle... Cette requête permanente - distinguer entre le sens interne ou propre et la circonstance de l'objet dont on parle - organise tous les discours philosophiques sur l 'art." (J.Derrida).<br />
En d'autres termes, le domaine d'un critique n'est pas un produit de société, tel le sport, le commerce et les transports. "L'art commence là où l'oeuvre se détache du produit." (T. Adorno).<br />
Il s'agit de formes. Personne ne s'occupe des formes pour ce qu'elles sont, sinon l'art. C'est important les formes. "Ce qui n'a pas de forme esthétique n'a pas d'autre destination que sa propre existence." (J. Hersch).<br />
L'accès aux choses par leur forme est d'une telle évidence que nous oublions de nous retourner vers elle pour en prendre conscience. Il y faut un sursaut de l'esprit, un choix, un effort. Le critique d'art est là pour cela.<br />
"Les bêtises proférées devant les tableaux sont dues à l'incapacité pour beaucoup de personnes d'avoir une pensée qui voit ce que les yeux regardent. Leurs yeux regardent et leur pensée ne voit pas. Elle substitue à ce qui est regard des idées qui leur semblent "intéressantes". Ces personnes ne peuvent avoir une pensée sans idée, c'est-à-dire une pensée qui voit, et par là même ils ne connaissent pas le mystère qu'une telle pensée évoque." (R.Magritte). Il semble qu'il y ait des gens qui soient peu sensibles aux formes, comme il y a des gens qui ne sont pas bons en mathématiques. Que dirait-on d'une critique d'ouvrage de mathématiques qui ne parlerait que de la qualité de la mise en page? Chaque grand domaine de l'esprit a ses paradoxes. En esthétique il en est un que la critique ne peut contourner. C'est que la théorie ne peut rien conclure sur la manière de faire des oeuvres d'art, et que, d'autre part, des oeuvres d'art on ne peut rien déduire qui autorise à modifier les vérités établies par la théorie.<br />
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L'art ne saurait souffrir d'aucune règle. Il peut être n'importe quoi. Mais "toujours d'une certaine façon." (M.Duchamp). Cette "façon" n'est pas d'exprimer une idée (qui serait alors une règle) mais de rester dans le domaine des formes, sans autre raison et sans autre but. Le critique est là pour veiller à ce qu'il en soit, autant que possible, ainsi.<br />
Tout art authentique est un combat contre les parasites venus d'ailleurs. S'il se fait happer par des considérations mondaines, il se laisse alors envahir par des discussions sur les goûts personnels, physiologiques, ceux dont il est vain de discuter. Une oeuvre belle l'est pour tout le monde. On met parfois des siècles à s'en apercevoir. Mais on a mis des siècles à s'apercevoir que la terre tournait autour du soleil: ce n'est pas un argument contre les vérités astronomiques. Le critique doit éveiller à ces prises de conscience. Il doit savoir qu'autour de l'art sont tapis des concurrents prêts à bondir pour prendre sa place.<br />
Ainsi la sociologie. "L'hégémonie hante comme un impensé la sociologie, implicitement sommée d'englober dans son discours tous les autres discours, d'intervenir sur tout les terrains, d'occuper tout l'espace des positions possibles sur tous les objets possibles (...) renoncer à l'hégémonisme sociologique, c'est permettre l'émergence d'un autre modèle du savoir, où les disciplines sont chacune leur modèle et pertinence." (N.Heinich).<br />
Engagé dans la défense de l'art le critique se doit de juger les oeuvres. Sans critères repérables l'art se dissoudrait dans l'infini des possibles, s'il n'était dans sa nature d'être jugé. "Nous ne pouvons caractériser une oeuvre d'art sans en même temps l'évaluer." (A.Danto). "Ceci est de l'art - disent les énoncés - mais ce qui fait que ceci est de l'art n'est pas un énoncé, c'est un jugement. C'est le jugement esthétique: il n'énonce pas un statut mais juge d'une qualité." (T.de Duve). "La perception esthétique a un caractère essentiellement évaluatif. Comprendre un objet esthétique signifie juger dans quelle mesure il est beau." (M Seel). "L'attention esthétique est essentiellement évaluatrice." (R. Rochlitz).<br />
Le critique n'a aucun concept pour juger les oeuvres mais il a pour cela un champ de comparaisons, c'est le Musée Imaginaire.<br />
Celui-ci s'oppose à l'histoire de l'art, qui est faite du tissu des explications extérieures aux oeuvres. Elle est un réseau d'influences. Or, "si la philosophie de l'art a toujours le plus de mal à terminer l'histoire de l'art, c'est parce qu'elle pense trop facilement l'art comme historique." (J. Derrida). L'histoire de l'art n'a peut être à se décliner que comme une "histoire d'effets littéralement pervers, c'est-à-dire dirigés vers quelque chose pour s'en aller vers autre chose." (G. Didi-Huberman). Ainsi "tout discours qui prétend juger de la photo en fonction de ses appartenances historiques n'aura pas sur elle de prise véritable." (H. Damisch). Ou: "ce qu'on appelle l'histoire de la peinture n'est qu'une histoire contextuelle, ce n'est pas une histoire de l'espace pictural." (E.Escoubas). Car "le temps historique donne la maîtrise que nous exerçons sur les choses dans le temps. Mais ce qui ne relève pas de cette maîtrise est aussi un réel, un réel qui échappe à la pensée par l'histoire et le sens." (M.Le Bot). En effet, "une oeuvre d'art peut être importante du point de vue historique, sans être capable de donner lieu à une expérience esthétique intense." (R.Rochlitz). Et "l'histoire de l'art ne peut définir l'art qu'à la manière d'un emballage." (R. Shusterman). Au fond, "c'est de la portée esthétique que dépend la légitimation du rôle historique qu'on attribue à une oeuvre". En somme: "c'est une erreur grave et courante d'imposer aux oeuvres d'art une classification par périodes ou par écoles. On ne classe alors, en réalité, que des produits culturels qui appartiennent, en effet, aux phénomènes de la réalité historique. Mais ce qu'il y a d'art dans les oeuvres est indépendant de ces contextes. L'art de l'oeuvre est toujours un geste d'espace-matière." (J.-F.Lyotard).<br />
<br />
Là où le critique s'engage ce n'est pas l'histoire de l'art, même contemporaine, c'est le Musée Imaginaire. Ici l'oeuvre n'est plus à la rencontre de tout ce qui vient d'au-delà d'elle-même. "Il y a l'histoire de l'art. Mais une histoire de la présence? Il n'y en a pas, il ne peut y en avoir. Chaque grande oeuvre est une naissance." (J. -F. Lyotard). Le Musée Imaginaire est le lieu des dialogues (les Voix du silence), des tensions, entre les oeuvres, chacune ramenée à sa simple réalité matérielle et objective.<br />
Bien loin d'être le prétexte à un éclectisme le Musée Imaginaire est l'espace des affrontements plastiques, musicaux, poétiques. de même qu'il n'existe de phénomènes magnétiques que dans un champ magnétique, il n'est de jugement esthétique possible que dans le champ du Musée Imaginaire. Le critique qui ne s'y place pas consciemment est hors champ. Plus le champ est intense et plus grande est l'amplitude entre les jugements.<br />
Cela ne le dispense pas d'avoir une culture, au contraire. Aucun art ne peut vivre sans une certaine conscience de ce qu'il fut."Parmi toutes les facultés le goût est celle qui, parce que son jugement ne peut être déterminée par concepts et prétextes, a le plus besoin des exemples de ce qui a reçu le plus longtemps des éloges au cours de la civilisation." (E.Kant). Depuis bien longtemps, en effet, car: "Dans l'innocence des commencements, il y eut pendant des millénaires une forme native d'art pour l'art." (M. Lorblanchet). L'art africain n'a été reconnu en Europe qu'au début du vingtième siècle, quand on a commencé à le regarder pour de bon...<br />
Les Africains, eux, l'appréciaient depuis des siècles.<br />
Sensible au dialogue immédiat des oeuvres à travers l'espace et le temps, le critique est aussi tourné vers l'avenir. Il est pris dans un combat, semblable à ceux que le passé a connus.<br />
Aujourd'hui, ce critique, que trouve-t-il devant lui?<br />
Deux phénomènes principaux.L'un encourageant, l'autre déprimant. Le premier est l'extermination de l'idéologie artistique ("l'avant-garde) réglée sur la chronologie. On s'est demandé "par quelle étrange aberration l'art s'était livré au temps, quand sa fin la plus haute a toujours été de se libérer de son emprise?" (J.Clair). Cette idéologie s'est épuisée, effritée, comme, avant elle, celle de l'imitation de la nature ou celle de l'expression personnelle. Voilà qui ouvre une magnifique espérance. Sera-t-il enfin possible de faire de l'art débarrassé des fausses doctrines? Pleinement libre?<br />
Mais peut-être est-ce là une utopie? Une illusion comme celle de la naïve colombe qui croyait que s'il n'y avait pas d'air elle volerait mieux. L'art a besoin du mensonge, a-t-il besoin des erreurs de la théorie?<br />
Et en effet, le second phénomène, négatif celui-ci; quel 'art et surtout la critique contemporaine régressent vers les vieilles âneries dont on croyait s'être débarrassé. Ainsi de mettre des idées à la place des normes, croire pouvoir expliquer l'art par l 'apport des sciences humaines, en confondant les causes et les conditions. Les conditions d'une plante sont la lumière, l'eau, etc... Sa cause c'est sa graine. La cause d'un tableau c'est d'autres tableaux.<br />
Dans l'antique combat, intime et pour cela profond, entre l'art et la société, la société a lancé une puissante contre-attaque. Et de même la philosophie du sens, qui trouve sa limite au seuil du domaine del 'art, mais qui volontiers l'annexerait.<br />
Dieu merci l'art est là pour rappeler que "la sémantique est l'incarnation de l'illusion idéaliste." (P. Veyne).<br />
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En ce combat la position du critique est difficile car il est un communicant, mais un communicant d ce qui ne communique pas. L'art établit une relation de face à face, non de communication. Mais, hélas! "la communication est le cancer généralisé de la culture contemporaine." (B.Lamarche-Vadel). "Elle infecte l'art." (M. Le Bot). "Quel rapport entre art et communication: aucun." (G.Deleuze). En effet, "l'art n'est pas la communication d'un ensemble de significations que l'on pourrait toujours rattacher à une faculté psychologique et traduire en concepts; les dégâts que cause à l'art le préjugé selon lequel sa vérité dépend de la nature du message qu'il transmet s'aggravent aussitôt avec le déclin de la philosophie et de la religion (...) Ce qu'il faut c'est pourchasser ce préjugé jusque dans les recoins les plus obscurs de la modernité, là où il continue d'exercer son influence corruptrice mais si astucieusement camouflée sous les idéaux en vogue que seul un oeil averti réussit à le débusquer, pour l'extirper de façon définitive." (J.Grenier).<br />
Il y a donc beaucoup à faire pour se mettre, soi et les autres, dans le seul site proprement humain de la mise à distance par une pensée consciente. L'homme, qui n'était déjà plus qu'un préposé au fonctionnement des machines, fait désormais partie intégrante du réseau. Mais l'art doit, ou devrait, lui donner une chance d'en sortit pour se mettre en face de l'altérité du monde.<br />
Pour l'y aider, le critique souffre cependant de graves handicaps. Non seulement parce qu'il doit se servir de mots pour parler de formes, et qu'il ne bénéficie pas, comme le mathématicien, d'un langage de symboles adaptés à son objets, mais parce que la plus grande partie de la critique est déjà faite entre les oeuvres elles-mêmes. La seule vraie façon de parler d'une oeuvre d'art c'est d'en faire une autre. "L'art pense et se pense très bien lui-même à travers ses oeuvres." (A.Badiou). Et "les jugements esthétiques sur l'art qui proviennent de l'intérieur même de l'art ont une autorité dont la pénétration est rarement égalée par ceux qui viennent du dehors." (G.Steiner).<br />
Mais "le mot et l'image se cherchent éternellement." (Goethe). Alors il faut s'y résoudre: ce que dit le poète et ce que dit le penseur n'est jamais identique. Mais ils peuvent dire la même chose de manières différentes. Ceci ne réussit cependant que lorsque l'abîme entre poésie et pensée reste béant, net et bien tranché. Ce qui arrive toutes les fois que "la poésie est haute et le pensée profonde." (M. Heidegger).<br />
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Le critique se trouve donc en position d'humilité. Puisqu'il faut abandonner l'espoir que "la pensée du philosophe sache répondre aux oeuvres de l'art comme un geste répond à l'autre" (G.Didi-Huberman), la pensée du critique vient toujours en second. Elle est nécessairement une pensée par concepts mais totalement tendue vers une pensée par les formes qu'elle veut faire partager.<br />
L'humilité propre à la critique, sa condition de toujours venir en second, est inséparable de sa dignité d'aider l'art à tenir sa place dans un monde menacé par l'utilité et le divertissement. L'art nous ouvre le cosmos au travers du chaos. "C'est grâce à l'art que nous parvenons à construire et à organiser le monde de nos perceptions, de nos concepts et de nos intuitions." (E.Cassirer). "Un monde sans oeuvre d'art serait tout simplement un monde dans lequel il n'existerait pas encore le principe de réalité (...) En émergeant, il fait du même coup accéder le principe de réalité à la conscience des hommes" (A.Danto). "L'art, c'est-à-dire la pensée qui se pense à travers la création, la vision et la représentation des formes concrètes, est le véhicule naturel de l'approche du monde." (J. Patocka).<br />
L'art rend présent, et la comédie sociale est son ennemie.<br />
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Jean-Claude Lemagny, <i>Silence de la photographie</i>, L'Harmattan, 2013.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-87120120758735676452014-11-04T04:31:00.000-08:002014-11-04T04:31:48.963-08:00photographique et kaléidoscopique<br />
Rubriques: <i>fiction, récit et photographie; lecture de photographies; photographie contemporaine; paysage.</i><br />
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A travers la photographie contemporaine la ville apparaît comme un composé baroque de formes, de forces, d'espaces. La superposition et l'enchevêtrement complexe des éléments épars constituent le "site". Dans beaucoup d'images les composés hétéroclites et contradictoires de l'espace aboutissent finalement à une scène homogène par la condensation iconique. D'autres images, <i>a contrario</i>, insistent sur la dissension entre les éléments de la composition, ce qui engendre une décomposition de la visibilité de la ville. Dans tous les cas, en suspendant le "regard" la photo restitue l'extraordinaire métissage de la ville, pas seulement ethnique mais plus général, chronique, entre<i> les composés de la matière urbaine</i>. Un mélange radical où les symétries et les dissymétries des formes se jouent selon des strates mouvantes. En ce sens on peut avancer la formule suivante: univers de composition de la ville = figures urbaines + formes humaines + machines + végétation citadine + images publiques. Cette addition d'objets est intelligible dans un mouvement quotidien qui paraît être une <i>pulsion de la ville</i>.<br />
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Cette formule magique et mathématique est à l'oeuvre dans la photographie urbaine, elle en est le ressort contingent. Cependant, l'image fige l'ébullition des matières et permet d'en distinguer chaque élément. Cela rend le mélange étrange puisque le fondu-enchaîné des composés est comme stoppé net et brutalement, restituant l'aspect sauvage et isolé des éléments fragmentaire de la ville. Tout est situé sur le même plan et en même temps rien ne s'ajoute complètement, car tout est séparé, chaque figure est souveraine et solitaire (contrairement au cinéma qui "fond" les figures dans l'enchaînement narratif, même déconstruit). D'où une poétique de la surprise, de l'incongruité des éléments du réel dans leur voisinage paradoxal. On se souvient de la métaphore de Lautréamont, reprise par les surréalistes, sur la beauté de la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection. D'une certaine façon les photos contemporaines sur la ville nous offrent un spectacle similaire, à ceci près que cela passe inaperçu, reste presque imperceptible, cela réside dans une intensité discrète. Plus les choses agençant le tissu urbain sont secrètement étrangères les unes aux autres, plus la ville paraît magique.<br />
Milan Kundera à propos des<i> Palmiers sauvages</i> de Faulkner parle d'une "composition urbaine" puisque s'y alternent des récits "qui n'ont rien en commun, aucun personnage et même aucune parenté perceptible de motifs et de thèmes"... Cela donne un "récit injustifiable", pourtant d'une grande beauté. Contrairement à la fiction littéraire, avec la photographie, l'arbitraire de la composition est déjà là en quelque sorte par les agencements hasardeux du réel, les stratifications urbaines. Mais l'artiste a tendance à colmater ou à accentuer les incongruités des rencontres d'éléments, selon des paramètres subjectifs qui se répercutent sur la technique de captation (production d'images pleines ou fissurées). Comme tout citadin le créateur compose sa ville avec des fragments, ce qui lui permet de s'arranger avec la densité kaléidoscopique de la grande agglomération. Face à la discontinuité urbaine de la modernité la réponse de l'habitant n'est pas forcément celle d'une demande d'unicité, de totalisation, mais peut être considérée selon les opérations hétérogènes du quotidien, dans le coup par coup, tout en sachant que la nostalgie d'une homogénéité sera toujours tenace car devenue fantasmatique.<br />
On perçoit la proximité lointaine des éléments dans un cliché de Thibaut Cuisset sur un paysage urbain. Divers objets se conjuguent dans l'image couleur: mur délabré, poutrelles métalliques, voitures à l'arrêt, façade blanche et marron d'un bâtiment qui sert de toile de fond... Bref une véritable "composition" picturale où la symétrie des lignes structure l'ensemble en un objet formel parfaitement homogène. Pourtant au sein même de cette harmonie les éléments paraissent parfaitement disjoints, isolés, emmurés dans leur autarcie. A la rigueur ces objets visibles sont étrangers les uns aux autres tout en formant une entité, un fragment de ville, un coin de rue. Dans certaines photos la beauté vient de là, de cette étrangeté de l'inassemblable, de l'inconciliable, au sein même de l'évidence du réel.<br />
On s'aperçoit que le mélange n'est pas l'identification des objets, leur absorption générale, mais au contraire aboutit à des irréductibilités élémentaires, constitutives peut être de l'alchimie des grandes villes. Chaque élément est "déplacé" dans le décor général, alors que l'ensemble de la situation (une rue déserte, des voitures) semble aller de soi. L'arrêt sur image propre à tel fragment introduit un doute quant à la somme des objets présents. Mais c'est cela qui métaphorise la banalité urbaine, la tristesse d'un coin de rue. La rencontre "obscène" en fin de compte de<i> choses étrangères</i> les une aux autres, dès lors qu'on les appréhende esthétiquement et non plus selon des fonctions techniques. Seul un regard qui a le souci des formes présentes, la maîtrise d'une technique pour les re-présenter, pourra transmettre cette étrangeté et cette beauté de l'ordinaire, de la fonction intrinsèque à la communauté.<br />
La composition et la décomposition des formes dans la ville, les figures métaphoriques qui la parcourent, nous les remarquons encore dans des images de B. Plossu, de X. Lambours ou de Martine Voyeux. Les formes de toute sorte s'échangent jusqu'au point ultime de leur superposition, de leur indétermination. Des corps s'entremêlent pour faire masse, les visages se fendent, se lézardent ou se murent (Plossu). Les espaces se chevauchent cosmiquement dans les reflets des cieux et des bâtiments absents, dans la virtualité de la carte territoriale où les hommes sont de grandes ombres chinoises (Lambours).<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-7Dxe4jt0V-U/VFjDLbqoBII/AAAAAAAAAoQ/1bzAIOmy4Dg/s1600/Xavier%2BLambours%2C%2BMunich.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-7Dxe4jt0V-U/VFjDLbqoBII/AAAAAAAAAoQ/1bzAIOmy4Dg/s1600/Xavier%2BLambours%2C%2BMunich.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Xavier Lambours, Munich.</td></tr>
</tbody></table>
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Les murs deviennent les écrans géants où sont projetés les ombres citadines, les personnages immatériels de cet espace (Voyeux). Là encore nous sommes dans un puissant <i>surimpressionisme</i> qui serait concomitant à l'aspect pulsionnel de la métropole. Les photographes auraient la possibilité technique d'imaginer les motifs d'une telle coalescence dans la fixation paradoxale du cliché.<br />
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Avec toutes ces images on comprend que la ville est un composé de stabilité et de mouvance, de matérialité des éléments architecturaux et d'immatérialité des mouvements, des flux, de la vie urbaine. La photographie urbaine se situe exactement dans l'entre-deux, à un point d'intersection entre l'arrêt-de-mort, la statufication de l'architecture, et la propagation de la socialité, les formes proliférantes du quotidien, l'échange général. On peut dire que l'invention photographique coïncide au XIXième avec une nécessité mentale double qui consiste à fixer les fragments du réel dans une véracité exorbitée, tout en suggérant que ce "réel" nous échappe en permanence, qu'il faut le laisser filer à travers les images.<br />
J.C. Bailly parle des états "fictionnant" que procure la ville à travers ses dédales, ses chicanes, ses traverses, ses pleins et ses creux, son infinité de sensations. D'une certaine façon les villes agissent comme des accélérateurs de fiction, car "par elles et en elles, nous sommes exposés à une sorte de buissonnement où ce sont moins des histoires organisées que des traces et des indices qui nous parviennent"... La métaphore photographique (ou cinématographique) est d'ailleurs permanente chez l'auteur cité, remarquant des montages, des plans fixes intenses, des réseaux d'indices, dès lors que nous parcourons l'espace urbain. On comprend le mimétisme qui existe entre la ville et l'image: la ville est-elle structurée comme l'image, ou bien est-ce cette dernière qui se structure selon les modalités de l'urbanité à partir de la "modernité", du XIXe siècle? On perçoit en tout cas l'enchevêtrement des questions et des domaines, sans pouvoir affirmer une détermination. L'<i>effet de montage</i> de la ville est en quelque sorte redoublé, réaffirmé par le reportage formel, montage sur montage, vertige des indices. La ville apparaît dans un jeu entre un ordre (structure de fixité) et un rythme (mouvements réguliers ou désordonnés), entre l'architecture et la foule. Même les immeubles ont une infrastructure matérielle fixe qui devient mobile dès lors que la population les utilise, comme le remarque le sociologue de la ville Raymond Ledrut. Certains architectes peuvent même concevoir le bâti à partir du point mobile constitué par les utilisateurs (ce qui est rare). Il faut considérer les interactions coutumières entre immobilité et mobilité urbaines, les échanges constants et discrets entre les deux pôles.<br />
Mais précisément l'apport des photographes consiste à inscrire la dynamique, le rythme urbain, dans une fixité. Certes, celle-ci paraît relative par les débordements imaginaires proposés par les images. Mais il semble que la photographie, contrairement au cinéma, renvoie par essence à <i>la fixité archaïque</i> de la Cité dans laquelle tous les mouvements et les désordres peuvent s'user. La ville est explicitement marquée comme lieu d'échange, mais aussi comme territoire de fixation des nomadismes. Il existe un aspect "mortifère" de la ville photographiée, toutes les intensités, tous les mouvements vivants se pétrifient dans le temps suspendu. Les images nous rappellent puissamment la dimension hiératique de la ville, telle l'écrasante immobilité d'un météore géant tombé sur la terre. Même si, intrinsèquement, nos villes changent, se transforment avec les travaux permanents, leur devenir-chantier, il n'en reste pas moins qu'elles constituent des masses matérielles, des <i>volumes étranges</i>, projetés là, dans l'espace, et condensés dans un point de consistance s'élargissant jusqu'à une certaine inertie.<br />
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Dans ces volumes imposants d'engendrement de formes, de forces, d'intensités, il s'agit de" faire coulisser" la ville. Les artistes du réel, contribuent par leurs images à un "panoramique" (Bailly) de la ville qui permet d'intégrer en douceur le <i>hors champ dans le champ</i>. Tout un art du feuilletage, de l'emboîtement est alors requis chez l'observateur d'une vie urbaine fluide et stratifiée en même temps. D'autant que le "hors champ" est déjà au sein du territoire, comme nous l'avons constaté, de par l'existence de nombreuses lignes de fuite, de procédures de démultiplication du réel. Un des facteurs qui me paraît primordial d'un fictionnement de l'espace urbain contemporain est la présence d'images multiples dans la ville. Phénomène épinglé par Bernard Baudin qui consacre une partie de son reportage photographique à l'effet paradoxal occasionné par la juxtaposition entre les images publiques et l'espace urbain.<br />
On voit bien avec ce travail de B. Baudin qu'un combat titanesque s'engage entre l'image implantée et l'espace urbain.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/--wUJOjlC62E/VFjEVwG-UDI/AAAAAAAAAoY/LNuv20xywHU/s1600/Bernard%2BBaudin%2B1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/--wUJOjlC62E/VFjEVwG-UDI/AAAAAAAAAoY/LNuv20xywHU/s1600/Bernard%2BBaudin%2B1.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bernard Baudin</td></tr>
</tbody></table>
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Et l'acte photographique ne peut que redoubler <i>l'effet magique</i> qui transforme l'un et l'autre univers. Ce que souligne le photographe ce sont les évènements-limites, avec la présence permanente des images dans la quotidienneté, impliquant une <i>scénographie urbaine paradoxale</i>. Ainsi, une photo témoigne de cette présence ambigüe des images dans la cité, une affiche représentant probablement le visage de la jeune actrice du film <i>Lolita</i>, avec des lunettes en coeur et le sucre d'orge à la bouche. Le visage de l'adolescente est comme suspendu au ras du sol, et une femme âgée surgit à ce moment par des escaliers souterrains. La co-présence du visage angélique de la fiction et de l'habitante banale qui vaque à ses occupations, produit une étrangeté de l'ordre d'une dissension.<br />
Cet effet inattendu est encore plus intense, semble-t-il, dans un autre cliché de Baudin qui dévoile une sorte de tryptique agencé d'une voiture prise dans sa vitesse, d'une palissade, et d'une affiche d'une jeune femme en soutien-gorge qui surplombe l'ensemble. Le "punctum" du montage spontané qu'offre la ville dans ses assemblages ponctuels, c'est le <i>visage de sphinx</i> de la fille déshabillée. Il nous regarde comme une invitation secrètement émise, et toute la surprise résidé dans la semi-nudité du corps qui apparaît là, brutalement au détour d'une palissade urbaine. C'est toujours une curieuse sensation de voir la nudité, même sous forme fragmentaire et iconique, surgir dans le lieu même du recouvrement, de "l'habillage" vestimentaire et architecturale: la ville. Là encore une poétique de la surprise peut se déployer dans la composition arbitraire des éléments. De plus, comme le remarque très justement P.Fresnault-Deruelle, les seuls regards insistants que nous rencontrons aujourd'hui sont précisément ceux des personnages de papier qui tapissent les murs de nos cités. L'accélération d'étrangeté se produit dans l'écart entre la fixité dense du visage iconique et le mouvement dilué de la vie urbaine. C'est cet <i>interstice</i> propre au décalage de l'existence contemporaine qu révèle la photographie urbaine comme images d'images. Elle nous plonge dans la perplexité qu'occasionne la fréquentation journalière de ces êtres-images qui sont devenus nos spectres, nos doubles parfaits et hiératiques dans la trame flottante de la vie courante. L'affiche publicitaire constitue en elle-même un arrêt-sur-image dans le tourbillon quotidien. La photographie fixe donc cet arrêt dans ce qu'il a de dévorant pour l'oeil, comme une métastase sociale à l'oeuvre.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-PykwVR14Ppc/VFjEzYJAhtI/AAAAAAAAAog/I-YyENz0878/s1600/Bernard%2BBaudin%2B%2B2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-PykwVR14Ppc/VFjEzYJAhtI/AAAAAAAAAog/I-YyENz0878/s1600/Bernard%2BBaudin%2B%2B2.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bernard Baudin</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Nous devons de même considérer la lente rétroaction de la ville vers l'image, car la "réciprocité" ne se fait pas attendre. Il se produit un certain nombre de torsions remarquables quant au devenir des images implantées, des striures et des giclées dues à l'usure propre à la ville. Car celle-ci dans sa matière obsédante met à l'épreuve tous les symboles, tous les systèmes de représentation qui prétendent la dompter. Or la ville est une maîtresse imprévisible, déconcertante, qui nous a à l'usure, avec le délitement du temps, la persévérance. On remarque ce processus corrosif de l'espace-temps envers l'image, avec une photo de B. Baudin, une scène de salissure d'une affiche publique. Un visage féminin apparaît dans le clair-obscur d'un affichage souillé par des éclaboussures blanches sur la paroi vitrée d'un kiosque à journaux. Un homme est coupé par la prise photo, cela ajoute au jeu des formes humaines entamées, corrodées, dans l'image et dans le réel. Ce qui est extraordinaire et énigmatique c'est le visage du personnage iconique qui reste opalin, malgré les barbouillages d'ailleurs "expressionistes" (au sens de l'abstraction lyrique de la peinture américaine) sur la paroi vitrée. Précisément l'opalescence du visage qui transparaît se nourrit directement, oup ar contraste, des substances laiteuses éparpillées sur la paroi.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-NO00KixV-2c/VFjFGGC2-lI/AAAAAAAAAoo/i39aoeuqn1M/s1600/Bernard%2BBaudin%2B3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-NO00KixV-2c/VFjFGGC2-lI/AAAAAAAAAoo/i39aoeuqn1M/s1600/Bernard%2BBaudin%2B3.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Bernard Baudin</td></tr>
</tbody></table>
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Le jeu des transparences et des opacités se concentre dans une épiphanie urbaine, où les visages de fiction et les citadins se mélangent inextricablement. L'incertitude entre fiction et réalité règne au sein même du montage spatial de la ville, les images deviennent une seconde architecture en quelque sorte mais dont les éléments seraient des corps privés, des univers de rêves. Ce sont donc les effets de métamorphose que tente de rendre intelligible le projet photographique (de Baudin). On peut avancer l'hypothèse que se produisent simultanément des<i> distorsions</i>, des <i>contaminations</i> et des<i> transformations</i> entre les figures de fiction des images implantées et les formes urbaines.<br />
La photographie s'attaque bien à la densité kaléidoscopique des villes, paradoxalement par une fixation du réel qui suspend le Voir entre préfigurations et figures, virtualités et réalités s'enchevêtrant. La dématérialisation de la condition humaine apparaît dans un contexte où les éléments matériels de l'espace sont soulignés par le cliché photo.<br />
<br />
Alain Mons, <i>L'ombre de la ville</i>, essai sur la photographie contemporaine, Les Editions de la Villette, 1994. <br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-56073296341149890522014-10-17T00:38:00.000-07:002014-10-17T00:38:27.479-07:00Garry Winogrand, le regard.<br />
Rubriques:<i> photographie objective et subjective; photographie du XX; portrait photographique; lecture de photographies; psychologie du photographe.</i><br />
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<br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Je souhaite analyser ici la nature du regard
photographique en prenant l’exemple d’une expérience limite, celle de Garry
Winogrand, probablement le photographe américain le plus marquant des années
1960. Ce travail se poursuivra ultérieurement par une étude de la notion de
distance chez les deux prédécesseurs de Winogrand, qui furent eux aussi des
initiateurs d’une rupture du regard photographique, Walker Evans et Robert
Frank.</i></div>
<div class="MsoNormal">
<a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><a href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=7886251925237688409" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"></a><br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-1Ebuxw9FvDw/VEC2vrC2lMI/AAAAAAAAAm0/qWYArvBcg_c/s1600/GW10.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-1Ebuxw9FvDw/VEC2vrC2lMI/AAAAAAAAAm0/qWYArvBcg_c/s1600/GW10.jpg" height="208" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, New York, 1962.</td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: 12.0pt;">
Le regard en photographie</div>
<div style="text-align: justify;">
Comme l’ont bien vu certains critiques, la
photographie est avant tout un regard paradoxal<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_0_19030" title="1. On citera Dubois [158, 169]. La photographie par ailleurs se prête à la déclinaison métaphorique du regard (la psychanalyse peut, avec elle, s'en donner à cœur joie).">1</a></sup>.
Paradoxal d’abord car elle se donne pour un regard humain (ou trace d’un regard
humain) alors qu’elle est regard de machine. Paradoxal ensuite car son regard
appartient en grande partie au monde [Dubois]. Paradoxal enfin car elle
n’est pas résultat d’un faire (le regard du peintre ne s’appréhende qu’au
travers d’une œuvre entièrement composée), mais trace d’une réaction d’un coup
à l’information lumineuse qui vient frapper l’émulsion [Dubois]. Il
convient donc de parler de regard <i>photographique</i> et de garder en
mémoire qu’en dépit de la référentialité, toujours présente<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_1_19030" title="2. Une image photographique est un champ quasi perceptif c'est-à-dire restituant plus ou moins complètement les conditions de la vision humaine [Schaeffer].">2</a></sup>,
la photographie est distance, rupture, comme le pressentait déjà Walter
Benjamin dans sa définition de l’aura<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_2_19030" title="3. Dans « L'Œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique ». Voir aussi Dubois [264].">3</a></sup>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le regard photographique, différent en cela
d’autres formes de regard médiats, est un arrachement et, comme le regard
humain, une mise en contiguïté, une opération relationnelle (voir, c’est
choisir et relier), mais stabilisée, ossifiée, alors que le dispositif
œil/cerveau recompose en permanence la perception<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_3_19030" title="4. Voir l'excellente mise au point sur le fonctionnement des groupes neuronaux dans Olivier Sacks, « Neurology and the Soul, » The New York Review of Books (22 novembre 1990) : 44-50.">4</a></sup>.
D’où l’inquiétante étrangeté qui se dégage des images de photographes acceptant
pleinement cette logique, au risque de se perdre dans cette subversion
esthétique. Car l’enjeu n’est plus un art dont la fonction serait de faire
advenir par la présentation un être dans sa plénitude. Dans les travaux les plus
radicaux, la question de la vérité ne se pose plus. Le critère serait plutôt
l’efficacité à ne pas être là où on l’attend, ou ce que, à défaut de mieux,
j’appellerais, à dé-plaire : à défaire l’équilibre, à violenter le spectateur,
à le provoquer en permanence, en lui refusant tout plaisir. Point d’émotion
esthétique donc (le beau, le sublime, l’harmonie, tous ces mots sont bannis),
point de jouissance physique, mais plutôt une frustration permanente, une
épaisseur qui est refus, déni d’interprétation, bien loin du mystère
romantique. Car, aux antipodes d’un Weston ou d’un Cartier-Bresson, les images
de ces photographes ne cachent rien, découragent la lecture (symbolique ou
autre). Peut-être confirment-elles la conclusion que tire Jean-Marie Shaeffer de
son analyse de la photo-graphie : « La photographie… dans ses meilleurs
moments, ouvre l’horizon d’un réel enfin « profane », qui se contente d’être ce
pour quoi il se donne, sans promesse d’un ailleurs qui serait plus
fondamental.… Une image où il y a à voir, mais rien ou si peu à dire. »
[Shaeffer.]<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-oSmm6sWClEA/VEC3dvB0gAI/AAAAAAAAAm8/3N09P4OZz10/s1600/GW19.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-oSmm6sWClEA/VEC3dvB0gAI/AAAAAAAAAm8/3N09P4OZz10/s1600/GW19.jpg" height="214" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Richard Nixon Campaign, New York, 1960.</td></tr>
</tbody></table>
</div>
<div class="MsoNormal">
</div>
<div class="MsoNormal">
Winogrand l’explorateur<br />
<br />
</div>
<div style="text-align: justify;">
Garry Winogrand (1928 – 1984) est un excellent
exemple de ce regard expérimental, toujours à la limite du champ, prenant tous
les risques, explorant toutes les solutions, allant avec courage jusqu’à
l’impasse, et posant ainsi la question de la valeur en photographie. Extrêmement
prolifique pendant toute sa carrière (et incapable de sélectionner dans son
travail), Winogrand atteint, à la fin de sa vie, des sommets : il laisse à sa
mort 2500 rouleaux non développés et quelque 9000 rouleaux non triés<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_4_19030" title="5. Pour les questions biographiques, on se reportera à l'introduction de John Szarkowski à Figments of the Real World.">5</a></sup>.
C’est un peu comme si l’issue logique de sa position radicale vis-à-vis de la
photographie était de laisser le dispositif photographique fonctionner tout
seul, l’expérience se continuer sans pilote, en une essence de regard purement
photographique libéré du regard du photographe. Court-circuitant le choix, le
tirage et jusqu’au développement (il ne reste que l’image latente), le
mouvement s’emballe et abolit la photographie (disparition de toute «
énonciation ») même s’il reste un mode de vie et d’expérience pour un individu
: « [his] ambition was not to make good pictures, but through photography to
know life » [Szarkowski, <i>Figments</i>].</div>
<div style="text-align: justify;">
Aussi Winogrand l’expérimentateur, est-il
toujours sur le fil du rasoir, refusant toute image qui pourrait le satisfaire
pleinement, c’est-à-dire qui répondrait à des critères d’harmonie et de sens et
qui endormirait son œil et l’intellect du spectateur. Il ne prend donc pas les
images mais s’en déprend et déclenche, non quand les choses se mettent en place
(par la volonté du démiurge ce serait la position de Cartier-Bresson par
exemple), mais lorsqu’elles sont sur le point de se dé-mettre. Mais cela, il ne
peut le prévoir (ou le prévisualiser comme disent les photographes). Sa photographie
ne peut être planifiée : elle échappe au photographe.</div>
<div style="text-align: justify;">
Définir un style dans ces conditions est donc
difficile, d’où la remarque d’un critique, Michael Edelson, qui déclarait avoir
vu de meilleures images dans les poubelles de l’agence Associated Press
[Szarkowski]. Car, contrairement au photographe de presse qui cherche
l’instant décisif, l’instant qui résume, Winogrand prend le moment où les
choses ne sont pas encore abouties ou déjà passées. On peut cependant avancer
deux continuités (ou récurrences) : la contiguïté, souvent saugrenue, qui
résulte de la coupe spatio-temporelle ; et le regard intradiégétique comme
guide et structure de l’image<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_5_19030" title="6. Par regard intradiégétique j'entends simplement la présence, dans l'image, d'un regard.">6</a></sup>.
L’analyse pourtant devra se limiter au niveau formel (« ce à quoi ressemble le
monde une fois photographié » pour reprendre un de ses plus célèbres
aphorismes). Car, en dépit d’un humour permanent et parfois noir, l’essentiel
de son travail échappe à l’interprétation symbolique. Il n’est ni descriptif,
ni constatif non plus. Il est simplement (?) un regard photographique qui se
met en scène.</div>
<br />
<br />
La rencontre du parapluie et de la table de dissection<br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
L’œil photographique, c’est le cadre, mais un
cadre compris comme à la fois lieu et moment (étalé sur plusieurs temps
successifs : prise, tirage, recadrage, « monstration »). Il est mise en <i>relation</i>
d’un œil et d’un membre (doigt) par un dispositif. La photographie, depuis son
invention, joue pleinement de cette relation fondatrice. Surréaliste avant la
lettre, elle est devenue symbole de la révélation des bizarreries du monde,
autre manière de louer encore et toujours la création (divine), source infinie
d’étonnement. Point de visée théologique pourtant chez Winogrand. Là où
d’autres photographes essaient, avec un médium qui donne l’illusion du monde,
de prouver qu’ils sont bien créateurs, c’est-à-dire que leur œil est un regard
(original), Winogrand, lui, produit des images de transformation (comme on
dirait de synthèse) qu’il est impossible de voir dans la réalité (du visuel
visible). Son cadre opère une césure d’avec cette réalité, nie la
référentialité. Tout naturellement son lieu de travail privilégié est la rue,
les attroupements, les réceptions, lieux de flux (car l’appareil peut y trancher
à l’infini alors que le cerveau, perçoit toujours la dynamique) et de proximité
(le corps du photographe est intégré à la scène : l’œil n’y est pas celui du
voyeur mais s’avance, démasqué, à ses risques et périls).</div>
<div style="text-align: justify;">
Quant au dispositif, Winogrand le veut large et
souple, englobant : grand angle, pellicule très rapide (sensible), donc adaptée
à toutes les situations, absorbant les écarts de contraste, et permettant de
grandes vitesses d’obturation (réduisant la durée à l’instant). Il ne reste
plus qu’à trouver la bonne <i>distance</i> : pour le photographe comment
placer son corps et son œil pour que l’on y voit quelque chose ; pour le
spectateur comment regarder cette image pour pouvoir la voir.</div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-rKxyWQ0FreM/VEC4KhkZgAI/AAAAAAAAAnI/Jw1y2S1mZ28/s1600/Garry_Winogrand_2b.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-rKxyWQ0FreM/VEC4KhkZgAI/AAAAAAAAAnI/Jw1y2S1mZ28/s1600/Garry_Winogrand_2b.jpg" height="210" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Statue of Liberty Ferry, New York 1968.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Winogrand excelle dans cet exercice de contiguïté
qui ne cache ni message ni grand discours cohérent sur le monde, pas même une
déification du hasard sauf à procéder, sur telle ou telle image, à quelque
interprétation symbolique, mais non pertinente. Certes la critique sociale
n’est pas absente. Dans <i>Circle Line Statue of Liberty Ferry, New York, 1971</i>,
les deux personnages centraux, appartenant à la bourgeoisie, sont comme hors de
l’image, coupés, par le vêtement strict et la position centrale dans l’espace,
d’une plèbe bariolée qui les encercle [<i>Figments</i>]. De même, le
gag visuel apparaît çà et là : un chien en tient un autre en laisse ; un Boeing
727 est comme accroché à la dérive d’un Boeing 747 ; au zoo de New York, un
loup blanc se dirige vers un couple qui lui tourne le dos [<i>Figments</i>]. Zoos et aquariums sont d’ailleurs des lieux d’infinies
possibilités pour ces confrontations bizarres entre humains et animaux. Dans le
même ordre d’idée on verra le pictogramme d’un avion se diriger droit vers la
tête d’un militaire, ou le nez d’un avion « pointer » par la fenêtre d’une
salle d’embarquement en pleine nuit [<i>Figments</i>].
Cependant, les effets sont limités, presque anecdotiques et ne constituent en
rien une cohérence visuelle du regard.</div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-YRysMhZzidQ/VEC4yRQXqBI/AAAAAAAAAnQ/ZfkppwO6nbo/s1600/GW-864_FM000616.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-YRysMhZzidQ/VEC4yRQXqBI/AAAAAAAAAnQ/ZfkppwO6nbo/s1600/GW-864_FM000616.jpg" height="207" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Foire-exposition du Texas, Dallas, 1964.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Celle-ci est en revanche à rechercher dans <i>l’expérience</i>
même de la contiguïté et dans l’exploration des correspondances formelles. Deux
rhinocéros du zoo de New York se frottant la tête répondent aux lunettes noires
d’une femme au premier plan ; trois bœufs côte à côte évoquent bien sûr trois <i>cowboys</i>
accroupis au premier plan ; les pattes arrières d’un phoque renvoient à
l’oiseau en vol dans le coin gauche de l’image et l’ombre de la voiture du
photographe duplique, au premier plan, la colline à l’horizon [<i>Figments</i>]. L’œil explore les formes du monde sans autre finalité que
l’exploration. Il y découvre aussi qu’il n’est pas maître du jeu. Le regard est
bien <i>photographique</i>, et il se met en scène. Dans <i>Dallas, 1964</i>,
comme dans <i>Apollo 11 Moon Shot, Cape Kennedy, Florida, 1969</i>,
l’appareil photographique, présent dans l’image, se retourne sur lui-même [<i>Figments</i>]. Dans la première image, la carte postale du bâtiment d’où a tiré
Oswald, qui est situé derrière Winogrand (le doigt de la femme pointe dans
cette direction), est le contrechamp de la scène [<i>Figments</i>]<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_6_19030" title="7. Cette opération est déjà préfigurée dans une image qui, pour ressembler à celle de Frank (TV Studio), n'en est pas moins très différente (Democratic National Convention, 1960). JFK est vu à la fois de dos et de face, sur l'écran de contrôle, sur le même">7</a></sup>.
</div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-Bk_sPdN_Qec/VEC5P9j1BOI/AAAAAAAAAnY/5alvv0Kn2cA/s1600/GW-moon1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-Bk_sPdN_Qec/VEC5P9j1BOI/AAAAAAAAAnY/5alvv0Kn2cA/s1600/GW-moon1.jpg" height="213" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Dealey Plaza, Dallas, 1964.</td></tr>
</tbody></table>
</div>
Dans la seconde, le retournement est marqué par la femme au premier plan qui
photographie en direction du photographe et lui renvoie en quelque sorte sa
balle. La contiguïté signifiée d’espaces irréconciliables dans la réalité, dont
la réunion est visuellement choquante (on ne peut à la fois regarder et voir
d’où l’on regarde), agit ici comme pour déposséder un peu plus le photographe de
ses « droits ». Dans <i>Untitled, c. 1963</i>, la contiguïté va plus loin
encore, avec une figure fréquente chez son ami Friedlander mais plutôt rare chez
lui, lorsqu’il superpose le corps blanc d’un cétacé dans un aquarium et la
raclette noire du préposé chargé de nettoyer les vitres du dit aquarium [<i>Figments</i>]. Il y a littéralement surimpression des surfaces (la vitre) et labilité
(ça glisse), instabilité d’une configuration qui ne signifie qu’elle-même,
c’est-à-dire, étant une image, le regard.<br />
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-oWgW45EXTeA/VEC5soG3_mI/AAAAAAAAAng/-wHhvsU5rsQ/s1600/garry-winogrand-NYaqua.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-oWgW45EXTeA/VEC5soG3_mI/AAAAAAAAAng/-wHhvsU5rsQ/s1600/garry-winogrand-NYaqua.jpg" height="210" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, New York Aquarium, 1967.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Winogrand a d’ailleurs toujours été obsédé par
l’équilibre, au sens bien sûr de composition, mais aussi de figuration de
l’équilibre instable de flux immobilisés par le regard photographique, pétrifiant<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_7_19030" title="8. Sur la photographie et le mythe de la Méduse on se reportera à Dubois (pp.141-48).">8</a></sup>.
Cela se manifeste dès ses premiers clichés, vers le milieu des années 1950. Ce
sont des ballons saisis en plein vol, des équilibristes de cirque ; plus tard
un poisson, jeté par un pêcheur tel un oiseau, une plongeuse dans un motel de
Las Vegas, une petite fille descendant d’un taxi et suspendue sur le seuil de la
voiture, et bien sûr toutes les images au flash. Le travail sur les réceptions (<i>Public Relations</i>)
s’explique en effet par cette volonté de tester des juxtapositions purement
photographiques en immobilisant les gestes et les expressions, les glaçant.
Ainsi nous sont données des situations qui, pour extraites de la réalité
(réelle si je puis dire) qu’elles soient, n’en sont pas moins radicalement
coupées de l’image <i>construite par le regard humain</i> (et le cerveau). À
la limite, elles conduisent à l’horreur : les visages grimaçants, ou le rire de
cette femme appuyée à l’épaule de son cavalier et dont on ne peut décider s’il
est un rire à gorge déployée, ou le mouvement d’un grand félin sautant sur sa
proie [<i>Figments</i>]<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_8_19030" title="9. La coupure du flux permet aussi de visualiser l'instant où tout se décide, tout « bascule » si l'on peut dire (Radio City, 1961).">9</a></sup>.
Ainsi, le regard de l’appareil construit-il une vision opposée à l’ontologie
temporelle de l’image photographique<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_9_19030" title="10. L'image photographique « serait la rétention présentifiante de l'essence du temps en tant qu'il se condenserait en des instants décisifs à signification éternelle » [Schaeffer, p.187].">10</a></sup>.
En scrutant les équilibres instables (tout à l’opposé de la stabilité de
l’architecte Cartier-Bresson), et en présentant des tranches figées qui, par
notre savoir du monde, nous apparaissent comme non représentatives (elles ne
livrent pas l’essence de la situation ou du personnage), il nous fait voir le
temps.<br />
<div class="" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-t3N47wP8bMg/VEC6G7BW2aI/AAAAAAAAAno/1jVelG84veg/s1600/GW11.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-t3N47wP8bMg/VEC6G7BW2aI/AAAAAAAAAno/1jVelG84veg/s1600/GW11.jpg" height="320" width="214" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Dallas, 1964.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
</div>
L’œil était dans l’image<br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
Le second lien qui fait œuvre chez Winogrand est
l’œil intradiégétique. Nombre d’images, en apparence banales, n’ont d’autre
intérêt que celui-là. Je vois même dans la présence répétée de ces regards une
sorte d’effet scotophorique car le regard est à la fois matérialisé dans
l’image par un point noir (la pupille), un trou, une absence, qui littéralement
troue l’image, la perce et <i>me</i> perce<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_10_19030" title="11. J'emprunte la notion fort intéressante d'effet scotophorique à Schaeffer [pp.194-196].">11</a></sup>.
Ou, devrais-je dire, me <i>point</i>. Il y a là, en effet, du <i>punctum</i>
comme l’écrivait Roland Barthes dans sa fameuse définition [Barthes]. Ce point change ma lecture, me poigne et vient bousculer les autres
perceptions et lectures, le <i>studium</i>. Mais Barthes faisait du <i>punctum</i>
une sorte de signe d’une subjectivité totale (« donner des exemples de <i>punctum</i>,
c’est, d’une certaine façon, <i>me livrer</i> » [Barthes]) car il
s’intéressait à des images isolées. En revanche, il me semble qu’à envisager
l’œuvre de Winogrand (ou d’un autre) dans sa globalité, il est possible
d’élucider ce <i>punctum</i> avec un minimum d’objectivité.</div>
<div class="MsoNormal">
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-Qqh8My_VpHQ/VEC6f6dFlrI/AAAAAAAAAnw/4bP128e_wQ8/s1600/GWlastBD.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-Qqh8My_VpHQ/VEC6f6dFlrI/AAAAAAAAAnw/4bP128e_wQ8/s1600/GWlastBD.jpg" height="211" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Metropolitan Opera, New York, vers 1951.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Chez Winogrand, l’image est un échange de
regards, un œil à œil comme l’on dirait un face à face. Premiers concernés
hommes et femmes (l’homme étant parfois le photographe) dont les regards se
croisent, rebondissent, s’affrontent. L’évolution est ici assez nette. À ses
débuts, dans les années 1950, on sent encore chez lui un contenu thématique
chargé (le désir, le mépris, l’étonnement) que l’on retrouve brièvement dans sa
dernière période. Dans les différentes images faites à l’El Morocco, en 1955,
comme dans celles de <i>Public Relations</i>, s’installent ces réseaux de
regards [<i>Figments</i>]. Par exemple dans la photographie
reproduite à la page 72 de <i>Figments</i> où deux hommes assis face à face
discutent alors qu’à la même table un autre homme, assis à droite, regarde le
coin supérieur gauche de l’image (par-dessus) la tête de son voisin que nous
voyons de dos, et est lui-même objet du regard de sa voisine de droite, placée
au centre de l’image. Les hommes sont occupés (par la parole et le regard),
leur attention mobilisée par autre chose, la femme s’ennuie et le regard
qu’elle jette sur son voisin est bien peu amène. Dans <i>New York City</i>,
c. 1982 – 1983 trois femmes emmitouflées au milieu de la foule des rues jettent
un regard hautain et méprisant à celui qui vient de les (sur)prendre. Dans <i>New
York City</i>, c. 1981 – 82, une jeune femme que son ami est en train
d’embrasser lance au photographe un regard indescriptible, douloureux et
suppliant [<i>Figments</i>]. Dans les années 1960, en revanche,
alors que son regard mûrit et s’affirme, cette charge signifiante disparaît et
laisse place à une pure circulation des regards. Dans <i>New York City, 1961</i>
(un couple se serre la main sous le regard d’un vieux monsieur) ou dans <i>Radio
City, 1961</i> (un homme se dirige vers une femme adossée à un pilier), les
regards, figés au moment où ils se croisent, ne sont que la charpente de
l’image, les voies de circulation de l’œil du spectateur, sans autre
signification symbolique. On pourrait multiplier les exemples à l’infini dans
l’œuvre des années 1960 – 1970, surtout avec les images de femmes dans la rue
(parues dans <i>Women are Beautiful</i>) dont la force (très inégale d’ailleurs
car on sent le jugement formel de Winogrand parfois dépassé par une fascination
pour « l’autre sexe ») réside dans les croisements de regards. Le regard du
photographe est un protagoniste qui s’immisce dans ces réseaux qui (ne) le
regardent (pas).</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-laT_EGbu9Xo/VEC683W3rBI/AAAAAAAAAn4/VyL3Ip1muEA/s1600/gary%2Bwinogrand.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-laT_EGbu9Xo/VEC683W3rBI/AAAAAAAAAn4/VyL3Ip1muEA/s1600/gary%2Bwinogrand.jpg" height="215" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, New York, 1969.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="MsoNormal">
<a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/wp-content/uploads/2014/10/GW061.jpg"><span style="text-decoration: none; text-underline: none;"><span style="mso-ignore: vglayout;"></span></span></a></div>
<div class="wp-caption-text">
<span lang="EN-GB" style="mso-ansi-language: EN-GB;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
Une jeune fille qu’embrasse un jeune homme dans le
recoin d’une porte s’abstrait par le regard de l’étreinte, comme cette danseuse
du El Morocco lisait un message au-dessus de l’épaule de son cavalier ; alors
que toute la famille regarde la trompe de l’éléphant, la jeune fille, elle,
regarde le photographe d’un œil ; Ed Muskie est la cible de tous les regards et
appareils photographiques lors d’un meeting à Providence, R.I., mais un
personnage dans la foule fixe le photographe d’un œil, l’autre étant mi-clos;
de même à la droite du maire de New York, John Lindsay (saisi, ce n’est pas
innocent, les yeux fermés) que tous fixent se tient une jeune femme noire qui
regarde aussi le photographe [<i>Figments</i>, ]<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_11_19030" title="12. L'image la plus extraordinaire de ce type dans l'histoire de la photographie est sans conteste celle de Weegee où l'amie d'un noyé que l'on est en train d'essayer de réanimer, entouré d'une foule qui fixe le corps allongé sur le sable, pose et sourit à">12</a></sup>.
Jusqu’aux animaux qui, alors que tout le monde les regarde, regardent, eux,
vers l’appareil, ou le nez d’un avion qui prend des dimensions
anthropomorphiques et semble dévisager l’opérateur [<i>Figments</i>]. Le photographe et son regard sont ainsi thématisés par le regard des
sujets. Tout le reste peut être confus, les parasites visuels peuvent se
multiplier aux bords de l’image comme souvent chez Winogrand, notre œil
s’accroche à ces regards qui l’ancrent comme des pivots et finissent par
absorber toute son énergie visuelle.</div>
<div style="text-align: justify;">
De plus, les regards intradiégétiques déplacent
notre attention vers la marge de l’image et écartèlent celle-ci en des
directions opposées (dans <i>New York, 1968</i>, <i>Minneapolis</i>, n. d.
ou <i>Maine</i>, c. 1980 – 1981) [<i>Figments</i>,].
Parfois aussi le regard photographique transparaît dans un artifice visuel comme
une rampe d’escalier partant de l’objectif (<i>Santa Monica, California</i>,
c. 1982 – 1983), ou, plus classique, par l’ombre portée de l’opérateur [<i>Figments</i>]. Parfois ils sont signifiés par des jumelles, qui ressemblent à
un personnage, sur la terrasse d’un aéroport, ailleurs par un photographe (et
son flash) dans un « strip-tease » de Los Angeles, ou par la scène déjà évoquée
prise lors du départ de la fusée Apollo 11 [<i>Figments</i>,]. Dans cette dernière image tous les journalistes installés sur un podium
suivent à la jumelle l’ascension de la fusée alors que, dans leur dos et au
premier plan de l’image, une femme, caméra en bandoulière et Instamatic à
l’œil, vise en direction du photographe. Cette photographie a pour centre un
appareil photographique qui se superpose à un œil humain. Plus, la torsion
subtile des corps qu’affectionne Winogrand (toujours le flux), leur croisement
graphique, leur déploiement en deux faces (avant-arrière) complémentaires,
jusqu’à l’opposition sexuelle (hommes de dos, femme la seule de l’image de face
; corps habillés des hommes, jambes et pieds dénudés de la femme), tout cela
ancre le regard photographique dans un corps bien planté <i>mais juste en
train de se déséquilibrer</i> (la jambe gauche en avant) : un lieu et un
instant. À l’extrême, comme dans cette photographie de femme datant de 1961,
l’œil, frôlant le cadre c’est-à-dire la lisière de ce qui fait le regard
photographique, devient le point qui articule un déploiement de formes
tournoyantes [<i>Figments</i>].<br />
</div>
<div class="MsoNormal">
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-d3TfcXgfstQ/VEC7bcPJTPI/AAAAAAAAAoA/xuj6EeBHRQQ/s1600/3814.x118_MoMA.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-d3TfcXgfstQ/VEC7bcPJTPI/AAAAAAAAAoA/xuj6EeBHRQQ/s1600/3814.x118_MoMA.jpg" height="214" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Garry Winogrand, Hard Hat Rally (manifestation d'ouvriers du BTP, New York, 1970.</td></tr>
</tbody></table>
<br /></div>
<div class="wp-caption-text">
Enfin, au cœur de cet ensemble, l’œil est <i>métaphoriquement</i>
présent comme point de convergence de toutes les forces de l’image. L’œil est
ainsi matérialisé <i>dans</i> la structure même de l’image. Tous les éléments
tendent vers ce point qui les tient car il en est la source : le regard
présentifié. Les plus célèbres photographies de Winogrand sont construites selon
ce principe. Dans <i>Dallas, Texas, 1974</i> (match de football), les lignes
et les mouvements des joueurs convergent vers le point de contact entre la
ligne blanche et les tribunes ; dans <i>Los Angeles, California, 1969</i>
(trois femmes croisent un handicapé profond en chaise roulante sur Hollywood
Boulevard) les points de fuite et les ombres s’étirent en iris autour des trois
femmes ; dans <i>Hard-Hat Rally, New York, 1969</i>, micros, regards et
hampes de drapeau convergent de la même manière vers un ouvrier hurlant, au
centre, et plus précisément sa bouche grand ouverte ; dans <i>Forest Lawn
Cemetery, Los Angeles, 1964</i>, le centre est un trou noir dans le feuillage
(alors qu’il est écrit sur le monument « The Mystery of Life ») ; et dans <i>Huntington
Gardens, San Marino, California</i>, c. 1982 – 1983, c’est au contraire la
lumière du soleil perçant la pénombre du feuillage qui articule l’image [<i>Figments</i>].</div>
<div style="text-align: justify;">
Ainsi comprises, les photographies de Winogrand
prennent une autre dimension et il est possible d’apporter une réponse <i>partielle</i>
à la fameuse question de la bascule du cadrage (déjà pratiquée de la même
manière par Robert Frank). En donnant (volontairement, on le voit sur ses
planches-contact) un tour à l’appareil photographique, en lui faisant opérer
une rotation sur son axe (avec un grand angulaire), il déréalise et « médiatise
» bien sûr, mais surtout il recherche (et provoque) cette focalisation radiale
de l’image, et la manque aussi parfois<sup><a href="http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/jean-kempf-quest-ce-quun-regard-photographique-garry-winogrand-au-fil-du-rasoir/#footnote_12_19030" title="13. On peut y voir aussi une matérialisation du cadre ainsi qu'une interrogation sur le corps du photographe car, au lieu de se déplacer dans l'espace, Winogrand (comme on le voit dans les planches contact) déplace l'appareil sans bouger lui-même. À la fin">13</a></sup>.
En nous livrant ensemble ses échecs et ses brillantes réussites, en refusant de
choisir (faisant ainsi preuve d’un <i>vrai</i> esprit scientifique) Winogrand,
photographe s’adressant à des spectateurs d’aujourd’hui qui sont <i>tous</i>
photographes, leur donne le sentiment de faire l’image. Nous ne sommes pas
devant un tableau (tout est en place) mais devant une tentative, un essai, une
épreuve. En cela son travail est le partage d’un regard (et non pas d’une
vision du monde) et ne contient aucun message. Il ne renvoie qu’à l’acte
photographique et à l’œil.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette position radicale est fort périlleuse. Car,
à trop viser le centre, et à trop se mettre en scène, le regard se perd,
s’abolit, implose. Robert Frank aussi, après avoir repoussé les limites du
regard photographique, avait cessé de photographier à la fin des années 1950 :
dans sa fable artistique, il nous raconte qu’il perd son Leica, ce qui est une
manière de dire que ce qui faisait la « photographicité » de son regard
disparaît alors. Winogrand, lui, se met au contraire à prendre de plus en plus
en plus d’images qu’il ne regarde même pas et en 1982 achète un moteur
(permettant de faire plusieurs clichés en rafale) pour son Leica.
Simultanément, s’opère (au moins au niveau fantasmatique) une séparation dans
son regard puisque le même jour il fait l’acquisition d’une chambre 8x10
(appareil traditionnel, très lent et totalement statique) dont il ne se servira
jamais. Peut-être faut-il voir dans ces symptômes les impasses d’un regard <i>purement</i>
photographique et la défaite de l’équilibre qu’il poursuivait entre l’éternité
et l’instant infinitésimal, ainsi que le signe d’une impossibilité à réconcilier
le pouvoir du monde et celui de l’homme sur le monde. Ne parle-t-il pas, à
quelques jours de sa mort, de « [my] hopelessness and helplessness about the
world » [Szarkowski, p.40]. Son œuvre reste tout de même une grande et belle
leçon sur le photographique.<br />
<br />
<br />
Jean Kempf, article de la <i>revue Cercles</i> N°2, 1992. </div>
<div style="margin-bottom: 12.0pt;">
<br /></div>
De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-73785447304636685622014-10-11T00:43:00.001-07:002014-10-11T00:43:35.755-07:00Profil de deux définitions<br />
Rubriques: <i>photographies du XIX; photographies du XX et contemporaine; portrait photographique</i><br />
<br />
<b>Autoportrait:</b><br />
Portrait d'un artiste par lui-même. Le terme apparut au au XIX ième siècle.<br />
L'histoire de l'autoportrait en peinture est assez complexe et agitée. D' abord plus ou moins cachée, aux XVième et XVIième, dissimulée au sein d'une fresque (autoportrait de Sodoma dans les Scènes de la vie de Saint Benoît, couvent de Monteoliveto), immergée parmi les personnages de la composition (Lippi dans son Couronnement de la Vierge, cathédrale de Spolète),<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-QcXjcUzgBIk/VDjRvdvOQKI/AAAAAAAAAjo/SfH3cZLqdX0/s1600/sodoma%2Bsc%C3%A8ne%2Bde%2Bla%2Bvie%2Bde%2Bsaint%2Bbenoit%2BN%C2%B013%2C%2Bentre%2B1505%2B1510.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-QcXjcUzgBIk/VDjRvdvOQKI/AAAAAAAAAjo/SfH3cZLqdX0/s1600/sodoma%2Bsc%C3%A8ne%2Bde%2Bla%2Bvie%2Bde%2Bsaint%2Bbenoit%2BN%C2%B013%2C%2Bentre%2B1505%2B1510.jpg" height="227" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sodoma, scène de la vie de Saint Benoît N°13, entre 1505 et 1510.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-tu8Rl_QsxMc/VDjSHs8P5YI/AAAAAAAAAjw/jXlUO0TKCMw/s1600/Flippo%2BLippiCouronnementVierge%2B1445.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-tu8Rl_QsxMc/VDjSHs8P5YI/AAAAAAAAAjw/jXlUO0TKCMw/s1600/Flippo%2BLippiCouronnementVierge%2B1445.jpg" height="227" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Filippo Lippi, Couronnement de la vierge, 1445.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
l'image que le peintre offre parfois de lui-même s'assimile à une signature discrète, presque honteuse, mais exprime bien l'affirmation d'une présence (au sein de l'évènement peint, aux côtés de l'illustre modèle, dans le tableau même). Puis, au fur et à mesure du développement de son statut social et de son poids économique, l'artiste tend à idéaliser, voire à glorifier son image par l'autoportrait. Mais il peut aussi emprunter des voies plus réalistes, notamment en scrutant les effets du temps (plus de 70 autoportraits pour Rembrandt; Degas, Courbet).<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-7RmH5OE8FnI/VDjSrLE6CKI/AAAAAAAAAj4/eZGjMHYQRWc/s1600/autoportrait-1629-rembrandt%2B23%2Bansmunich.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-7RmH5OE8FnI/VDjSrLE6CKI/AAAAAAAAAj4/eZGjMHYQRWc/s1600/autoportrait-1629-rembrandt%2B23%2Bansmunich.jpg" height="320" width="257" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Rembrandt, autoportrait, 1629.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-6CArQI2Nhts/VDjS6nmGFII/AAAAAAAAAkA/cTOurmHNaKU/s1600/Rembrandt_autoportrait-en-zeuxis.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-6CArQI2Nhts/VDjS6nmGFII/AAAAAAAAAkA/cTOurmHNaKU/s1600/Rembrandt_autoportrait-en-zeuxis.jpg" height="320" width="251" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Rembrandt, autoportrait en Zeuxis</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-8ApllKF4mUY/VDjTNqWgGRI/AAAAAAAAAkI/cKilp_qCRL0/s1600/degas%2Bautoportrait1%2B1855.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-8ApllKF4mUY/VDjTNqWgGRI/AAAAAAAAAkI/cKilp_qCRL0/s1600/degas%2Bautoportrait1%2B1855.jpg" height="320" width="252" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Degas, autoportrait, 1855.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-Ms9blHxudw8/VDjT5h20JiI/AAAAAAAAAkQ/2BJZpl3opOU/s1600/gustave-courbet-autoportrait-1844desespere.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-Ms9blHxudw8/VDjT5h20JiI/AAAAAAAAAkQ/2BJZpl3opOU/s1600/gustave-courbet-autoportrait-1844desespere.jpg" height="258" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Gustave Courbet, autoportrait en désespéré, 1844.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Les peintres de la modernité ont également pris l'autoportrait pour tremplin au jeu, au déguisement (Picasso en toréador, Van Dongen en Neptune), à l'autodérision, voire à la destruction de leur image (Egon Schiele, Francis Bacon, Lucian Freud).<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-cXCgYts5f30/VDjUcrw-kZI/AAAAAAAAAkY/mBloxQdyrdY/s1600/egon%2Bschiele%2B1910.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-cXCgYts5f30/VDjUcrw-kZI/AAAAAAAAAkY/mBloxQdyrdY/s1600/egon%2Bschiele%2B1910.jpg" height="320" width="229" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Egon Schiele, autoportrait. 1910.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-SpCQzeeljNo/VDjUtsuu-fI/AAAAAAAAAkg/WU73Cr6riwk/s1600/BACON-1979.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-SpCQzeeljNo/VDjUtsuu-fI/AAAAAAAAAkg/WU73Cr6riwk/s1600/BACON-1979.jpg" height="320" width="268" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Francis Bacon, autoportrait, 1979.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-oOmoM6KGfuE/VDjU_ULhThI/AAAAAAAAAko/4etbhiLWB5U/s1600/lucian%2Bfreud%2Bself-portrait-reflection-2004.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-oOmoM6KGfuE/VDjU_ULhThI/AAAAAAAAAko/4etbhiLWB5U/s1600/lucian%2Bfreud%2Bself-portrait-reflection-2004.jpg" height="320" width="225" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Lucian Freud, autoportrait, réflexion. 2004.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
L'autoportrait, plus encore peut-être que le portrait parce qu'il libère du souci du modèle, est un véhicule particulièrement apte à la recherche et à l'étude des physionomies, des expressions (de l'émotion et du sentiment, de l'intériorité), des effets des passions et du temps.<br />
On a pu affirmer que l'autoportrait s'inscrivait contre le portrait, celui-ci procédant d'une commande assujettissant l'artiste à son modèle, visant souvent une idéalité, une sorte de hors-temps, alors que celui-là affirme l'indépendance et le moi de son auteur, peint le passage, un moment. Mais on sait qu'il existe des "antiportraits" (Vuillard), souvent cruels à l'égard des modèles et, comme le montrent les exemples cinématographiques cités plus bas, des "hétéroportraits", portraits d'eux-mêmes que les artistes réalisent au travers d'un portrait d'un autre.<br />
La photographie donne lieu à des pratiques similaires, certains artistes cultivant l'art de se mettre en scène (Robert Mappelthorpe, Cindy Sherman) ou orientant un ensemble de photos vers l'autobiographie (Sophie Calle, Nan Goldin).<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-fIEe5pUoY6A/VDjVa4wKWsI/AAAAAAAAAkw/y9aFEed8-FA/s1600/mappelthorpe%2B1983.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-fIEe5pUoY6A/VDjVa4wKWsI/AAAAAAAAAkw/y9aFEed8-FA/s1600/mappelthorpe%2B1983.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mappelthorpe, autoportrait, 1983.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-49QWBx1NYiM/VDjVqCZEPBI/AAAAAAAAAk4/XoVZ-Fd4ZtE/s1600/robert%2Bmappelthorpe%2B1980.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-49QWBx1NYiM/VDjVqCZEPBI/AAAAAAAAAk4/XoVZ-Fd4ZtE/s1600/robert%2Bmappelthorpe%2B1980.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Robert Mapplethorpe, autoportrait, 1980.</td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-bvAws_B13Gw/VDjV7jTy23I/AAAAAAAAAlA/azXMHRi6UM0/s1600/sophie%2Bcalle.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-bvAws_B13Gw/VDjV7jTy23I/AAAAAAAAAlA/azXMHRi6UM0/s1600/sophie%2Bcalle.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Sophie Calle, chambre avec vue, 2003.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
L'autoportrait se prête à la pratique de la série dès qu'on l'inscrit dans le temps. La diversité des techniques de reproduction photographique -Polaroid, photomaton, images numériques - et l'étendue des possibilités de manipulations des images ont multiplié les formes d'autoportraits, lieux privilégiés de réflexion sur les rapports de l'artiste à l'image et sur l'acte de (se) représenter.<br />
Au cinéma, l'autoportrait prend un caractère parfois plus complexe. On peut observer l'évolution de Jean-Luc Godard, analogue à celle de l'autoportrait en peinture: il se montre d'abord "dans un coin du tableau" (son apparition fugace dans un plan de A bout de souffle, sa voix doublant un personnage de Vivre sa vie), avant de tenir un rôle secondaire offrant une image dérisoire de cinéaste (l'oncle Jean dans Prénom: Carmen), puis d'assumer pleinement son autoportrait (J.L.G par J.L.G., autoportrait de décembre) et de multiplier des images de lui-même dans ses Histoire (s) du cinéma. Mais au cinéma, l'autoportrait peut emprunter des formes ambiguës: acteurs-réalisateurs se peignant au travers de personnages de fiction (Chaplin, Welles, Eastwood), cinéastes déléguant à des comédiens le soin de jouer leur propre personnage (Truffaut et Jean-Pierre Léaud, pour la suite des Doinel, Fellini et Mastrianni, Phillippe Garrel). La maniabilité de la caméra vidéo et l'usage d'internet ont démultiplié les formes d'autoportraits, ainsi que leur diffusion et leurs usages. Au delà des pratiques s'inscrivant dans les sphères artistiques, les autoportraits, outils de séduction et d'affirmation d'existence, arguments de communications et de rencontres, participent d'une narcissicisation" générale des sociétés hypermodernes. Ils manifestent l'importance - excessive?- accordée aujourd'hui plus encore qu'hier à l'image de soi.<br />
<br />
<b>Autoportrait photographique:</b><br />
Alors que Jules Janin évoque en 1839 la photographie comme "un miroir qui garde toutes les empreintes", il est logique que les photographes se mettent très rapidement en scène devant leurs objectifs et se jouent de la ressemblance ou du dédoublement proposés par le médium. Rares sont ceux qui ne s'y exercent pas, certains en faisant même le terrain principal de leurs explorations tels Pierre Molinier, John Coplans, Nan Goldin ou Sophie Calle.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-x5-l8KdK5yQ/VDjWiOjjovI/AAAAAAAAAlM/xRMA7JrdihA/s1600/molinier%2B1970.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-x5-l8KdK5yQ/VDjWiOjjovI/AAAAAAAAAlM/xRMA7JrdihA/s1600/molinier%2B1970.jpg" height="320" width="209" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Pierre Molinier, autoportrait, 1970.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-ZRLQDGQQrGA/VDjWwM5oN6I/AAAAAAAAAlU/G4-uviEeZzA/s1600/coplans_6098b2c1984%2B1988.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-ZRLQDGQQrGA/VDjWwM5oN6I/AAAAAAAAAlU/G4-uviEeZzA/s1600/coplans_6098b2c1984%2B1988.jpg" height="320" width="277" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">John Coplans, 1984 - 1988</td></tr>
</tbody></table>
<br />
L'expérience autobiographique se mêlant à l'exploration des capacités du médium, les photographes se livrent dans des mises en scène qui explorent la notion d'identité; ils expérimentent, explorent leurs fantasmes, s'interrogent sur l'image qu'ils renvoient, sur les rapports que la photographie entretient avec la mort comme le souligne Roland Barthes dans la Chambre claire. Ils deviennent les sujets de leurs propres expérimentations sur les possibles du médium.<br />
Le premier de ces photographes à apparaître devant l'objectif est Hyppolyte Bayard, qui en octobre 1840, livre un Autoportrait en noyé. La photographie est pour son auteur un espace théâtral dans lequel, non sans ironie, il offre l'image d'un simulacre expressif en réponse au dédain affiché par l'Etat à l'encontre de son travail. La mort est un thème majeur de l'autoportrait, cette photographie en est l'un des premiers exemples. Man Ray et les surréalistes, Arnulf Rainer, Dieter Appelt ou Robert Mappelthorpe firent eux aussi de la mort un terrain d'exploration photographique. L'autoportrait peut aussi être signature. Félix Nadar, lui aussi sujet de ses propres expériences, réalisera de nombreux auportraits: entouré d'ossements dans les catacombes, triomphant dans la nacelle de son ballon ou hagard dans son studio pour un premier portrait en lumière artificielle.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-ctQn3l1n3gA/VDjXIdmd81I/AAAAAAAAAlc/TG3bqrcTwgY/s1600/Arnulf_Rainer_A11973.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-ctQn3l1n3gA/VDjXIdmd81I/AAAAAAAAAlc/TG3bqrcTwgY/s1600/Arnulf_Rainer_A11973.jpg" height="265" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Arnulf Rainer, 1973.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-IKH8N_4gE1s/VDjYRxOqmKI/AAAAAAAAAls/W7UDpiiW2sY/s1600/dieter%2Bappelt%2B1981%2Bcopie_modifi%C3%A9-1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-IKH8N_4gE1s/VDjYRxOqmKI/AAAAAAAAAls/W7UDpiiW2sY/s1600/dieter%2Bappelt%2B1981%2Bcopie_modifi%C3%A9-1.jpg" height="257" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Dieter Appelt, 1981.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-F8sZrxXuSWM/VDjY8OkvbqI/AAAAAAAAAl0/Qe2Ade7erSQ/s1600/nadar%2B1861.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-F8sZrxXuSWM/VDjY8OkvbqI/AAAAAAAAAl0/Qe2Ade7erSQ/s1600/nadar%2B1861.jpg" height="320" width="209" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Nadar, catacombes, Paris, 1861.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Nombreux sont les photographes qui s'incluent plus ou moins discrètement dans quelques-uns des paysages, des architectures qu'ils sont amenés à fixer (Henri Le Secq, Charles Nègre, Maxime Du Camp, Eugène Atget...): adossés à un pilier, près d'une porte, se reflétant dans une vitre, regardant l'objectif ou s'en détournant, mais bien présents et affirmant que l'enregistrement photographique aussi puissant qu'il soit est bien soumis à la présence d'un homme derrière l'objectif. Narcissisme, égocentrisme, Vanité, simple ironie ou jeu... L'autoportrait est alors un manifeste de la pratique exercée, l'évocation d'un statut: Edward Steichen en 1901 comme Oscar G. Rejlander trente ans avant lui se photographient en peintres affirmant avec force leur statut d'artiste. Au contraire, en pleine période moderniste, Albert Renger-Patzsch ou Eugène Atget, saisissant leurs reflets dans les vitres, convoquent le champ du photographe dans l'espace photographié, rendant plus prégnante encore l'idée que ce qui nous est donné à voir est bien lié à la subjectivité du regard d'un auteur, ce qu'affirment aussi de manière plus expressive certains auteurs tels Umbo ou Germaine Krull lorsqu'ils disparaissent derrière leur appareil.<br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-7PFmvA-I2_Q/VDjZZ0qMxXI/AAAAAAAAAl8/ePv4Jk7ZBTY/s1600/edward%2Bsteichen.-Autoportrait-en-peintre-1901.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-7PFmvA-I2_Q/VDjZZ0qMxXI/AAAAAAAAAl8/ePv4Jk7ZBTY/s1600/edward%2Bsteichen.-Autoportrait-en-peintre-1901.jpg" height="320" width="240" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Edward Steichen, autoportrait en peintre, 1901.</td></tr>
</tbody></table>
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-qV5ujbl3cq0/VDjZrjrBMiI/AAAAAAAAAmE/f0CdpaYOIlc/s1600/RengerPatzschselfportraitphoto_lg.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-qV5ujbl3cq0/VDjZrjrBMiI/AAAAAAAAAmE/f0CdpaYOIlc/s1600/RengerPatzschselfportraitphoto_lg.jpg" height="242" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Albert Renger-Patzch,, dans les années 1920.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-UpHa_9MEvDA/VDjaXcvomxI/AAAAAAAAAmQ/cADcoIuw5qI/s1600/Atget%2Bautoportrait.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-UpHa_9MEvDA/VDjaXcvomxI/AAAAAAAAAmQ/cADcoIuw5qI/s1600/Atget%2Bautoportrait.jpg" height="320" width="241" />.</a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Eugène Atget, autoportrait.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
Cette quête identitaire, ce jeu de l'image, sur ses multiples, a conduit de nombreux artistes à se travestir: Claude Cahun devient un homme, Pierre Molinier une femme, Cindy Sherman investit plusieurs identités, Nan Goldin initie "l'autofiction".<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-2pqDBRFNrPs/VDjavqCwNWI/AAAAAAAAAmY/0WF4T5KEIo4/s1600/claude-cahun%2B1929.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-2pqDBRFNrPs/VDjavqCwNWI/AAAAAAAAAmY/0WF4T5KEIo4/s1600/claude-cahun%2B1929.jpg" height="320" width="229" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Claude Cahun, autoportrait, 1929.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-KmBjuLX3Rwo/VDjcBHoIe8I/AAAAAAAAAmk/QZRSm6963yc/s1600/sherman.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-KmBjuLX3Rwo/VDjcBHoIe8I/AAAAAAAAAmk/QZRSm6963yc/s1600/sherman.jpg" height="213" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Cindy Sherman, Untitled Film Still, N°14, 1978.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Quant aux autoportraits de John Coplans, ils prennent soin de ne pas montrer de visage et interrogent l'identité par le morcellement d'un corps vieilli. La photographie est "un médium qu permet de construire une identité à partir d'une personnalité composite, une identité artistique" (Coplans).<br />
<br />
Anne Goliot-Lété, Martine joly, Thierry Lancien, Isabelle-Cécile Le Mée, Francis Vanoye:<i> Dictionnaire de l'Image</i>, Vuibert, 2006<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-50000715864649326952014-09-15T07:34:00.001-07:002014-09-15T07:34:50.368-07:00Le tortueux du droitRubrique: <i>droit et photographie</i><br />
<br />
"Ces dix dernières années ont marqué le quotidien des photographes au fer rouge du droit. L'insouciance régnant dans la pratique photographique a laissé place à une discipline difficile à gérer. Outre les problèmes de propriété intellectuelle et de statut, c'est le "droit à l'image" qui a semé la panique. Tout le monde s'est mis à réclamer un droit sur l'image. Cette vogue a privatisé ce qui, jusqu'à présent, était considéré comme le champ de l'espace public et a donné une valeur marchande - monnayable - aussi bien aux objets qu'aux personnes.<br />
Les moyens juridiques qui ont permis aux litiges concernant le droit à l'image de se développer sont au nombre de trois: le droit d'auteur, le respect de la vie privé et enfin le problème des propriétaires.<br />
Dans le domaine du droit d'auteur, c'est surtout pour les oeuvres visibles de l'espace public que les contraintes apparaissent. Cependant, seuls les ayants droit semblent alimenter les cabinets d'avocats avec leurs réclamations. A notre connaissance, la seule affaire vraiment sérieuse portée devant la justice a été celle des concepteurs de l'aménagement de la place des Terreaux à Lyon (l'artiste des "colonnes-pyjama" et un architecte, mais avec un résultat nul puisque ces derniers ont été déboutés en cassation.<br />
<br />
En ce qui concerne le droit des propriétaires de biens, il y a bien longtemps que ces affaires existent, mais elles étaient peu nombreuses et souvent justifiées. En fait, la saison de folies a débuté le 10 mars 1999 avec l'arrêt Gondrée, qui a éveillé bien des appétits. Le comble du ridicule a été atteint avec l'affaire des propriétaire du volcan La Pariou qui prétendaient privatiser l'image. Ce remue-ménage a provoqué la remise en question du droit qu'ont les auteurs à décider quand et comment leurs oeuvres peuvent être diffusées, puisque ce droit pouvait dorénavant revenir au propriétaire d'un bien représenté. Toute cette hystérie a pris fin le 7 mai 2004, quand la cour de cassation, en audience plénière, a énoncé: "Le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci; il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal..."<br />
Aujourd'hui, la diffusion de toute image d'un bien prise à partir de l'espace public, même à de fins publicitaires, est légale, dans la mesure où cette publication ne cause pas un trouble anormal à son propriétaire.<br />
<br />
En ce qui concerne les personnes, il est remarquable de voir à quel point la vie privé a envahi l'espace public. Toute représentation d'une personne appartient désormais à la sphère de sa vie privée, qu'elle se trouve dans un espace public ou privé. Remercions les magazines people, dont les indiscrétions ne sont un secret pour personne et qui ont déclenché toute cette folie. Aujourd'hui, le droit à l'image des personnes est devenu une réalité juridique, conséquence du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Toutefois, ce droit fondamental a ses limites: la liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la même convention, et le droit à l'information qui en découle.<br />
Deux affaires jugées en 2004 permettent de mieux saisir le cadre juridique. Dans la première, un photographe, qui avait portraituré des voyageurs dans le métro parisien, est innocenté par le tribunal de grande instance de Paris. Son travail est qualifié d'"oeuvre artistique par l'originalité de la démarche", et son livre est reconnu comme publication à caractère "artistique et culturel". Dans la seconde, la Haute Cour allemande est contredite par le Cour européenne des droits de l'homme pour avoir débouté une princesse qui réclamait le respect de sa vie privée. La cour a rappelé que la protection de la vie privée doit être "mise en balance avec la liberté d'expression également garantie par la Convention européenne".<br />
Concernant les publications incriminées, la Cour ajoute que "force est de constater que la contribution au débat d'intérêt général fait défaut" et que "le public n'a pas un intérêt légitime de savoir où "C.de" se trouve et comment elle se comporte... dans sa vie privée".<br />
<br />
Ce qu'il convient de retenir: prendre des photographies et les diffuser sont deux conduites qu'il faut bien différencier. Tous les problèmes liés au droit à l'image sont provoqués par la diffusion des photographies (à ce titre, ne pas oublier de les légender et de les dater). Mais, en soi, la prise de vue dans l'espace public, n'a pas, a priori, de conséquences.<br />
Par ailleurs, calmons la furie des autorisations: dans l'information, nul besoin de permission. Elles ne sont nécessaires que pour les utilisations caractérisées comme commerciales (communication et publicité) et pour les prises de vue en studio."<br />
<br />
Jorge Alvarez,<i> La photographie et le droit à l'image</i> in Photojournalisme, à la croisée des chemins (Olivia Colo, Wilfrid Estève, Mat Jacob), Marval et CFD éditeur, 2005.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-45866233316976892362014-09-11T06:53:00.000-07:002014-09-11T06:53:01.632-07:00"Le petit outil"Rubrique: <i>psychologie du photographe; économie et photographie</i><br />
<br />
- Pourquoi prends-tu tes photos avec ce petit appareil ridicule? D'accord, ce n'est pas un Instamatic, mais ça ne fait pas sérieux. Tu pourrais t'acheter un Leica.<br />
- Ecoute, je n'ai pas choisi cet appareil, mais il m'a convenu. Il n'est pas lourd, il peut se mettre dans la poche, on peut le passer sans problème dans des endroits où il n'est pas bienséant de prendre des photos. Mais surtout j'aime qu'il ne fasse pas sérieux, comme tu dis. Il n'instaure pas avec les gens qu'on photographie ce rapport sérieux, professionnel, rentable. Il n'impose pas.<br />
- Tu veux dire qu'il gruge encore mieux les gens...<br />
- Tu as peut-être raison. Mais je ne sais pas comment t'expliquer, pour moi c'est aussi une affaire de décence, de morale. J'ai une sorte de dégoût pour ces gros appareils érigés avec arrogance sur des ventres souvent bedonnants, ils me font penser aux rembourrages de coton ou de feutre des maillots des danseurs. Et puis, avoir un gros appareil, c'est aussi brandir un capital, un pouvoir d'achat, et en mettre plein les yeux comme on en met plein le cul dans le discours obscène. Tu vois, ça me gêne un peu ces photographes qui vont se promener dans des quartiers pauvres avec leur emblème rutilant, comme un bijou mirobolant autour du cou...<br />
- Ce n'est quand même pas toi qui vas nous faire le coup de la mauvaise conscience sociale... Pense aussi qu'il y a des gens qui n'ont que la technique pour eux, et qui dissimulent ce manque comme un défaut physique. Ce sont eux, parfois, les plus humbles.<br />
<br />
Hervé Guibert, <i>L'image fantôme</i>, Les Editions de minuit, 1981.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7886251925237688409.post-27067790667998285902014-09-01T02:57:00.000-07:002014-09-08T01:55:48.541-07:00Le visage à grands traits (2)<br />
Rubriques: <i>portrait photographique</i>; <i>photographie objective et subjective; psychologie du photographe; lecture de photographies</i>, <i>photographies du XX et contemporaine</i>.<br />
<br />
"Dans la situation du portrait photographique, l'affrontement entre le modèle neutraliste et le modèle expressif manifeste une opposition générique: d'un côté, donc, l'objectivisme concerté, la "mort du sujet", l'individu réduit à un simple épiphénomène de la structure, tel que le décrit Bourdieu; de l'autre la spontanéité du sujet souverain, "supposé agir en fonction d'intention qu'il connaît et maîtrise" (Jacques Bouveresse). Tout portrait photographique, entant qu'il active l'exposition publique de la face, est lié à l'idée d'une épiphanie du visage - tout au moins dans la conception du visage comme émanation, en vigueur depuis la Renaissance. Toutefois, même de ce point de vue comportemental, la différence ne se réduit pas à cet antagonisme entre une complicité apaisante et une objectivité de type scientiste. L'idée que le modèle s'extériorise par les signaux d'un état mental ou émotionnel n'induit pas forcément une croyance dans les vieilles catégories de l'intériorité. Dans certaines oeuvres de la modernité historique, comme chez Rogi André, qui a photographié un grand nombre de personnalités des arts et des lettres dans les années 1930-40, la personne apparaît dans un mélange tendu de présence et d'absence de soi à soi, de nature comparable à celui qu'affectionnait Strand.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-piatnXm6-Sg/VAQ9A3m46AI/AAAAAAAAAiE/cGhLiOYPr-E/s1600/andr%C3%A9%2Brogi%2Bdora%2Bmaar%2C%2B1940.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-piatnXm6-Sg/VAQ9A3m46AI/AAAAAAAAAiE/cGhLiOYPr-E/s1600/andr%C3%A9%2Brogi%2Bdora%2Bmaar%2C%2B1940.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">André Rogi, portrait de Dora Maar, 1940.</td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
C'est aussi le sens que donne le grand critique Lincoln Kirstein au portrait cartier-bressonnien: selon lui, l'individu y figure sur un mode à la fois extatique et tragique, comme visé par une sorte de coup de fusil pacifique, saisi dans un pic existentiel en même temps qu'exclu de lui-même, et ce régime de représentation se retrouve dans mainte production contemporaine, par exemple chez Nicholas Nixon.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-vM3yz9LrhJA/VAQ9WM3JSXI/AAAAAAAAAiM/CMTJmXpC7T0/s1600/henriCartier-Bresson_caranaval%2B1976.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-vM3yz9LrhJA/VAQ9WM3JSXI/AAAAAAAAAiM/CMTJmXpC7T0/s1600/henriCartier-Bresson_caranaval%2B1976.jpg" height="320" width="208" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Henri Carier Bresson, carnaval, 1976.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-o63Qmb-OQPk/VAQ9poMSCsI/AAAAAAAAAiU/1pZ6KOyuBgM/s1600/nicholas%2Bnixon%2B1987%2BTm%2BMoran%2C%2BMassachussetts.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-o63Qmb-OQPk/VAQ9poMSCsI/AAAAAAAAAiU/1pZ6KOyuBgM/s1600/nicholas%2Bnixon%2B1987%2BTm%2BMoran%2C%2BMassachussetts.jpg" height="254" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Nicholas Nixon, portrait de Tom Moran, Massachussetts, 1977.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Lorsque l'opérateur est à la quête d'une intensité humaine et tente de faire apparaître la personnalité de l'autre, tout en évitant les conventions trop aimables de la photogénie ou du faux naturel, il ne demande justement pas à son modèle, contrairement à une opinion répandue, d'être lui-même: il sait très bien que cette exigence serait précisément le moyen le plus sûr de provoquer un artifice. Le photographe conséquent aimerait rester exempt de toute intention virtuose ou pathétique et de tout excès invasif, jusqu'à se transformer en un miroir: au fond, il aimerait être aussi passif que possible. Le dispositif ainsi tendu est celui d'un délégation partielle de pouvoir. "<i>Ne fais rien de particulier, je ne fais rien de particulier non plus et de ces deux neutralités sortira un moment authentique; offre à ma passivité ta propre passivité assumée, et tentons de transformer cette osmose en un acte</i>", pourrait-il dire en substance à celui qu'il s'apprête à photographier.<br />
Ici, c'est au début d'un poème d'Emily Dickenson qu'on pourra penser:<br />
<br />
Je suis personne: et vous<br />
Etes-vous Personne aussi?<br />
Dans ce cas, nous faisons la paire - tais-toi!<br />
On pourrait nous trahir- qui sait!<br />
<br />
Le photographe doit donc, pour obtenir une présence de l'autre dans laquelle ce dernier ne soit ni pathétique ni cadavérique, transférer une partie de sa passivité sur son propre modèle. En réalité, quand bien même il lui demanderait soit d'être "naturel", soit de régler volontairement son apparence sur l 'image qu'il se fait de son être profond ("<i>fais acte de toi-même</i>") ce qu'il attend de lui, c'est qu'il soit le protagoniste actif de sa propre personnalité <i>passivement acceptée</i>; un acteur en quelque sorte capable de produire de son "soi" une équivalence intensifiée, quand bien même cette intensification se donnerait à voir sous la forme d'un visage calmement retranché dans son for intérieur. Le critique et poète Peter Schleljdahl écrit: "<i>Il y a une différence inexprimable mais fatale entre se comporter naturellement et se comporter naturellement pour l'appareil photographique</i>".<br />
Le photographe, tout au moins le portraitiste de ce genre, soucieux d'obtenir cette passivité révélatrice chez l'autre <i>grâce à son propre retrait</i>, cherche donc littéralement à devenir <i>passif à travers son modèle</i>. En attendant le moment où ce dernier lâchera prise, où il livrera pour un bref instant une vérité vraiment non contrôlés, un moment d'abandon, de déprise, d'oubli de soi, il se met en quête du moment où il sera lui-même traversé par le modèle, agi par lui dans la rétroaction intersubjective de la prise. Aucun des deux ne sait vraiment ce qu'il attend de l'autre mais ils savent que quelque chose <i>doit</i> surgir de ce vide. C'est une situation d'abandon mêlée d'affrontement, destinée à transmettre à la communauté imaginaire des spectateurs le précipité d'un visage.<br />
L'enjeu, une fois encore, ne consiste pas à liquider la notion d'expression, comme le voudrait la doctrine de l'objectivisme absolu, mais d'en remettre en cause la conception romantique.<br />
C'est ce qui se passe dans ces cas toujours fascinants d'études systématiques sur des éventails d'expressions, comme dans l'immense ensemble d'images de Georgia O'Keefe par Stieglitz, dans les séries "expressionnistes" de Helmar Lerski soumettant un même visage à des variations infinies d'éclairage, voire dans les recherches sérielles de Roni Horn sur le visage d'Isabelle Huppert. Les humeurs ou les états émotionnels semblent être <i>éprouvés</i> dans le cas de Georgia O'Keefe, <i>sculptés en masques</i> dans le cas des modèles de Lerski, performés dans le cas d'Huppert, et dans ces trois cas de figure ils valent comme <i>ensembles</i>.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-_2Wjvk_6AGo/VAQ-MmsmMUI/AAAAAAAAAic/P0IF0YX1DZw/s1600/alfred-stieglitz-georgia-okeefe-dated-1918.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-_2Wjvk_6AGo/VAQ-MmsmMUI/AAAAAAAAAic/P0IF0YX1DZw/s1600/alfred-stieglitz-georgia-okeefe-dated-1918.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Alfred Stieglitz, portrait de Georgia O'Keefe, 1918.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-La4679lnwIk/VAQ-naziemI/AAAAAAAAAik/i7ppbtY5jMg/s1600/helmar_lerski%2B1931.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-La4679lnwIk/VAQ-naziemI/AAAAAAAAAik/i7ppbtY5jMg/s1600/helmar_lerski%2B1931.jpg" height="320" width="255" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Helmar Lerski, 1931.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-_sV0BGQeaVQ/VAQ-6o_uFoI/AAAAAAAAAis/8z0je3ks5Xo/s1600/RoniHorn-%2Bhuppert%2B2009.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-_sV0BGQeaVQ/VAQ-6o_uFoI/AAAAAAAAAis/8z0je3ks5Xo/s1600/RoniHorn-%2Bhuppert%2B2009.jpg" height="77" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Roni Horn, portrait d'Isabelle Huppert, 2009.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Le trouble qu'ils provoquent vient de ce que l'idée selon laquelle c'est bien la "même" personne qui serait le siège invariant de ces modifications, devient vaguement incertaine. Chacune de ces trois entremises est une sorte de quête de retotalisation, qui produit ce curieux effet d'une proximité avec le plus concret de l'expérience qui nous avons des visages dans la vie quotidienne: Un tel est joyeux à un moment, triste ou calme à un autre, que ces états soient spontanés ou joués. Mais elles disent aussi, et dans le cadre d'une même temporalité photographique complexe, le statut vicariant du moi, voire sa dislocation.<br />
Car en établissant pour la communauté des humains l'archive d'un visage, le portrait tire ce dernier hors du cours de la durée par laquelle, dans laquelle et pour laquelle chacun de nous maintient l'idée d'une unité de son moi. Et si, toujours dans ces cas de portraits par images multiples, nous sommes en quelque sorte fascinés aussi par ce que nous <i>ne voyons pas</i>, par ce qui se passe "entre" tel portrait précis et celui qui le précède ou lui succède, c'est parce que ces vides inter-iconiques semblent encore contenir des états non archivés du visage: des moments des son être qui se sont bien produits mais qui n'ont pas été enregistrés, et pas conséquent n'ont pas "existé". Les images manquantes sont précisément le lieu de la constance introuvable. La juxtaposition délibérée des images, comme chez Roni Horn, cherchant à reconstituer un passage du temps, et à travers lui la continuité de la "personne", met en déroute cela même qu'elle visait. Si un portrait est une archive de quelqu'un, il faut garder à l'esprit que toute archive quelle qu'elle soit, est aussi une production d'oubli.<br />
Sander, dans sa quête des "types" sociaux, à tendu un miroir à chacun de ses modèles, dans une neutralisation délibérée des affects, elle aussi puissamment irriguée par l'idée d'archive. En cela, son oeuvre est également productrice d'oubli. Car dans son fantasme d'impersonnalité, elle est radicalement (et génialement) impossible, non seulement en ce qu'il lui aurait fallu trois vies pour la compléter, mais parce qu'elle ne cesse de faire signe vers ce qui lui échappe. Cet enfant, ce maçon, ce maître d'école, saisis dans leur "inexpressivité", sont eux aussi enregistrés dans des états tout à fait particuliers, situés hors de la mobilité de leurs visages. Mais ce choix n'est aucunement objectif. Il répond à la nature même de l'archive, laquelle ne s'adresse pas, contrairement à ce que l'on croit en général, à une "origine" pure dont l'archivage viendrait assurer la préservation tranquille. Elle consiste surtout à <i>fonder son objet même</i>, dans un acte qui est à la fois un <i>commencement</i> et un <i>commandement</i>, comme le rappelle Jacques Derrida dans <i>Mal d'archive</i>: les considérations sur le rapport de Sander à l'objectivité - comme de toutes les oeuvres inscrites sous la notion de suspension émotionnelle - sont souvent justes sur le plan de conduites techniques mais elle ont un tort: celui de considérer le principe de l'archive comme une méthode susceptible de révéler une vérité historique ultime.<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://4.bp.blogspot.com/-hw09g6ynokA/VAQ_tv_mMcI/AAAAAAAAAi0/UQh62633DjE/s1600/August_sander1%2Bmanoeuvre%2B1928%2Bse%2Bcr%C3%A9traire%2B1931%2BCologne.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-hw09g6ynokA/VAQ_tv_mMcI/AAAAAAAAAi0/UQh62633DjE/s1600/August_sander1%2Bmanoeuvre%2B1928%2Bse%2Bcr%C3%A9traire%2B1931%2BCologne.jpg" height="227" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Auguste Sander, manoeuvre, 1928, secrétaire, 1931.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<br />
Derrida rappelle en substance qu'il ne faut pas réduire l'archive, comme on le fait trop souvent, à l'expérience de la mémoire et au retour à l'origine, et par extension à l'archaïque, à l'archéologique, au souvenir ou à la fouille, bref à la recherche du "temps perdu". L'archive, dans son principe même, est, d'une part, un acte de <i>consignation</i>: des documents sont <i>rassemblés</i>; d'autre part elle est un acte de <i>domiciliation</i>: ils sont <i>assignés à demeure</i>. Elle est un privilège et un moyen de dire la loi. Et surtout (c'est un paradoxe apparent), en établissant une mémoire fondatrice, l'archive, en tant que détentrice de pouvoir, se tient justement <i>à l'abri de cette mémoire même qu'elle abrite</i>. En effet, ceux qui détiennent l'archive et les compétences herméneutiques de son interprétation, sont par excellence ceux qui détiennent la puissance. L'inexpressivité des visages chez Sander (dire cela n'est aucunement remettre en question leur beauté) est celle de prélèvements induites par l'"autorité" d'un photographe qui entend dresser l'archive de l'Allemagne et considère que les sujets photographiés, pour répondre à une telle entente, doivent offrir la part d'eux mêmes susceptible de répondre à ce projet souverain, c'est-à-dire se soumettre à ce que Derrida nomme encore la "violence archivale". Il y a dans l'intense beauté de l'oeuvre du photographe allemand une rencontre entre la douceur contemplative et la sourde menace d'une telle violence. En étant assignés à résidence, c'est-à-dire soustraits, le temps d'une prose, à la variabilité de leur être ou a l'"arbitraire" de l'expression momentanée (mais il reste à savoir an quoi cet arbitraire est arbitraire), l'enfant, le maçon, sont ainsi extraits d'eux-mêmes à chaque prise d'image et passent à la condition testimoniale de représentants mnémotechniques pour une assignation à l'Histoire: "Point d'archive sans un lieu de consignation, sans une technique de répétition et sans une certaine extériorité " (Derrida).<br />
<br />
En photographie, l'idée de l'archive comme thème artistique a pris récemment une importance imprévue. Sous la pression de la mondialisation, de l'effacement des particularités ou des reliquats de la domination coloniale, de nouveaux modes d'affirmation identitaire ou l'élucidation du passé se sont fait jour, jusqu'à donner naissance à un genre.<br />
Contrairement à une opinion répandue, cet art ne se limite pas à une lutte contre les formes de l'oubli. Dans ses manifestations les plus élaborées, il se déploie plutôt comme un mouvement dialectique entre l'effacement et l'invention. Certaines oeuvres ont donné naissance à des manières inédites de réécriture: récits mixtes à base d'images d'auteur et de documents exhumés ou fictifs, mélanges de clichés d'amateur et de coupures de presse, dossiers administratifs ou albums négligés, autant de fonds élevés au statut de matériaux d'élaboration plastique, dans l'espoir de corriger des injustices mémorielles, des entraves à la revendication d'appartenance communautaire, à l'identité individuelle, au retour sur tel traumatisme collectif. Mais elles cherchent autre chose que la seule capacité à faire apparaître en plaine lumière des évènements enfouis par l'impossibilité du deuil, par la répression politique, la censure ou simplement l'oubli ancillaire. Elles ne sont pas seulement tournées vers les généalogies, les origines, les sites disparus ou menacés de ruine.<br />
Certes, un artiste comme Walid Raad redessine les contours narratifs des guerres du Liban ou des identités arabes à travers des formations documentaires d'invention ou des entités humaines fictives; certes, une photographe (ou comme la qualifie Paul Ardenne, une "post-photographe) telle que Catherine Poncin, avec ses assemblages, se livre à des plongées dans des images-souvenirs et autres albums de famille qu'elle se fait prêter par leurs possesseurs: scrutant le moindre détail, agrandissant tel fragment pour le suturer à tel autre afin d'obtenir des unités visuelles composites, elle donne de nouvelles formes plastiques au désir et à la nostalgie de familles immigrées; certes l'Irlandais Anthony Haughey arpente des corpus d'archives historiques pour déployer des récits relatifs à la guerre civile en Irlande ou au conflit du Kosovo, explorant méthodiquement les possibilités de la relation de faits comme pratique sociale.<br />
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-E_ZPEUtsKMo/VARAJrq2AUI/AAAAAAAAAi8/iQcuYjhro8Q/s1600/mar_Poncin%2Bmaroc%2B2005.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-E_ZPEUtsKMo/VARAJrq2AUI/AAAAAAAAAi8/iQcuYjhro8Q/s1600/mar_Poncin%2Bmaroc%2B2005.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Catherine Poncin, Maroc, 2005.</td></tr>
</tbody></table>
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<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-nWJf_XbpN4E/VARAlIDMhDI/AAAAAAAAAjE/huKV06qXRvE/s1600/anthony%2Bhaughey%2Bclass%2Bof%27%2B73%2B2001.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-nWJf_XbpN4E/VARAlIDMhDI/AAAAAAAAAjE/huKV06qXRvE/s1600/anthony%2Bhaughey%2Bclass%2Bof'%2B73%2B2001.jpg" height="209" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Anthony Haughey, class of ' 73, Kosovo, 2001.</td></tr>
</tbody></table>
<br />
Pourtant, au-delà de la lutte contre l'amnésie politique, l'écrasement des identités ou la confiscation commémorative, c'est aussi à une sorte de reconsidération de l'idée même de temps mémoriel que se livrent ces oeuvres. Rendre le monde à nouveau lisible, reconquérir les continents émotionnels perdus des diasporas, clarifier l'"<i>écriture à peine déchiffrée de notre histoire, privée et collective</i>" ( Anne-Marie Garat à propos de Catherine Poncin), c'est peut-être poser, à travers le traitement second des représentations, la question de la possibilité même de la mémoire et de sa relation au langage. Avec l'Atlas Group de Walid Raad, avec les images de familles marocaines décontextualisées de leurs albums par Catherine Poncin, avec les portraits de classes d'école longuement disséqués par Haughey, les documents arrachés à l'oubli ou soumis à une nouvelle écriture, cherchent à reparler à travers nous. Pourtant, en retrouvant une parole, ils ne parlent plus leur "langue d'origine".<br />
Car se construire individuellement ou collectivement, y compris par le truchement des images, c'est précisément élaborer sa propre mémoire. L'origine de notre invention, lorsqu'elle est l'objet d'une recherche, est une invention de notre origine. Celui qui interroge "la" mémoire à travers les documents visuels du passé cherche à récupérer, dans les images originaires, ce qui l'a déjà "parlé", ce qui le fait être comme il est. Mais ce processus est celui d'une production de soi, dans une sorte d'hypertexte constituant, comme on parle en politique d'"assemblée constituantes", celles qui fondent leur propre régime par proclamation et rédaction.<br />
Or cette relation performative du soi aux images (par exemple celle de l'histoire familiale) est toujours celle d'une "apparentement": Être signifie toujours être <i>apparenté</i> et l'être-là signifie toujours <i>descendre de</i>. Ascendances et descendances, autonomie et hétéronomie, sentiment de sois comme clôture du sujet ou comme déterminisme, autant de valences de l'identité ardemment puisées dans les moments fondateurs "contenus" dans les images, et dont la reconnaissance est supposées fonder une liberté nouvelle.<br />
La transparence de soi à soi (individuelle ou collective) est toujours une médiation. Curieusement, même des oeuvres ne relevant pas à proprement parler de l'archive, mais qui sont hantées par les fondements de l'"identité individuelle", semblent affronter la question de l'appartenance de soi à soi-même comme liberté et fatalité, ne serait-ce que dans la polymorphie des impositions culturelles, des mythologies, des dominations de genre - qui sont elles aussi en quelque sorte des <i>archives informantes</i>. Chez Cindy Sherman, les stéréotypes du cinéma, de l'iconographie de masse ou de la peinture constituent une sorte de famille culturelle, littéralement comme s'ils étaient autant de métadonnées de son être, ou même d'éléments métaphoriques de son "ADN". Ils fournissent les matériaux programmatiques d'un soi théâtralisé par le grimage, dans lequel le sujet tenterait de ressaisir, grâce à un retour vers leur archivage inconscient, les ingrédients de son identité. Bien que les nouvelles technologies ne constituent pas à proprement parler un enjeu central dans cette oeuvre, celle-ci fournit une sorte d'équivalent existentiel des fonctions de l'image numérique telles que les décrit WJT Mitchell à propos d'images d'un genre tout à fait autres, celles immédiatement disséminées sur internet, des tortures perpétrées dans la prison d'Abou Ghraib: les images numériques semblent " directement liées aux dossiers dans lesquels elles sont conservées" ainsi qu'au "système d'extraction qui permet leur diffusion" et, pour ainsi dire, "porteuse de leur propre système d'archivage". Malgré les apparences, il en va de même dans la "primitivité" hautement élaborée de Dieter Appelt, qui scénographie jusqu'au retour le plus radical à ce qui se présente d'abord comme un indifférencié antérieur à toute culture. Sa performativité douloureuse et sa nostalgie du retour à l'immobilité inorganique sont un jeu d'inversion débridé: l'opérateur, dans ses rites initiatiques, est à la fois le sujet et l'objet de l'image, mais surtout il en est à la fois l'origine et la conséquence, dans un acte de ressaisissement où le corps se veut la <i>production même de son origine et de ses fins</i>, à jamais introuvables. La source de l'image, ici, c'est l'image de la source, dans une familiarité essentielle avec l'inerte et la mortalité. Le corps de Sherman, le corps d'Appelt cherchent à (se) rendre le monde habitable dans u jeu de fictions autoscopiques qui relève, lui aussi, de l'apparentement, de l'appartenance affiliée aux magmas culturels ou telluriques. Les facéties, grimages ou provocations clownesques et sexuelles chez l'une, les maquillages, les langages d'archives, remontant le cours d'une généalogie culturelle ou préhistorique, dans le but de favoriser, grâce à une articulation inédite, une nouvelle inclusion de soi en soi, et de soi en une entité collective. Sherman fait retour vers le passé des icônes comme vers un continent natif. Appelt documente son enfouissement dans une terre mythologique où les ancêtres ports de la tribu délimiteraient le territoire d'un retour fondateur, autour de sépulcres eux-mêmes enfouis depuis des temps immémoriaux."<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-_V50fqzH6fE/VARBAjpfB3I/AAAAAAAAAjM/fS9OuVBDYh4/s1600/1977_Cindy_Sherman_Untitled_Film_Still_%233_1977.jpg_595.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-_V50fqzH6fE/VARBAjpfB3I/AAAAAAAAAjM/fS9OuVBDYh4/s1600/1977_Cindy_Sherman_Untitled_Film_Still_%233_1977.jpg_595.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Cindy Sherman Untitle Film Still, 1977.</td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr>
</tbody></table>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-7Yft5AF1dMs/VARBbBI0UvI/AAAAAAAAAjU/RnhTi4nJt1k/s1600/appelt%2Bramification%2B2007.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-7Yft5AF1dMs/VARBbBI0UvI/AAAAAAAAAjU/RnhTi4nJt1k/s1600/appelt%2Bramification%2B2007.jpg" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Dieter Appelt, Ramification, 2007.</td></tr>
</tbody></table>
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Arnaud Claass, <i>Le réel de la photographie</i>, Filigranes Editions, 2012.<br />
<br />De la photographie à la penséehttp://www.blogger.com/profile/12258199875002612706noreply@blogger.com0